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PROBLÈME PARTICULIER & SITUATION GÉNÉRALE

Publié le 11 décembre 2013

PROBLEME PARTICULIER & SITUATION GENERALE

J’ai lu le texte «  Prostitution, mariage, travail  » dans «  Anarchosyndicalisme !  » n°132. Cet article pose quelques questions de fond suivant la logique « un problème particulier n’est souvent que l’expression d’une situation générale ».

La prostitution sexuelle est le fait de vendre son corps contre de l’argent ou autres gratifications. Le corps et le sexuel sont alors des marchandises dont l’échange se fait selon la règle de l’offre et de la demande ; selon le principe libéral du marché et de la contractualisation entre individus libres et consentants. Le capitalisme applique constamment cette logique  : notre corps, est une force de travail qui se vend comme une marchandise en fonction d’un contrat (salariat). Celui qui vend son travail reçoit un salaire et le capitaliste tire de lui une plus-value. Cela explique, que certains disent que le salariat est une des formes de la prostitution. Face à cette exploitation il y eu et il y a plusieurs positions. Certains salariés trouvent normal ce rapport et se rangent sous la bannière de leur employeur. Ils sont contre l’action syndicale, sont anti-grévistes et se contentent – et parfois soutiennent - des positions patronales. De l’autre côté, certains salariés contestent cette condition. Certains entendent la négocier au mieux, d’autres – pas assez nombreux à mon gré - entendent l’abolir. Telle est l’histoire du salariat.

En parallèle, il y a lieu de faire un distinguo entre ceux qui légitiment ce fait de prostitution et ceux qui, bien que contraints à cela, se battent contre. Dans ce cas, le rejet de l’exploitation et de l’oppression n’est pas le refus du constat d’une réalité éminemment complexe mais la volonté de la transformer en tenant compte justement de ses différents aspects, dont la logique du capitalisme qui est celle de l’expansion de la marchandise. Ceci implique la conquête des marchés supranationaux (mondialisation) mais aussi la création de nouveaux marchés. Cet ainsi que l’espace domestique s’est trouvé progressivement envahi par le capitalisme : travail à domicile, bien d’équipements ménagers plus ou moins utiles (et même parfois futiles), consommation marchande [1]… Depuis quelques temps nos organes, cellules, ADN et tout ce qui touche la reproduction humaine sont aussi des marchandises [2]. C’est que, pour le capitalisme les détenteurs de capitaux doivent pouvoir, tout acheter et tout vendre pour faire de l’argent.

La conséquence de l’extension de la marchandisation, ce sont des conditions de vie lamentables qui forment l’ordinaire d’une fraction variable de la population. Certains, sans renoncer à changer le fond, essaient d’améliorer cet ordinaire. D’autre veulent sauvegarder le fond en se contentant d’apporter quelques retouches à l’ordinaire (au moins pour la façade). Ce sont ces derniers qui promeuvent la loi pénalisant les clients de la prostitution, en évitant soigneusement d’attaquer la prostitution générale (c’est-à-dire le capitalisme). Ces gens « de gauche » nous refont le vieux truc du retournement de la responsabilité selon lequel ce ne sont pas les trusts, les patrons, les industriels, les capitalistes, les idéologues du système qui sont les responsables. Non ce seraient : le chômeur (fainéant, profiteur, assisté et mal qualifié), l’acheteur (qui veut de la nourriture pas chère et qui réclame des colorants et des agents de saveur), le malade (trop anxieux, qui se gave de pilules), le salarié (trop coûteux et revendicatif) ; le vieux (qui dure trop d’années sur le dos des futures générations), etc. C’est la bonne méthode révisionniste qui consiste à travestir la victime en bourreau.

Alors retournons l’argument. Les prostituées de luxe ou celles qui défendent le droit de faire fortune avec du sexe ; les clients qui considèrent que la sexualité c’est l’autre dont on peut se servir comme d’un paillasson, les cadres et autres bien argentés qui, trop stressés à la sortie du travail comme au Japon ; vont se défouler et récupérer un peu d’endorphines… Je n’ai pour cette engeance que nausée. J’ai plus de compassion et de compréhension pour ceux que la misère, la maltraitance, ou tout simplement la nécessité de gagner leur vie conduisent à se prostituer. Beaucoup n’en font pas l’apologie. Il suffit de les écouter ou de les observer pour comprendre le malaise, la souffrance, qui envahit souvent leurs existences.

