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Réflexions sur la Guyane

Publié le 27 avril 2017

Pendant près d’un mois, la Guyane a été en ébullition. La grève générale a été effective, des barrages ont été montés un peu partout, les principales administrations ont été fermées et l’accès au centre spatial guyanais de Kourou bloqué.

La Guyane est un territoire riche qui possède des atouts non négligeables. S’ils étaient développés à bon escient, ils pourraient faire de la Guyane un véritable Eldorado où il ferait bon vivre. Mais, il faudrait, pour cela, que l’exploitation des ressources obéisse à une politique sensée, à la fois tournée vers les besoins de tous les habitants - sans distinction aucune – et tournée vers les impératifs environnementaux ; non pas soumise à une politique obéissant aux principes capitalistes : l’appropriation et le pillage systématique destinés à toujours enrichir la haute-bourgeoisie qui s’en fout plein les poches sous la protection et avec la complicité de l’État. Les républiques bananières d’Amérique du sud, si proches de la Guyane, nous en donnent déjà de beaux exemples*1.

Pour en illustrer son potentiel, citons les sols qui regorgent de minerais ; l’or, le fer, la bauxite ou le diamant ; autant de ressources convoitées par les industries capitalistes. La proximité avec la forêt amazonienne lui donne accès à un écosystème singulier et luxuriant qui pourrait se prêter à bon nombre de recherches scientifiques afin d’améliorer la santé de tous. Les sous-sols marins qui bordent le territoire guyanais détiennent également un prodigieux potentiel. Malgré tout cela, c’est la misère et la précarité que l’on croise au coin des rues de toute la Guyane. Frontalière avec plusieurs pays d’Amérique du sud, la Guyane pourrait, pourtant, profiter de sa situation pour faire fructifier les échanges avec ses proches voisins. Mais, l’État force à importer les produits de première nécessité depuis la métropole ; ces mêmes produits dont le prix est majoré par le coût du transport et d’autres taxes spécifiques. La Guyane a un besoin pressant de développer ses infrastructures. Pour ce faire, elle a besoin d’ouvriers du BTP pour les voies de communication ainsi que pour la restauration et la construction de bâtiments.

Elle a besoin de personnels médicaux et d’enseignants. Mais bien que ce besoin d’emplois soit gigantesque, en 2015 déjà, le taux de chômage avoisinait les 22 pour cent (alors qu’il était de 9,7 pour cent en métropole). Les services administratifs et publics, ainsi que les empois relatifs au centre spatial, sont occupés en grande partie par des métropolitains qui cherchent eux-aussi à vivre de leur travail. Il est vrai que la place est bonne puisque les salaires sont conséquents, ainsi ceux des fonctionnaires sont majorés de 40 pour cent par rapport à la métropole au titre d’une prime d’éloignement. Ceci mène mécaniquement à une inflation et à un appauvrissement de la majeure partie des habitants. Le niveau de vie moyen est seulement égal à 33% de celui de la région parisienne.

Ceci en dit long sur la misère des classes populaires du territoire guyanais et il découle naturellement des constatations un fort taux de criminalité, alternative désespérée et symptôme de la misère sociale, pour subsister et pour réussir à "respirer" quel qu’en soit le prix. Autre paradoxe, l’État apparaît comme la cause réelle des problèmes et c’est pourtant encore vers lui que les guyanais se sont tournés pour trouver une solution en lui réclamant une enveloppe de plus de 2 milliards d’euros pour financer les développements dans le département. En tant qu’anarchiste, c’est une posture qu’il nous est impossible de défendre ; parce qu’elle parle d’argent et qu’elle en appelle à l’Etat – deux piliers du capitalisme – qui joue-là sur son terrain de prédilection. Il nous paraît ici plus pertinent de s’intéresser à la façon dont le message a été adressé à l’Etat plutôt qu’à son contenu.

