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LA TRISTE HISTOIRE DES REFUGIES SYRIENS DU HLM DE LA PLACE DES FAONS

Publié le 5 octobre 2016

L’histoire passe, vite et s’oublie très vite aussi. A moins qu’elle ne soit « réécrite » pour les besoins d’une cause...
Oublie et réécriture sont les deux « mamelles » d’un éternel recommencement des mêmes erreurs.

Aussi, dans une affaire que nous avons suivie, ressentons-nous le besoin de recueillir les textes que nous avons édités au fur et à mesure dans cette brochure. Sans rien y changer. Même si cela nous expose à quelques répétitions.

Mais, pour qui veut se faire une opinion par lui-même, rien ne vaut les « textes bruts ».
Voici les nôtres :

RÉFUGIÉS SYRIENS A TOULOUSE : RÉFLEXIONS D’UN BÉNÉVOLE EN DIRECTION
DES AUTRES BÉNÉVOLES

L’arrêt rendu le 6 juillet 2016 par la Cour d’Appel de Toulouse devrait interroger tous les bénévoles qui sont intervenus dans la situation des réfugiés syriens
de la place des Faons (Trois-Cocus), plus particulièrement ceux qui se sont intéressées à la question du logement.

Si l’on y réfléchit bien, la question que pose, in fine, cet arrêt est simple : en
tant que bénévoles, nous étions venus pour aider les réfugiés syriens ; dans les
faits, la plupart des bénévoles ont aidé les pouvoirs publics à se tirer une épine
du pied au mépris des intérêts des dit réfugiés. Comment en est-on arrivé là ?

Pour répondre à cette question il est nécessaire de l’examiner sous plusieurs
angles : politique, juridique, éthique, ... après avoir rappelé les faits. C’est ce que
je vais tenter de faire aussi brièvement que possible en me centrant uniquement
sur la question, fort éclairante, du logement.

LES FAITS

Rappelons d’abord le contexte général : plus de quatre millions de Syriens
ont du quitter leur pays, coincés entre les sadiques de Daesch et les meurtriers
d’El Assad. Cela dure maintenant depuis 5 ans. Force est de constater que les
États européens n’ont pas fait grand-chose ni pour protéger sur place les populations ni pour les accueillir. Le gouvernement français, dans les moments où
l’opinion publique est émue par la question, fait des annonces qui restent, globalement, sans effet. Pour le dire en quelques mots : la politique d’accueil du
gouvernement français est scandaleusement nulle.

C’est dans ce contexte que plusieurs familles de réfugiés syriens, provenant
de la ville totalement détruite d’Oms, sont, au terme d’un périple éprouvant,
parvenues à Toulouse. Elles se sont auto-logées dans un HLM presque complètement vidé de ses locataires (car promis, dans un futur imprécisé au moment
de l’autologement, à la démolition [1]). Contrairement à des rumeurs savamment
propagées, ces logements étaient tout à fait corrects [2]. Ils permettaient à près
de deux cents personnes, ayant pratiquement toutes des liens familiaux entre
elles, de vivre groupées, ce qui, dans les situations de grande précarité économique et morale, est une condition de survie.

En septembre 2015, la CNT-AIT a appris que des procédures d’expulsion
étaient en cours, à l’initiative du bailleur dit social « Habitat-Toulouse ». Elle a
alors missionné deux avocats qui se sont mis à la disposition des Syriens qui le
désiraient pour assurer leur défense. De son côté, le DAL mettait également un
avocat à leur disposition, deux ou trois familles ont eu recours à lui.

Prétextant l’urgence, Habitat avait choisi une procédure de référé (la procédure normale risquant de prendre un ou deux ans de plus). En première instance,
le tribunal, ne tenant compte d’aucun des arguments avancés par la défense,
donnait raison à Habitat sur toute la ligne : il prononçait l’expulsion, condamnait
les familles à payer de lourdes indemnités d’occupation [3] ainsi que les dépends.
Sur les conseils de la CNT-AIT, plusieurs familles ont fait appel, toujours
avec les deux avocats missionnés par elle. Le DAL n’a pas fait appel.

Le 26 mai 2016 a eu lieu une opération baptisée « expulsion » mais qui, sur
le plan juridique, était un simple déménagement volontaire. Ce point mérite explication. Le tribunal de première instance avait bien ordonné l’expulsion. Mais,
une expulsion ne peut se faire que selon des règles procédurales extrêmement
précises et rigoureuses. Elle exige en particulier une décision préfectorale ex-
presse. A notre connaissance, celle-ci n’a jamais été prise puisque le document
ad hoc n’a été remis ni aux intéressés ni à leurs défenseurs. Malgré « l’apparat »
déployé le 26 mai (en particulier la présence de la force publique), ce n’est donc
pas, juridiquement parlant, une expulsion qui a eu lieu mais un déménagement
volontaire des familles syriennes (vers des lieux qui leur étaient parfaitement in-
connus). Les conséquences de ce qui peut ne paraître qu’un détail terminologiques sont énormes :

