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HOMMAGE AU COMPAGNON FELIX

Publié le 28 avril 2017

"Nous sommes des révoltés de toute les heures, des hommes vraiment sans Dieu, sans maître, sans patrie, les ennemis irréconciliables de tout despotisme moral ou matériel, individuel ou collectif, c’est-à-dire des lois et des dictatures (y compris celle du prolétariat) et les amants passionnés de la culture de soi-même."
Citation de Fernand Pelloutier (1867-1901)

Quand il voulait exprimer brièvement ce que cela signifiait d’être anarchosyndicaliste, c’était ces mots de Pelloutier qu’il utilisait. Cette citation, il avait choisi de la traduire en espagnol pour le premier meeting anarchosyndicaliste qui eut lieu après la mort de Franco. Ce 27 Mars 1977, un rassemblement massif avait été organisé par la CNT espagnole renaissante. Sans doute parce que la loi définitive d’amnistie ne fût votée qu’en octobre, sans doute parce qu’ils il n’avaient pas eu de passeport, et sans doute aussi à cause d’une certaine prudence héritée d’une longue clandestinité, les dirigeants de la CNT en exil avaient envoyé Félix en éclaireur pour les représenter. Ce jour-là, dans les arènes de San Sebastian de Los Reyes à Madrid, la présence de trente mille voix entonnant les hymnes anarchistes sans aucune intervention policière signa réellement la fin de la dictature. Félix était alors âgé de 24 ans et cette expérience le marqua pour toute sa vie. Tous ceux qui l’ont approché ont eu droit, au mois une fois, à sa description homérique de ces journées où, sous les couleurs du drapeau rouge et noir, toute une foule d’hommes et de femmes de tous les âges s’est enivrée d’une liberté perdue depuis près de 40 ans.

Dans le film « Furia Libertaria », nous pouvons ainsi le voir à la tribune composée de ceux qui, en prenant tous les risques, ont reconstruit la CNT intérieure. Il y a, là, Juan Gomez Casas, José Luis Garcia Rua, et il y a aussi des militants de la résistance libertaire tel Fernando Carballo. Ce dernier a défié Franco toute sa vie, et il le paye en sortant le dernier des geôles franquistes où il aura passé 26 ans, et Carballo prend la parole pour clamer que, en prison, il n’existe ni prisonniers politiques ni prisonniers de droit commun, il n’y a que des prisonniers sociaux. A la suite, les premiers comités de prisonniers verront le jour.

Parler de Félix, c’est se remémorer l’histoire contemporaine de ce mouvement pour lequel il a tant oeuvré des deux côtés des Pyrénées et, parler de cette histoire, c’est aussi pointer combien ces temps-là étaient emplis de joie et d’espoir.

Espoir, c’est justement le nom du périodique dans lequel il va collaborer dès son adhésion dans la CNT dans l’après mai 68. Il aimait à résumer ces journées, « une révolution sans révolutionnaires » disait-il « où tous les jours nous faisions le tour de la ville sans autre perspective que celle de recommencer le lendemain ». Dans les années qui suivent, la jeunesse dans son ensemble va profiter de cette libération. La contestation était à la joie, mais avec la joie, on ne fait que la moitié du chemin ; car, pour changer de société, il faut aussi de la volonté. A la différence de beaucoup d’autres, Félix a compris que le bonheur ça se conquiert.

Espoir, donc, parce que depuis 1961, lors d’un autre état d’urgence susbséquent à la guerre d’Algérie, les journaux de la CNT en exil avaient été interdits par le pouvoir gaulliste. [1] Espoir était le fruit d’un malicieux pragmatisme. En 1962, il devient l’organe de la CNT française alors pratiquement inexistante mais qui avait l’avantage de ne pas être frappée d’interdiction. Les pages extérieures étaient rédigées en français mais le reste l’était en espagnol à destination de la nombreuse militance de l’exil, laquelle était la vraie cible de Espoir.