Tout avait démarré à partir d’une grève pour l’emploi et de meilleures conditions de travail à EDF. A cela, étaient venues se greffer les revendications des transporteurs sous-traitants du centre spatial, puis celles des agriculteurs. Ensuite, ont été formés des collectifs d’individus touchés par la pauvreté et ses conséquences. Ils ont, ensuite, été rejoints par des personnels hospitaliers et des salariés de la société de maintenance du centre spatial. Les barrages ont fleuri, concrétisant une prise de contrôle du territoire. Placés devant le fait accompli, les syndicats ont dû se résigner à déclarer la grève générale, sans doute impatients de gérer la crise au profit de l’État. A travers les réseaux sociaux du net, les personnes ont pu communiquer et se coordonner. Les appels à mobilisations et les annonces des barrages et des blocages se sont répandues comme une traînée de poudre. Les programmes de la radio locale ont laissé place à des informations continues sur l’évolution du mouvement.

Afin de consolider le rapport de forces et de frapper là où ça fait mal à l’État, les blocages se sont naturellement orientés vers le centre spatial à Kourou. Paralyser cette activité lucrative a permis d’exercer une pression non négligeable pour se faire entendre. Si ce choix peut paraître aussi évident, c’est parce que, au vu de la gravité de la situation, il était nécessaire. L’action, pour les grévistes, était tout particulièrement intéressante par la dynamique qui s’était créée autour de chaque barrage. Là encore, des liens de solidarité sont apparus. Toute personne ayant participé à des piquets de grève peut ressentir et comprendre les moments forts que les guyanais ont traversé. Ce sont des moments pendant lesquels on échange, on partage et on construit dans l’instant le collectif et l’avenir. Le sentiment qui les animait ne pouvait être qu’exacerbé par l’ampleur du mouvement qui, loin d’être restreint à une seule entreprise, a résonné dans tout le territoire.

Une expérience collective a toujours une forte dimension sociale et, malgré l’abandon de la lutte, elle restera gravée dans les mémoires. Une assemblée, si elle est autonome, permet à tous de discuter des modalités et de la suite à donner à un mouvement de grève, des actions à mener et de la logistique. La prévision du maintien des barrages pendant les élections a remis en cause, pendant un court instant, la pertinence d’aller voter pour élire celui qui, de toute façon, perpétuera le système qui maintient les conditions du prolétariat guyanais au plus bas – et en connaissance de cause. Pourtant, la démocratie, la vraie, c’est le pouvoir des gens quand ceux-ci coordonnent les assemblées populaires où, tous ensemble, décident de la gestion des biens et des ressources, dans l’intérêt de tous.

C’est à cet endroit que nous pouvions formuler quelques réserves. Pourquoi se restreindre à des revendications auprès de l’État et ne pas oser de conquête plus ambitieuse ? Pourquoi ne pas étendre les principes d’assemblée populaire à l’ensemble des secteurs économiques et sociaux et coordonner ainsi l’ensemble du territoire en excluant toute structure étatique, tout contrôle patronal ? L’État, quant à lui, a joué son rôle, celui de sauvegarder les intérêts des classes dirigeantes. L’État a misé, comme à son habitude, sur l’enlisement de la situation et a cultivé les divisions sociales, tout en invoquant la fibre identitaire et l’état de droit.

Empêtrée dans ses paradoxes, la Guyane ne semble pas pouvoir assurer à elle seule ses besoins en matière de produits de première nécessité. Dans l’état actuel des choses, elle est dépendante, sur ce point, de la métropole, à l’instar d’un siège militaire. Les pénuries commençaient à naître dans des station services, et des magasins se sont vus dans l’obligation de fermer. Pourtant, la seule façon de faire perdurer la lutte était la solidarité, et l’enthousiasme qui l’accompagne. Ce n’est pas un hasard si on trouve de nombreux chefs d’entreprises et des conducteurs de travaux dans les marches réactionnaires du mardi 11 avril à Kourou et du mercredi 12 avril à Cayenne pour demander l’arrêt du mouvement de grève et des barrages, preuve que cette dynamique leur était, sinon hostile, du moins leur échappait-elle.

