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UNIVERSITE DU MIRAIL NE M’APPELEZ PLUS JAMAIS JAURÉS

Publié le 23 décembre 2014

Notre fac, Toulouse-le-Mirail, s’est rebaptisée. Elle se fait maintenant appeler «  Jean Jaurès  ». Au vu des actes qui viennent d’y être posés par la direction, elle aurait plutôt dû se placer sous le parrainage de George Orwell et graver sur ses murs « 1984 » ou «  Novlangue  ». Et, si elle tenait vraiment à la référence qui est maintenant la sienne, le nom de « Raoul Villain » aurait été plus approprié.

Nul d’entre-nous n’avait l’habitude de voir évoluer des vigiles privés en grand nombre pendant la journée, même si la nuit ils avaient seuls, depuis longtemps, la charge de surveiller les locaux. Néanmoins, progressivement, et singulièrement depuis les dernières grèves estudiantines contre la LRU, la direction a pris l’habitude coupable de faire appel à des boîtes privées et de s’offrir des «  renforts » de vigiles.

Jusqu’au lundi 24 novembre - nuit tragique, on le verra plus loin- ces supplétifs restaient plutôt discrets. Le mardi 25 au matin ils étaient en nombre. Tous bottés de cuir, gantés et sanglés dans de noirs uniformes. Leur parade rappelait à certains d’entre-nous de bien tristes périodes. Quand au vocable "SÉCURITÉ", imprimé en gros caractères sur leur tenue de combat, il constitue un exemple significatif de l’usage que tous les pouvoirs font de la «  novlangue », celui de la fac étant en passe de devenir maître en la matière.

MACHISME INTOLÉRABLE

Ces mercenaires évoluaient d’un côté à l’autre, par escouades de 8 ou 10, l’air belliqueux. On lisait sur leurs visages une envie d’en découdre, on sentait à leur allure qu’ils étaient venus pour cela.

Virilité, muscles qu’on gonfle, tête altière, os des mains qu’on fait craquer avec un sourire narquois, tenues de combat, chiens agressifs... jamais un machisme aussi affiché, aussi assumé, aussi virulent ne s’était déployé dans notre communauté universitaire, jamais la force physique n’avait tant pris le pas sur la controverse. Jamais nous n’avions été soumis, contre notre gré, à un spectacle aussi intolérable.

Rien ne peut justifier un tel recours à la force. Même si depuis quelques semaines, la fac connaît quelque ébullition, à dire vrai bien modeste. Même si ce mardi était doublement jour d’élections (au CROUS d’une part, au SCASC -les œuvres sociales du personnel de la fac- de l’autre), d’autant que l’indigence des enjeux est connue de tous.

La posture inadmissible de ceux qui, en principe, devraient défendre bec et ongles les franchises universitaires, est l’expression d’un autoritarisme désastreux. Nos « responsables » en sont venus à ne tolérer aucune contestation, aucune critique.

Que des étudiants réclament plus de moyens pour l’enseignement supérieur leur est totalement insupportable (il est vrai que ce sont leurs copains qui nous gouvernent), qu’ils dénoncent le meurtre affreux du jeune Fraisse ainsi que les violences policières leur est incompréhensible.

ILS ONT LÂCHÉ LES CHIENS !

Mardi matin nous avons appris que la présidence avait non seulement fait appel à des vigiles mais qu’elle avait également engagé des chiens policiers. Lesquels (les hommes comme les chiens) se sont comportés dans la nuit de lundi à mardi en véritable milice privée, provoquant les étudiants grévistes qui dormaient sur place, menant contre eux de violents coups de main, allant jusqu’à leur jeter à la tête des tables et des chaises. Et n’hésitant pas à lâcher les chiens. Sans muselière. D’où on peut conclure que l’intention était bien de blesser. Mission «  réussie  » : un étudiant a été gravement mordu.

Cette violence (qu’on ne saurait qualifier de gratuite, puisque la présidence paye au prix fort ces vigiles) était tellement ignoble, tellement écœurante, que plusieurs membres du personnel ont eu le courage de se retirer et de refuser de continuer à participer aux agressions sauvages manifestement prévues pour le mardi. Honneur leur soit rendu.

Selon le modèle de Valls, véritable maître à penser de la réaction «  de gôche  », la présidence a bien été obligée de reconnaître la gravité de la situation, mais au lieu d’assumer la responsabilité politique et morale qui est la sienne, elle a tenté d’en faire porter la responsabilité aux étudiants grévistes. Les syndicats n’ont rien dit. Il y a pourtant tant à dire...

Les étudiants de Jean Jaurès viennent de découvrir certainement une des faces sombres de la société dans laquelle on veut les faire vivre sous le doux nom de démocratie. Ils sauront désormais que, quand ils acquittent leurs droits universitaires, ils payent les chiens chargés de les mordre. Il y a maintenant au moins une université où ça se passe comme ça. La communauté universitaire internationale doit le savoir. Ce n’est probablement pas ça qui va nous faire «  monter  » dans le fameux «  Shanghai  » [1]

JAURES AURAIT EU HONTE

Oui, Jaurès aurait eu honte qu’on associe son nom à de tels agissements.

J’entends d’ici le murmure réprobateur de ceux qui me reprocheront de «  faire parler un mort ». Mais je ne fait pas parler Jaurès. Bon lecteur de son œuvre, je reprends simplement mes notes. Que ce soit dans « L’armée nouvelle », « Études socialistes », « Vers la république sociale », «  Les Deux Méthodes » et cents autres livres, brochures, articles ou discours, une chose est sûre  : jamais au grand jamais je n’ai lu dans Jaurès qu’il préconisait qu’on lâchât des chiens sur des manifestants.

L’œuvre de Jaurès est à l’inverse pleine d’humanité, de tolérance.

Chers collègues, si vous vous donniez la peine de lire (ou de relire, pour ceux qui ont encore un vernis de cet humanisme érudit devenu si rare dans nos milieux), ses discours à la jeunesse, vous pourriez peut-être vous reconnaître dans celui d’Albi (« … parmi ceux qui font profession de défendre le monde moderne, de continuer la tradition de la Révolution, la plupart désavouent … la démocratie. ») et vous apprendriez, dans celui de Toulouse, qu’il pressait la jeunesse de préserver sa liberté, de rester elle-même, de vivre pour autrui (Rémi Fraisse a-t-il fait autre chose ?), de se créer des « individualités énergiques et résistantes » qui sachent résister aux dérives des institutions et qui y fassent passer « la liberté et la fierté de vos âmes. ».
Ainsi parlait Jaurès. Les étudiants grévistes l’ont compris, pas vous.

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