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Un convoi, de l’eau pour faire du commun

Publié le 9 décembre 2023

C’est le 12 août, en début de matinée, que j’ai quitté à vélo mon village du Lot pour me rendre à Lezay, point de départ du "convoi de l’eau". Lezay, commune du département des deux Sèvres, tout près de Sainte-Soline, où a eu lieu le 25 mars 2023 la grande manifestation contre les méga-bassines, et qui avait été très fortement réprimée par l’État et ses forces policières ultra-armées qui étaient visiblement venues là " pour faire la guerre" aux contestataires qui s’opposent à ces accapareurs d’eau.

En effet la construction de ces méga-bassines (parfois plusieurs hectares) servira une petite minorité d’agriculteurs pour poursuivre dans la logique d’un modèle agricole industriel porté par la FNSEA (fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). C’est tout autant pour instaurer un débat démocratique sur le partage de l’eau comme bien commun, que pour soutenir une autre façon de faire de l’agriculture, par une approche globale d’habiter et de vivre sur un territoire, aux antipodes d’un agrobusiness et de sa logique marchande capitaliste et ses conséquences extrêmement néfastes et dévastatrices tant sur un plan humain, sanitaire, environnemental qu’écologique.

Cet évènement qui s’est construit sous la forme d’une manifestation à vélo et à tracteurs, s’est déroulé en plusieurs étapes de 50 à 60 km, lors de la semaine du 18 au 25 août 2023. La dernière étape nous a conduit jusqu’au siège de l’agence de l’eau régionale Loire /Bretagne d’Orléans, où une délégation devait demander à cet organisme financeur, l’arrêt de tous les chantiers et projets de construction de méga-bassines, ainsi qu’un moratoire. On doit l’initiative et l’organisation de cette manifestation à « la Confédération paysanne », le collectif citoyen « Bassines Non Merci », ainsi que « Les Soulèvements de la Terre », qui s’étaient retirés dans un premier temps, suite à la tentative de dissolution par décret du ministère de l’intérieur, mais qui a été retoqué depuis par le conseil d’État, lors de l’audience en référé du 8 août 2023. Il faut le noter, cette manifestation à vélo, certes originale dans sa forme, n’était pas une première, puisqu’une telle démarche avait eu lieu dans le cadre de la lutte menée au Larzac durant l’été 1978 ; mais aussi lors de la lutte de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2015.

Ce sont 600 cyclistes qui prendront la route en ce début d’après-midi du 18 août ; divisés en 4 pelotons de 150, séparés par un petit intervalle de temps, autant pour faciliter le déplacement que par sécurité, afin de réduire les accrochages et les chutes. C’est un joyeux cortège qui s’élance derrière un tracteur qui ouvrira le convoi et un camion plateau sonorisé. Ce sera à chaque traversée de village et ville une bruyante musique dissonante de sonnettes de vélos décorés de fanions. On trouvera à la suite de ce défilé un peu folklorique, un fourgon/infirmerie et son équipe médicale ; un atelier de réparation vélos qui œuvrera tout le long du convoi, à la pause déjeuner et lors de nos arrivées sur les lieux d’accueil ; puis des toilettes sèches roulantes, tractées par un fourgon, une voiture balai pour les personnes qui auraient un coup de fatigue, ou des problèmes mécaniques, et en fin de cortège les tracteurs avec leurs banderoles aux slogans revendicatifs mais qui ne manquent pas d’humour, et qui transporteront citernes et autres cuves d’eau sur leur remorque, bien nécessaires en cet été encore très chaud. Le défilé s’étirera sur au moins deux kilomètres.

Ces premiers coups de pédales marqueront le début d’un moment, qui sera tout le long de ce convoi placé sous le signe de la joie. On peut noter de cette manifestation qui se déroulera sur une distance d’environ 340 km, sa grande mixité intergénérationnelle (de 7 à 72 ans), hommes, femmes, professions, milieu sociaux ; des personnes venant de toutes les régions de France, représentant un grand nombre de départements. Le plaisir de partager ce moment à faire du vélo ensemble est bien là ; le rythme tranquille, adapté pour que tout le monde puisse suivre, favorisera aussi d’innombrables discussions en cours de route, des échanges et rencontres qui se poursuivront tout au long de la journée. Tous les participants à cet évènement/manifestation se sentent concernés bien évidemment, parce qui les a amenés là, et sont bien conscients du problème majeur qui est soulevé ici : le partage de l’eau, ce bien commun, son utilisation, et la remise en question d’un modèle agricole.