Illustration encore une fois de la collusion de l’État et des capitalistes. Ceci a, au moins, eu pour effet d’infliger un retentissant démenti à la déclaration de la ministre de l’Outre-mer qui prétendait s’adresser à un "Peuple guyanais" comme s’il s’agissait d’une unité indivisible, soudée dans une identité particulière, alors que ce qui s’est exprimé-là, c’est la fracture sociale, celle des inégalités économiques et du cortège idéologique qui les accompagnent. Rappelons encore que le Peuple est universel, et que celui-ci est en lutte partout dans le monde. Les pauvres sont les mêmes partout – ceux de Guyane ne diffèrent pas des autres.

L’État a sorti une de ses armes favorites : le vote. Il a invité les individus à abandonner les barricades pour se rendre aux urnes. Les hommes et les femmes qui participaient à ce mouvement social tenaient quelque chose de concret entre leurs mains, et il est dommage, pour eux et pour l’ensemble du prolétariat, de l’avoir laissé s’envoler contre quelques illusoires promesses de campagne ou de l’administration en place. Ne nous berçons pas d’illusions car, sans maintenir ou accentuer le rapport de forces et sans combat, il n’y a pas de victoire. De mémoire, citons la Tunisie de 2011, et rappelons comment l’espoir dans des élections ont mis un coup d’arrêt au mouvement émancipateur en renvoyant les gens chez eux alors qu’ils occupaient la place publique. La démocratie réelle, c’est l’anarchisme ; elle se fait par et pour les individus, dans les faits et non dans les textes. La démocratie réelle, c’est la démocratie directe, celle des gens, et elle n’est pas, et ne sera jamais, le pouvoir de quelques politiciens proclamés représentants, bien à l’abri dans leurs palais d’où ils nous expliquent, en dépit du bon sens, ce qui est bien ou mal de faire ; alors que les assemblées populaires sont, elles seules, à même de définir ce qui est bon et mauvais pour les gens qui les composent. Les individus sont capables de s’entendre entre eux, au-delà des coups de gueule, en s’affranchissant des hiérarchies sociales et du pouvoir, qui ne fait jamais qu’entretenir et gérer la misère sociale.

Un exemple : Dans les mesures proposées par le gouvernement - lequel est sur son terrain quand il peut marchander sur le montant des sommes qu’il faudrait allouer à la Guyane - la construction d’une prison, d’un pénitencier et le stationnement permanent d’unités de gendarmerie mobile montre de quelle façon l’État compte répondre aux problèmes sociaux. Des unités de gendarmerie mobile permanentes pour lutter contre la criminalité ? …

Un bon prétexte en attendant d’agir contre les mouvements sociaux que l’ État est ses nervis ne manqueront pas d’entraîner, s’il le peut, dans le spectaculaire du télévisuel pour mieux les criminaliser – à moins qu’un mouvement se nourrissant de la cohérence d’un vrai projet de société n’émerge. Il s’agit pour l’État d’accentuer la répression, d’exclure ceux qui n’ont pas d’autre alternative que la délinquance comme ceux qui sont les laissés pour compte pendant que d’autres absorberont de généreuses subventions – l’argent public - par tous les canaux possibles et imaginables sous l’œil complice de l’État. Ce dernier ne changera rien fondamentalement ; ce qu’il cherche c’est à perpétuer son pouvoir en arrosant la bourgeoisie guyanaise – des prisons pour les uns, des subventions pour les autres - afin que celle-ci se range derrière l’ État qui fait siens leurs intérêts. L’ État trouve, là, sa raison d’être : protéger les privilèges de quelques-uns contre une population désarmée qui s’est peut-être, pendant un court laps de temps, elle-même cherché une solution. Les prolétaires de Guyane, toutes "origines" géographiques confondues et unis par leurs seules conditions sociales, ne seront jamais mieux servis que par eux-mêmes.

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