Le rouge et le Noir, la joie et la volonté, l’interdit et l’autorisé, l’espagnol et le français, la ministre anarchiste. La première femme qui fut ministre en Europe était anarchiste et elle se nommait Federica Montseny. A la fois oxymore idéologique et monument historique, elle était alors réfugiée à Toulouse et dirigera la rédaction de Espoir, et si « j’ose dire » c’est sous son aile que Félix prendra la plume ; Comme Espoir est un hebdomadaire, c’est chaque semaine sous les pseudonymes de Peilharot (chiffonnier en toulousain) ou de Xavier Frolan (anagramme de Félix Navarro) que, pendant des années, il va alimenter les colonnes du journal confédéral. Cette expérience éditoriale lui servira par la suite pour développer une presse anarchosyndicaliste spécifiquement française.

Comme les vieux, de plus en plus vieux, nous quittaient, Espoir cessa de paraître en 1982. Les temps qui suivront seront moins drôles et moins enthousiastes. En Espagne, la machination criminelle de la Scala marquera le début d’une autre époque, celle des scissions. D’autres fantômes viennent agiter la société. En ce nouveau siècle, nos idées sont à la peine, et non seulement nous avons encore des maîtres de plus en plus vils et insolents, mais, sous un autre nom, voilà Dieu qui fait son retour. Le ciel s’assombrit, c’est le temps des épreuves. Et de façon insensible, Félix est devenu Papy.

PAPY, le temps des épreuves.

Traverser une épreuve, que le lecteur veuille bien un instant s’arrêter sur cette expression ; tous ceux et celles qui ont connu un coup du sort, un coup du patronat ou un coup d’État, tous ceux qui ont eu à affronter une affaire juridique ou un drame, savent en quoi cette situation est semblable à celle d’une traversée. Il faut faire face à de tels dossiers comme nous prenons la mer, nous nous embarquons pour une aventure dans laquelle il faudra surmonter bien des difficultés imprévues, des orages, des voies d’eau, des avaries et des trahisons ; de multiples obstacles seront à vaincre pour arriver au bout. Nous n’arrivons pas à l’autre rive d’un océan d’une seule enjambée, pas plus que nous n’enjambons le destin, nous le traversons d’une rive à l’autre. Et pour de tels voyages, Félix était l’équipier idéal.

Que ce soit pour défendre les travailleurs du bâtiment, ceux de l’éducation, les salariés des maisons de retraite, ceux de Utopia, les ouvriers de Nataïs, des aide-soignantes ou des employés de commerce, que ce soit des cas individuels ou dans des luttes collectives ... que cela se termine aux prud’hommes, en correctionnelle ou aux assisses, Félix prenait tous ces cas à cœur quelle que soit les juridictions. Comme il a blanchi sous le poids des procès et des tracasseries, les plus jeunes l’ont donc surnommé « papy ». Tous ceux et celles qui l’ont connu à de tels moments savent que face aux vents mauvais de l’exploitation éhontée et aux déferlantes de mauvaise foi, ce papy-là faisait preuve, dans la tempête, d’autant de courage que le marin le plus intrépide.

Nous avons vu cet homme, déjà malade, qui, de toujours, fut de faible constitution, frileux et casanier, répondre à l’appel d’une famille plongée dans une tragédie. Nous l’avons vu traverser la France en plein hiver, entrer dans le tribunal d’une ville qu’il ne connaissait pas, y défier le président de la cour d’assises, prendre la parole, contredire des experts aussi ignorants que prétentieux, et défendre ainsi brillamment une femme qu’il n’avait jamais vu. Tel était Papy. Tel il restera dans nos coeurs.

Le matin du 28 Février 2017, Félix « Papy » a traversé l’épreuve ultime, il a traversé ce que les grecs, de façon allégorique, appelaient le Styx, un fleuve que l’on traverse seul, et à jamais.

Les Compagnons de la CNT-AIT de Toulouse.

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