La prostitution doit être aussi analysée dans ses rapports de classe. Se pose ici la question de la revendication d’un statut spécifique de travailleur et travailleuses du sexe. Est-ce une solution ? En tout cas, il faut la replacer et la réfléchir dans le cadre de l’extension de la marchandisation soulignée plus haut. Y aura-t-il demain des travailleurs de la reproduction qui vendront ce qui ne sera même plus un enfant mais un produit ; des travailleurs du bien-être qui tarifieront un sourire, une gentillesse ; des travailleurs de la réparation corporelle qui marchanderont leurs organes ; des travailleurs du festif qui céderont contre espèces sonnantes et trébuchantes des miettes de bonheur préfabriqué ; peut-être même des travailleurs de la contestation qui monnayeront leurs manifestations  ? Remarquons que nous n’en sommes parfois pas très loin… Et que deviendra la sexualité considérée comme un secteur de l’économie, régie par les mêmes règles commerciales que l’épicerie ? Il y aura le travailleur indépendant, l’artisan, la PME, la multinationale... Les prostitués (hommes ou femmes) seront éventuellement rebaptisés acteurs de terrain ou agents de service. Peut-être même des formations qualifiantes seront-elles créées et des diplômes exigés, sans compter l’arrivée des syndicats de toute obédience et le lobbying patronal, avec toutes les contradictions d’usage. Les petites entreprises demanderont des mesures de protections face aux multinationales. La gauche demandera soit de taxer les bénéfices pour permettre l’accès de tous au service hygiène sexuelle soit la nationalisation des entreprises privées pour établir un vrai service public de la sexualité. L’extrême droite vitupérera contre l’usage massif d’étrangers et exigera la préférence nationale pour « nos » prostituées. L’extrême-gauche se battra pour la libre circulation des travailleurs du sexe. Les libéraux prouveront que la concurrence faite par la sexualité libre et gratuite constituera une atteinte grave au commerce de la sexualité et exigeront la prohibition de la gratuité ou du moins sa taxation. Les technocrates et politiciens, dans la foulée, créeront des dispositifs pour empêcher la sexualité libre. Pour des raisons de santé, d’hygiène, de contrôle, ou dans l’intérêt de la nation il faudra se rendre dans les centres habilités selon le « décret du … ». Les salariés lutteront contre les cadences infernales qui leur seront imposées. Les usagers critiqueront la sexualité à deux vitesses (une pour les riches, l’autre pour les pauvres).

Je ne sais pas si ce scénario se réalisera, mais, en attendant, je refuse le capitalisme et l’extension de la marchandise. Je refuse que la sexualité devienne exclusivement une marchandise et le sexe une force de travail. Je refuse que tout sourire ; rapport sexuel ; amitié, gentillesse, que la vie privé et intime deviennent systématiquement des choses à argent. Pour autant il est évident que la pénalisation du client non seulement ne résoudra rien mais qu’elle conduira à des pratiques encore plus clandestines avec toutes leurs conséquences négatives pour les prostitués (hygiène, sécurité, renforcement du proxénétisme, etc.) et qu’elle se traduira par une augmentation du contrôle policier sur la vie de chacun. De plus les rapports marchants étant inhérents au capitalisme, toute tentative en son sein d’endiguer ou supprimer la marchandise est une illusion. Pour supprimer les inhumanités, il faut détruire le capitalisme et non l’accommoder. Ceci nous amène à constater que, dans la mouvance anticapitaliste, on trouve des positions pour le moins paradoxales. Au nom de la lutte anti-patriarcale, du féminisme, de la pureté anticapitalistes ou autres convictions, certains, y compris des libertaires [3], sont abolitionnistes et soutiennent sans réserve la pénalisation du client. D’où des positions surprenantes, non dénuées d’arrières pensées tacticiennes ou électoralistes. Ceux qui, bien que contre la prostitution, s’opposent à la pénalisation ou même simplement agréent quelques revendications minimales de certaines et certains prostitués, se trouvent qualifiés par les abolitionnistes d’agents du capitalisme, de sexistes, etc. Les mêmes (ou du moins certains d’entre eux) ne sont plus aussi puristes quand, dans les syndicats de collaboration de classe dans lesquels ils militent, ils défendent (sans succès d’ailleurs) des revendications salariales minimales ; ce qui, bien qu’ils le prétendent, ne consiste pas à abolir l’exploitation mais à négocier le taux de cette exploitation. De plus, ces mêmes militants qui se prétendent anti-étatistes et qui souvent vouent aux gémonies l’État comme mal absolu lui demandent maintenant, ni plus ni moins que de faire une loi répressive de plus pour rétablir la morale. En légitimant ainsi l’État, ils acceptent sa fonction idéologique, son contrôle et son emprise de la sphère privée ; mais surtout, ils demandent en quelque sorte au vice de se faire vertu (puisque le dit État est le garant de cette société basée sur l exploitation et la domination). Tant qu’ils y sont ils pourraient demandés aux dictateurs d’être démocrates ; aux patrons d être nanti-capitalistes. Remarquons d’ailleurs que ces mêmes donneurs de leçons manifestent en Bretagne avec les dits patrons. Dur dur pour ces d’abolitionniste de la prostitution sexuelle de pousser la logique de la lutte de classe, jusqu’à dénoncer la prostitution générale. Je suis donc convaincu que la prostitution sous toutes ses formes ne peut trouver de solution dans ce système.

Jean Picard Caen le 18-11-2013

NB : Cette question de la prostitution a été débattue dans notre union locale de Caen. Cela fut fertile et permit d approfondir la réflexion. Si le calendrier le permet nous essaierons de faire un texte à partir de ce débat.

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