  • d’abord, comme il ne s’agissait nullement d’une expulsion, les familles syriennes auraient très bien pu rester sur place, les forces de l’ordre ne pouvant
    pas intervenir pour les « vider » sans la décision expresse préfectorale, inexistante
    à ce stade de l’affaire,
  • d’autre part, comme il s’agit, toujours en droit, d’un déménagement volontaire, il n’y a pas (ou difficilement) de voies de recours (puisque la « faute » du
    départ incombe aux intéressés), et cela même après que la Cours d’appel nous
    ait donné raison.
  • enfin, sur le plan politique, c’est un bon coup pour la préfecture qui « dissout » un problème épineux pour les pouvoirs publics sans se mouiller du tout
    (c’est-à-dire sans prendre de décision administrative, sans avoir recours à la violence...). Sur ce point, je ne peux qu’inciter chaque bénévole à regarder et à ana-
    17lyser en détail le reportage vidéo fait par Emmanuel Wat et Frédéric Desse, journalistes de FR3 le jour du « déménagement » [4].

On y voit successivement :

  • quelques images des appartements : les murs sont bien droits, pas explosés
    du tout (une tapisserie déchirée sur un des murs), les parquets (en bois massif)
    sont en parfait état (de quoi faire des envieux...),
  • l’inquiétude (à juste titre) des déménagés en ce qui concerne leur reloge-
    ment,
  • une jeune femme (manifestement « associative ») qui explique, avec une
    sorte de kéfié autour du cou (pour faire couleur locale ?) mais sans sembler choquée le moins du monde par le déménagement, que le désir des Syriens est de
    rester en famille élargie (ce qui est vrai) au moment même où les familles commencent à être dispersées... (et ce n’est que le début d’une inexorable dispersion),
  • enfin cerise sur le gâteau, la satisfaction évidente du représentant de la préfecture face à cette opération préparée depuis « plusieurs mois », qui déclare « Nous
    avons essayé de tout dissiper notamment par le travail des associations, nous avons tout fait pour que la tension soit minimale ». Vous avez bien lu, le déménagement a été préparé par « le travail » de certaines associations qui se sont attachées à « tout dissiper ».
    Par « dissiper », il faut bien entendu entendre réduire à néant toute velléité de résistance que les Syriens et ceux qui les soutenaient réellement auraient pu opposer (ne serait-ce qu’en exigeant le respect des procédures légales !).

Le résultat de ce déménagement est simple : le groupe de réfugiés syriens a
été dispersé, plusieurs familles ont été dispatchées sur au moins trois CADA
(dont une à... Cahors), plusieurs familles dans des hôtels (avec des conditions
très précaires : promiscuité, impossibilité de faire la cuisine... certaines familles
ont déjà du changer d’hôtel...), quelques-unes dans des logements indéterminés
(Reynerie, Ayguesvives ?). Quelques dizaines de personnes ont disparu purement
et simplement. Bref, pour les réfugiés syriens, le résultat de l’opération « déménagement » est catastrophique.

Et vient, ce 6 juillet 2016, la décision de la Cour d’Appel. Reprenant le travail
juridique extraordinaire fait sur le fond par les deux avocats missionnés par la
CNT-AIT, la Cour d’appel fait droit aux arguments de la défense. Elle annule
purement et simplement toutes les décisions du tribunal de première instance
et condamne Habitat aux entiers dépends. La motivation de la Cour d’Appel repose, en dernier analyse, sur un très bel argument : le nécessaire respect des
18droits de l’homme. Finalement, c’est sûr un principe d’humanité que la Cour
condamne Habitat et sa demande d’expulsion. Une telle décision, dans le domaine des « squats » peut être qualifiée d’historique. C’est d’ailleurs pourquoi la
fondation Abbé Pierre a immédiatement demandé copie de cette décision aux
deux avocats, pour tenter, sur cette base, de rompre une jurisprudence systématiquement hostile aux personnes autologées.

ANALYSE

Revenons à notre grande question : comment se fait-il que des bénévoles,
venus avec la plus grande sincérité au soutien de ces réfugiés en soient arrivés à
accepter, justifier, cautionner et même participer à cette opération de déménagement totalement toxique pour les dits réfugiés, alors même que leur autologement place des Faons a été finalement reconnu légitime par la justice ?
La réponse me semble simple : ils ont perdu en chemin (ou, plutôt, on leur
a fait perdre) la raison qui les avait fait se mettre en action. Plusieurs méthodes
sont en causes.

Cela peut paraître paradoxal, mais la multiplication des réunions présentées
comme des analyses de fond, des explications de la situation... est une des
causes. En fait, ces réunions, qui effectivement ont bien « marché », puisqu’elles
ont réuni parfois plus de monde qu’il n’y en avait sur le terrain, ont permis de
parler de tout (explications ethno-psycho-sociologiques [5]...) sauf de l’essentiel
 : comment aider les Syriens à conserver leur habitat place des Faons et le rapport
de force qui allait avec ? C’est une des façons, sûrement involontaires, de noyer
le poisson.

