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CONTRE LE FASCISME : QUELLE STRATÉGIE ?

Publié le 8 juin 2019

À chaque élection, la présence de l’extrême droite (avec cette fois-ci trois candidats) est à l’origine de comportements stéréotypés : front républicain avec appel unitaire aux urnes pour les uns, manifestations frontales pour les autres (les deux comportements n’étant d’ailleurs pas forcément exclusifs l’un de l’autre). Mais, dans tous les cas, le débat de fond, tout comme le débat stratégique, sont occultés, au prétexte d’une « urgence », qui, faute justement de ces débats, se renouvelle telle quelle depuis plus de vingt ans.

  NAISSANCE D’UN SIGLE…

Le SCALP (Section Carrément Anti-Le Pen) est né en 1984 à Toulouse. Il fut principalement issu d’une double conjonction : d’une part la survivance d’une mouvance gauchiste-activiste et de l’autre la volonté du pouvoir mitterrandien de favoriser la montée du Front National pour mettre un obstacle électoral dans les pattes de la droite. Ce 6 juin 1984, le chef du FN vient dans la ville rose. C’est la manifestation. Un groupe, organisé autour d’une banderole sur laquelle on peut lire « Après la dispersion, la manifestation continue », signé « SCALP », se place, dans la plus pure tradition des gauchistes des années 70, en queue du cortège réformiste. Le terme de « Section  » avait été choisi en référence aux syndicats et partis qui appelaient à manifester contre l’extrême droite. C’était un clin d’œil, car la tactique était classique, celle de débordement de ces organisations de gauche, qui se dispersaient place du Capitole, très loin du meeting de Le Pen. Il s’agissait d’entraîner la « base » à un affrontement bien préparé par une minorité. Et c’est ainsi qu’après une manifestation bien sage, la manifestation continua vers le stadium derrière la banderole du Scalp.

Si, la semaine précédente, la salle de la piscine municipale dans laquelle il avait été prévu d’accueillir le chef du FN avait été complètement détruite par une explosion, le meeting, lui, n’avait pas été annulé pour autant. Et, contrairement à ce qu’on peut lire par exemple dans l’encyclopédie du net (Wikipédia), le meeting de Le Pen se tint quand même, sous un chapiteau, sur l’île du Ramier, au Stadium. C’est sur le long et rectiligne pont Garagliano, qui relie le stadium à la rive droite de la Garonne, qu’allait naître la légende médiatique du Scalp. En préparation aux affrontements qui allaient suivre, des caisses de bouteilles explosives avaient été placées dans un hall d’immeuble de la cité Daste (quartier Empalot), rive droite, à la disposition de tous. Du coup, la rangée de CRS placée à l’entrée du pont dut reculer en désordre sous la charge de manifestants aussi bien équipés. Et c’est sous une pluie de grenades, cocktails Molotovs et autres billes d’acier, lancées par des frondes, qu’allait se dérouler la soirée. Ce fut ce que les médias appelèrent, avec un brin d’exagération, « la bataille du pont Garigliano ». Dans toute la France, on parlait du Scalp… et du FN, lequel, pour la première fois de son histoire, allait atteindre quelques jours plus tard le score de 11 pour cent à des élections nationales (pour les Européennes). Quant au Scalp qui, au départ, n’était qu’un de ces nombreux sigles destinés à disparaître après une action, il allait connaître, comme Le Pen, une carrière inattendue par ses promoteurs.

  … ET PERSISTANCE D’UN FOLKLORE

En effet, en parallèle à la montée du FN, une mouvance antifasciste à tendance libertaire allait se construire sur les cendres des actions du Scalp et des activistes toulousains ; mais cette mouvance allait avoir ceci de particulier qu’elle ne fera jamais de bilan de ces années-là. Le caractère gauchiste et sa violence minoritaire, réglés comme du papier à musique, le discours péremptoire et velléitaire, ne furent absolument pas remis en question. Bien au contraire, pendant près de 25 ans, sur ce thème il allait se vendre des T-shirts et des bières, des chansons et des badges… en entretenant ainsi une espèce de mythe de « l’antifa-radical » (antifascisme radical) ; le tout aboutissant à un folklore viriliste. Un folklore auquel il ne manque ni le langage guerrier ni les tenues pittoresques. Pourtant, quiconque a vécu de près ou de loin cette période ne peut que voir lui sauter aux yeux les différences avec les temps que nous vivons et comprendre combien ce folklore est inutile et dangereux. Nous sommes face à un pouvoir beaucoup plus répressif. En 1984, par exemple, malgré la violence des affrontements et des blessés graves, il n’y eut strictement aucune interpellation ni poursuite contre le Scalp ; seul l’attentat contre la salle des fêtes de la piscine municipale (qui l’avait rendue parfaitement inutilisable) donna lieu par la suite à une enquête et à quatre incarcérations. Autre différence de taille, face à la pression permanente du pouvoir, à ses pratiques répressives, la population adopte maintenant, et de plus en plus souvent, une pratique spontanée de résistance populaire aux antipodes des pratiques gauchistes et des réactions de l’époque, bien mieux encadrée par les partis et syndicats. Mais, comme sur ce folklore « antifa », certaines organisations de tendance libertaire allaient bâtir leur communication, voire leur Service d’Ordre (!), jusqu’au début des années 2000, ceci compensa cela, et on fit allégrement l’impasse sur le bilan et la réflexion. Ce qui aboutit au paradoxe actuel, qui est que, à un moment où une part de la population se défend spontanément avec des méthodes proches des pratiques libertaires et anarchosyndicalistes, certains libertaires continuent encore à promouvoir des tactiques gauchistes qui, sur le fond comme sur la forme, sont totalement obsolètes. Cette expérience d’instrumentalisation de la violence antifasciste, si elle avait été un tant soit peu réfléchie, aurait pu être bien utile. Un cas récent, celui de la manifestation toulousaine du 25 mars 2007 va nous permettre d’illustrer ce propos.

