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L’état, votre pire ennemi

Publié le 7 avril 2014

« L’État le plus petit et le plus inoffensif est encore criminel dans ses rêves. »
Michel Bakounine

«  Hommes et femmes, savez-vous que l’État est votre pire ennemi ? C’est une machine qui vous écrase pour mieux soutenir vos maîtres. Ceux que l’on nomme la classe dirigeante. L’État est un pillard à la solde des capitalistes et vous êtes naïfs d’en attendre du secours. »
Emma Goldman (1893)

Force nous est de constater que ce texte, écrit voici plus d’un siècle par l’anarchiste américaine, Emma Goldman n’a rien perdu de son actualité : notre société est de plus en plus étatique et l’immense majorité des populations voient en l’État un défenseur. Pourtant comme au XIXe siècle sa fonction est évidente : maintenir l’ordre existant, faire en sorte que cette société perdure malgré ses formidables inégalités, ses criantes injustices, les horreurs de toute sorte qu’elle génère.

La fascination que l’État, « ce plus froid des monstres froids » (Nietzsche) exerce sur les humains est même plus forte qu’au XIXe siècle car, en ce début de XXIe siècle, même des personnalités se réclamant de l’anarchie en viennent à lui trouver des qualités. C’est que l’État dissimule bien sa véritable nature. Pour comprendre ce paradoxe, regardons ses origines. Les premières sociétés humaines, celles que les explorateurs des siècles passés décrivaient « sans loi, sans foi, sans roi » étaient sans État [1]. Les anthropologues modernes, nous disent qu’elles pratiquaient un « communisme primitif », qu’elles étaient égalitaires, indivisées sur les plans politiques et économiques, sans hiérarchie, sans chef, sans État [2]. Dans son livre « La société contre l’État », Pierre Clastres, nous montre que les membres de ces sociétés ne souffraient pas de ce manque d’État ; au contraire, ce manque émanait de la volonté générale et la politique dans ces sociétés consistait en tout ce qui s’opposait à l’apparition de quelque forme que ce soit de pouvoir. Quand un individu manifestait une volonté de domination, on le chassait ou s’il persistait on le tuait. Ces sociétés refusaient l’État même sous sa forme minimale qui est la relation de pouvoir ; elles étaient contre l’État.

Ces sociétés ont fonctionné ainsi pendant de très nombreux millénaires, puis pour des raisons inconnues, voici quelques dizaines de siècles [3], elles se sont divisées sur les plans économiques et politiques. Sur le plan économique entre riches et pauvres, exploiteurs et exploités. Sur le plan politique, entre dominants et dominés, ceux qui donnent des ordres et ceux qui obéissent….

Les marxistes nous disent que la division s’est d’abord effectuée sur le plan économique. Karl Marx n’admet en effet comme causes d’un changement social que des causes économiques. Les marxistes ont par ailleurs une conception instrumentale de l’État ; pour eux c’est simplement un outil au service de la classe dominante qui s’en sert pour assurer sa domination sur les autres classes. L’État apparaît donc nécessairement après la division de la société en classes, après la formation d’une classe dominante de riches exploiteurs. Cette conception justifie la stratégie de tous ceux qui se revendiquent plus ou moins de l’analyse marxiste — de la social-démocratie la plus soft jusqu’aux versions les plus extrêmes du communisme (castrisme, maoïsme, trotskisme,…). Puisque l’État, pensent-ils, est un simple outil au service de la classe dominante ; il suffit de s’emparer de cet outil (peu importe le moyen : élections, lutte armée,…) pour le mettre au service de nouvelles finalités. Remarquons sur ce point qu’Emma Goldman commet la même erreur que Marx, puisqu’elle voit dans l’État un «  outil à la solde des capitalistes ». C’est qu’elle est, victime comme tant d’autres de la prégnance de l’idéologie marxiste qui a conduit le mouvement social dans les impasses que l’on sait.