Nous étions applaudis et encouragés dans chaque village traversé ; un peu comme pour le tour de France, mais avec tout de même un peu moins de monde ; il faut dire que le parcours n’était pas connu dans les détails, les gens ne l’apprenaient que peu de temps avant notre arrivée, souvent au moment même, l’information étant donnée par quelques cyclistes se projetant en avant du convoi. La fin d’étape était un moment délicieusement émouvant, un accueil chaleureux nous était réservé sous les applaudissements et les chants des nombreux bénévoles, qui étaient là pour préparer les 700 repas, monter barnums, cantine, scène, toilettes sèches, douches sommaires (on se lavera au sceau, à la bassine, ou directement à la citerne). Garer nos bicyclettes aux emplacements désignés et l’installation de six cents tentes étaient un spectacle en soi. Toutes les étapes seront marquées par des prises de paroles d’organisateurs, de collectifs locaux en luttes, des points infos/histoire, échanges/débats ; musique, chants, danses, et même des tentatives chorégraphiques improvisées sur nos vélos, rythmeront ces journées de douce folie.

PERSPECTIVE : « DU MOUVEMENT ! DU MOUVEMENT ! DU MOUVEMENT SOCIAL !.. »

C’est le refrain d’une chanson engagée et révoltée, repris en cœur par les "vélorutionnaires" et autres participants à cette manifestation joyeuse, accompagnée par sa fanfare qui a contribué à cette ambiance autant festive que revendicative. Ce refrain sonnait comme un appel urgent à construire ce mouvement de résistance à l’économie marchande ; de ces désastres déjà là et d’un probable anéantissement à venir. Chronologiquement les initiateurs et organisateurs sus-cités du « convoi de l’eau », on inscrit cette action dans la continuité d’autres manifestions, de gestes et critiques qui ont été portées à l’encontre du modèle agricole industriel, de l’accaparement et l’artificialisation des terres. Composée d’une diversité d’associations citoyennes, d’organisations syndicales ou politique, cette constellation forme ce que l’on nomme : « Les Soulèvements de la Terre ».

C’est à partir d’un constat d’échec, de l’impuissance des luttes sociales à constituer une force de résistance, et d’envisager une autre orientation que celle imposée par un néolibéralisme écrasant tout, et ne faisant qu’exprimer sa nature brutale, qu’est n » ce mouvement en 2021. Faisant le pari de la convergence, de réunir ce qui diverge, d’unifier ce qui est pluriel, à partir de luttes trouvant des points communs pour les différents acteurs, permettant l’amorçage d’une dynamique et d’une synergie. Il s’agit bien de « composer » avec cette pluralité d’acteurs, de groupes, dans leurs différents modes d’interventions, leur sensibilité, imaginaire et leurs représentations sociales ou du monde. Il s’agit peut-être là, d’inscrire ce mouvement dans une recherche et expérimentation, de ce difficile art de la composition dans la lutte sociale. Pouvons-nous espérer voir un mouvement qui sans cesse « travaille » le corps social, affirmant son indépendance, en dehors de tout parti politique et syndicat, mais qui n’exclut pas leur participation, et leur mode spécifique d’intervention ?

Un mouvement qui dans son développement permettrait à terme, si ce n’est de dissoudre, tout du moins d’atténuer les marqueurs identitaires et leurs replis, les étiquetages, les affichages, les enfermements idéologiques, qui sont autant de divisions chez les exploités, les dominés, les opprimés. Pouvons-nous espérer ce moment où grandira cette force sociale dans l’affirmation de son autonomie, à mesure que se résoudra dans sa « co-errance » ses divergences, et que se renforcera sa détermination par une plus grande lucidité et cohésion. Sans pouvoir préjuger de ce qu’il en deviendra, on peut toutefois observer des signes précurseurs et des frémissements dans ce mouvement qui tend à mieux se structurer pour construire cette résistance et de force transformation sociale. Cela devra passer certainement entre autre, par la pratique de la démocratie directe ; qui n’a jamais été rien d’autre, doit-on le rappeler, que le face à face ; la rupture avec toute forme de délégation représentative, ou autre médiation gouvernementale (Dieu, l’État, le Marché) et qui se réalise concrètement par l’expression de nos différences, de nos désaccords, de nos dissensus.