A cela se sont ajoutées de multiples rumeurs : telle apprentie-journaliste affirmant tenir de source sûre que « l’expulsion aura lieu le 6 juin », telle autre personne, au contraire, qu’elle avait rencontré le président des HLM et qu’il serait
compréhensif, une autre encore que, telle association très en pointe n’était pas
financée par les pouvoirs publics et était donc « insoupçonnable »... les rumeurs
se sont prolongées au moment du déménagement par des twitts rassurants
comme « #Izards : les syriens recensés font tous l’objet d’un relogement ce jour
et d’un accompagnement social. pic.twitter.com/h27e7crCni » [6]... Ces multi-
ples rumeurs ont également participé à créer une sorte de brouillard, noyant
l’essentiel et le faisant perdre de vue. Sans compter que, comme il a été écrit ail-
leurs, l’arrivée d’associations ou de bénévoles « culturalistes » a créé des tensions
et des dispersions, des pertes du sens de l’action [7].

Pendant que sur le terrain, les choses en principe les plus simples (c’est-à-
dire :
1/ nourrir les réfugiés [8],

2/ les aider à rester dans leur HLM de la place
des Faons et

3/ faciliter leur insertion en leur apprenant un peu la langue et les
mœurs françaises) se diluaient et que leur sens se perdait ; des réunions très
pragmatiques se déroulaient, discrètement, à la préfecture avec des représentants
d’« associations » afin, comme le dit si bien la préfecture, de « dissiper » le problème,
c’est-à-dire disperser les Syriens et noyer toute réaction de ceux qui voudraient
s’opposer au déménagement.

Une des premières conséquences de ces réunions préfectorales a été l’instillation parmi les bénévoles de la « revendication » d’un « relogement digne », « 
regroupé » et autres fariboles... et cela alors que :

1/ aucun d’entre nous n’a entendu un des Syriens restants dans ces HLM de-
mander à être relogé (et encore moins en CADA ou à l’hôtel !) [9],

2/ probablement ne seront-ils plus jamais aussi bien logés (c’est sûr en termes
de regroupement, et probablement de surface et de qualité de logement),

3/ le fait d’être regroupés leur donnait une visibilité, un poids politique (grâce
auquel d’ailleurs ils ont pu vivre cette situation exceptionnelle en France pendant
une bonne année).

Qu’elle était la légitimité de ceux qui ont négocié avec la préfecture ? Aucune
puisqu’ils ne représentaient ni les Syriens ni leur demande (qui était de rester
dans les lieux). Il n’empêche qu’ils l’ont fait et qu’ils ont insinué puis renforcé
auprès des bénévoles la revendication de « relogement ». A partir de là, le terrain
était idéologiquement bien préparé. A cela s’ajoutait un pseudo-légalisme sur le
ton de « C’est la loi, le tribunal l’a dit », au mépris de l’appel interjeté, appel qui a
démontré que ce n’était pas du tout la loi ; et, une sorte de menace planante : « 
Si les Syriens ne partent pas d’eux-mêmes, la police interviendra ». Il ne restait
plus qu’à annoncer, 2 ou 3 jours à l’avance, « l’expulsion » et le tour était joué :
les bénévoles, pris au piège (puisqu’on les a persuadés qu’il n’y avait pas d’autre
solution) ont cautionné l’incautionnable, ont accompagné le processus illégitime
 ; peut-être certains ont-ils fait le tour des appartements pour « expliquer » aux
réfugiés qu’ils devaient partir et pour leur distribuer des cartons... Comme le
sous-entend dans son arrêt la Cour d’Appel, ils ont manqué d’humanité alors
qu’ils étaient venu par souci d’humanité ! Cuisant paradoxe.

Et voilà. Je crois que chaque bénévole, en particulier ceux pris au piège, au-
raient intérêt à réfléchir, et, s’il veut (ce que j’espère) continuer son action, à se méfier comme de la peste des rumeurs, des réunions culturalistes où ça blablate 20entre pseudo-compétents, des associations subventionnées ou religieuses... en se rappelant que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » et que parmi les « paveurs » de l’enfer se glissent toujours des personnes qui n’ont pas de si bonnes
intentions que ça. Pour conclure, cet exemple montre qu’une action bénévole
déconnecté de la demande réelle des intéressés et sortie de son cadre politique
(au sens noble du terme, idéologique, éthique et stratégique) conduit facilement
à des catastrophes.

Pour ma part, je continuerais mon action auprès des réfugiés syriens dans un
cadre qui tire les leçons de cet épisode, au sein de l’Initiative laïque pour le sou-
tien et l’aide aux réfugiés syriens de Toulouse.

Toulouse, le 9 juillet 2016
Un bénévole regroupé autour de la CNT-AIT

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