Dans son ouvrage « Entretien avec l’anti-mythes » [4], le grand ethnologue, Pierre Clastres développe une autre conception. L’étude des sociétés primitives montre que le développement d’une classe d’exploiteurs dans ces sociétés est impossible La première division nous dit-il, ce n’est pas la division entre riches et pauvres, entre exploiteurs et exploités ; « La première division, celle qui fonde toutes les autres, c’est la division entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent, c’est-à-dire l’Etat, parce-que fondamentalement (…), c’est la division de la société entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui subissent le pouvoir. Une fois qu’il y a ça, c’est-à-dire la relation commandement/obéissance, c’est-à-dire un type ou un groupe de types qui commandent aux autres, tout est possible à ce moment-là ; car celui qui commande a le pouvoir de faire faire aux autres ce qu’il veut » et il peut leur dire « Travaillez pour moi ! ». Et la première chose que va faire le nouveau pouvoir pour affirmer son pouvoir sera, nous dit P. Clastres, de prélever un tribut ; « le premier acte de l’homme de pouvoir, c’est d’exiger le tribut, paiement du tribut de ceux sur qui il exerce le pouvoir ». Et qui dit tribut dit des gens pour le prélever, pour le compter, pour le stocker, pour le protéger…. Ainsi, apparait une classe de fonctionnaires, de soldats, de religieux au service de l’Etat, coupée du reste de la société et dépendant pour sa survie des autres classes car ne produisant que des services. En conséquence nous dit P. Clastres, « Il (me) semble moins que l’Etat soit l’instrument de domination d’une classe, donc ce qui vient après une division antérieure de la société, et que c’est au contraire l’Etat qui engendre les classes ». De multiples exemples, occidentaux ou non-occidentaux dont certains très contemporains permettent de le démontrer : ainsi, après la révolution de 1917, il n’y a plus en URSS, de division de la société en classes puisque la classe des exploiteurs (aristocratie, propriétaires terriens, bourgeoisie) a été supprimée. Seul, l’État, tout puissant, subsistait et il a recréé très vite une classe dominante de bureaucrates, de soldats de policiers. Car pour exister, l’État a besoin absolument d’une classe à son service.

La conception marxiste de la révolution, envisagée comme un mouvement en deux phases (dans une première phase, on abolit la division exploiteurs/exploités ; la division politique s’abolit nécessairement dans une deuxième phase puisqu’elle est issue de la précédente) est donc fausse. Comme nous l’enseignent les mythes antiques, pour éradiquer les monstres, il faut impérativement couper toutes leurs têtes à la fois.

L’apparition de l’État signe bien sûr la mort des sociétés communistes primitives  : division de la société en classes antagonistes, apparition du travail aliéné, de la marchandise, des villes… et en corollaire effondrement des anciennes valeurs remplacées par celles qui dominent toujours dans nos sociétés : culte du pouvoir, de la propriété, de la richesse, de la croissance, exacerbation de la concurrence….

L’État est donc à la fois le « marqueur » de la division politique de la société dominants/dominés (la présence de l’État signale obligatoirement la division de la société) et le producteur de la division économique exploiteurs/exploités (il est la source des inégalités, des injustices). La lutte pour la construction d’une société indivisée sur les plans politiques et économiques, est donc une lutte contre l’Etat, la construction d’une société de ce type (ce qui est le projet anarchosyndicaliste) exige l’abolition de l’État.

Si le retour à une société communiste primitive est impossible, la construction d’une société indivisée sur les plans politiques et économiques (ce qui est le projet anarchosyndicaliste) est plus nécessaire que jamais : vu la taille et la complexité de nos sociétés modernes, il est probable que les populations soient amenées à mettre en place des organes issus de leur sein, contrôlées en permanence et révocables à tout moment, en charge non du gouvernement des personnes mais de l’administration des choses. Ces organes ne seront en aucun cas des États.

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