C’est dans la richesse de ces interactions, de ces discussions, échanges, débats, du partage d’analyses et de critiques, mais aussi dans le feu de l’action, dans la créativité de pratiques et de gestes à réaliser, qui permettra à ce mouvement de marcher sur le chemin de son émancipation. Les comités locaux qui se sont montés un peu partout en France peuvent former la base d’une décentralisation dans l’auto-organisation de luttes et l’apprentissage de l’autogestion.

LE DÉPASSEMENT : « A BAS L’ÉTAT POLICIER, A BAS L’ÉTAT »

C’est encore un refrain d’une chanson qui a marqué ce moment festif et revendicatif. Reprise d’une chanson de Dominique Grange, avec une petite variante dans le refrain ; ce n’est pas seulement à bas l’État policier qui était repris et chanté, mais aussi à bas L’ÉTAT tout court, ce qui lui donnait incontestablement une tonalité libertaire. Tout le monde prenait-il au sérieux cette critique radicale de l’État et son dépassement ? On peut bien évidemment en douter. Mais il est certain que cela faisait écho à ceux qui ont participé à la manifestation de Sainte-Soline le 25 Mars 2023, date qui restera dans la mémoire de beaucoup et pour longtemps ; et qui a fait prendre conscience à plus d’un que l’État pouvait se montrer extrêmement violent et frapper fort lorsque l’on essaye de se mettre en travers de ses projets et de ceux qu’il sert : les marchands, les industriels, les banquiers. On apprend beaucoup dans l’action ; la lutte sociale porte aussi en elle des effets positifs, qui permettent la prise de conscience, de classe, de sa servitude moderne ou de son aliénation sociale ; mais elle permet aussi l’affirmation de soi, un progrès dans le renforcement de son autonomie. Oui !, il est toujours possible, et nous voulons garder l’espoir que puisse se construire et se développer un mouvement social émancipateur ; qu’il soit dans le même temps une résistance à la raison abominable de l’économie marchande, qui ne cesse de détruire la nature et nos milieux de vie, mettant en péril l’habitabilité même de notre terre ; mais aussi un mouvement qui construise dans son émancipation de nouveaux rapports sociaux, au vivant, à la terre, au monde. C’est par la recherche et la construction de ces nouveaux liens, de ces nouveaux types de relations, que nous avancerons sur le chemin de notre libération. Ce qui se joue là dans cette tentative de faire émerger et développer un mouvement social, est finalement ce qui a toujours animé la pensée et les pratiques anarchistes : construire et organiser à partir de la libre association et sur une base égalitaire, la solidarité et l’entraide de tous les opprimés.

Comme toujours, là où il y aura de la lutte sociale, de la contestation à l’ordre établi, la participation de ceux qui ont toujours porté haut l’idéal de liberté se fera sentir, et cet état d’esprit était bien présent lors de cette semaine de manifestation. L’anarchie est la loi du monde matériel, elle est partout chez elle dans le désordre social, partout active dans ceux qui se décomposent pour toujours mieux se recomposer, s’agencer, se déterminer, s’harmoniser, dans un mouvement sans fin de l’indéterminé. Seul l’Homme intelligent sait s’orienter dans le chaos.

Le système Étatico-capitaliste mondialisé est complexe ; SOYONS COMPLEXE !, soyons insaisissable !, soyons partout ! Les brèches sont là, engouffrons-nous !
A tous ceux qui refusent l’asservissement du vivant et de l’humanité à ces mafias ploutocratiques et oligarchiques.

A tous ceux qui sont bien vivant, nous leur disons : Au nom de la terre et de la liberté. Soulevons-nous !

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