  LE PIÈGE DU 25 MARS

Tout commence par un message sur un site Internet régulièrement fréquenté par les policiers des Renseignements généraux. Un individu qui signe « un faf, une balle » (tout un programme !) appelle avec un ton enflammé à manifester contre le FN. Significativement, il argumente son plaidoyer, non pas par une analyse actuelle du rapport de force, mais en se basant sur un événement vieux de 10 ans, que de plus il connaît mal. La Préfecture de police, qui ne se cache même pas qu’elle se sert de ce site comme d’une source de renseignements, annonce très clairement et par avance, dans La Dêpêche du Midi [1], en évoquant le message de notre « un faf, une balle », « … qu’elle mettra en place, un dispositif adapté ». C’est dire que les places sont déjà réservées à la maison d’arrêt de Seysses. Les organisations qui appellent à manifester ne se donnent aucune peine pour déjouer le piège annoncé, elles vont faire exactement comme d’habitude, chacune avec ses spécifités. Les antifa se divisent, les uns fidèles à leur tactique gauchiste manifestent comme à leur habitude avec la gauche syndicale et réformiste qui réunit à grande peine 200 personnes. Les autres, plus autonomes, vont malheureusement servir de gibier aux 200 policiers qui étaient placés là pour faire du chiffre. Routine oblige, ni les uns ni les autres n’ont pris la peine de s’organiser unitairement pour réfléchir aux conditions de cette journée. On se contentera donc de passer à la télé et du folklore habituel. Le résultat parle de lui-même : sur 200 manifestants présents place Arnaud Bernard il y aura une vingtaine d’interpellations (10 % des présents), et cinq personnes sont à ce jour encore en prison, c’est tout simplement du jamais vu à Toulouse après une manif anti-FN.

  SOLIDARITÉ ET CLARIFICATION

Divisés le 25 mars, les libertaires toulousains se sont retrouvés pour organiser la solidarité envers les manifestants incarcérés. Le 3 avril, à l’appel public de la CNT-Vignoles pour constituer un comité de soutien, il y avait de tout dans leur local : des EDQ et du Scalp, des militants anticarcéraux, des squatteurs et de la CGA, de la CNT-AIT et même un chien. Mais, mis à part un membre de la LCR aux casquettes multiples et variées, il n’y avait pas un syndicaliste et encore moins un représentant d’un parti de gauche. Très significativement, ni les partis de gauche ni les syndicats, n’ont bougé pour cette solidarité et cela malgré les appels du pied d’un responsable toulousain des Vignoles qui (espérons que ce ne soit que pour cela) pour encourager les réformistes à participer au comité de soutien, n’a pas hésité à en appeler dans la presse locale au « principes républicains » [2] (sic). La réalité nous oblige à remettre les montres à l’heure. Suivre les syndicats, pendant les mouvements de masse comme le fit la CNT-Vignoles pendant le CPE, se joindre à eux lors d’une manif anti-Le Pen, est une tactique qui est, nous le voyons encore ici, totalement infondée sur le fond et totalement inefficace dans la forme. Les « révolutionnaires » qui attendent du soutien qu’ils apportent aux réformistes un « retour » lorsqu’ils en ont besoin se mettent tragiquement le doigt dans l’œil [3].

Jusqu’à quand donc va-t-on continuer de qualifier de sectaires les compagnons, comme c’est le cas de ceux de la CNT-AIT, qui ont simplement la clairvoyance de dénoncer avec virulence les pratiques des syndicats, comme par exemple l’absence totale de solidarité envers des prisonniers antifascistes ? N’est-il pas temps de faire cesser la confusion entre le syndicalisme (même camouflé derrière le terme de « révolutionnaire ») et l’anarchosyndicalisme ? Ces deux concepts n’ont rien à voir l’un avec l’autre. C’est peut être là l’occasion d’en débattre franchement et tous ensemble.

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