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Nataïs La grève, c’est comme le pop-corn : si ça chauffe trop, ça éclate

Publié le 13 mars 2011

Au milieu des bois, des champs, et des vignes, dans le paysage
paisible et vallonné du Gers, l’entreprise Nataïs, posée au
croisement de quelques départementales sinueuses, fabrique, à
la tonne, du pop-corn industriel. Dans un contexte aussi bucolique,
on s’attendrait à de paisibles conditions de travail...

Mais, même au plus profond du
Gers, le rendement c’est le rendement.
La trentaine d’ouvriers (sur un
total d’une centaine d’employés) qui
réalisent la production et la distribution,
en savent quelque chose : à
Nataïs on bosse même le dimanche
et on fait les trois huit. Un rythme
exténuant, avec au bout du mois, des
salaires bas de gamme et une énorme
précarité : les contrats courts
succèdent au contrats brefs.
Combien sont-ils, ou plutôt,
combien sont-elles (car ils s’agit le
plus souvent de femmes divorcées,
séparées, avec des enfants à charge...),
ces précaires qui se sont succédé(
e)s depuis la création de l’entreprise
 ? Plusieurs centaines assurément,
peut-être quelques milliers ?
Quelqu’un a-t-il pris seulement la
peine de les compter ? Et pour ceux
qui sont en CDI, c’est l’annualisation,
signée par la CGT, qui permet
des modifications incessantes de
rythme, une flexibilité épuisante
pour les salariés. « Epuisant », c’est
peut-être le mot qui revient le plus
souvent dans leurs bouches et qui
résume le mieux les conditions de
travail de celles et ceux qui sont à la
chaîne de production, à la distribution
ou au volant des camions.

Si les uns sont épuisés, d’autres se
remplissent les poches ! Nataïs, en
2010, a généré un chiffre d’affaire de
25 millions d’euros (réalisé essentiellement
à l’export) et avoué 840 000
euros de bénéfices nets. Pour l’année
actuelle, c’est encore mieux, et les
prévisions avancent un bénéfice
substantiel pour le bénéfice net : ce
sera au moins 1 200 000 d’euros en
2011.

D’un côté des salaires de misère,
des conditions de travail éprouvantes.
De l’autre des revenus (salaires
des chefs) confortables et des bénéfices
rondelets. C’est comme ça à
peu près partout dans « le monde du
travail ». C’est comme ça, jusqu’à ce
qu’un petit grain de sable se décide à
venir ralentir la machine bien rodée
de l’exploitation. A Nataïs, ce petit
grain de sable (que chacun d’entre
nous peut devenir) commençait
vraiment à trouver qu’on le chauffait
de trop. Il avait beaucoup parlé au fil
des mois avec d’autres salariés sur les
conditions de vie et de travail, sur ce
« qu’on pourrait faire ensemble pour
que ça change ». Tout ça sans aucune
précipitation, en prenant le temps
qu’il faut. Finalement, un beau jour
de janvier, un petit tract tout simple,
tout vrai, tout frais a éclos comme
par miracle dans le casier de chaque
salarié. Oh, rien d’extraordinaire, des
revendications de base : « 13e mois.
Augmentation salariale de 130 euros par
mois. Stop à la précarité. Conditions de
travail dignes. Retour à la mensualisation.
 » des revendications suivies de
deux questions basiques : « Etes-vous
satisfaits de vos revenus ? De vos conditions
de travail ? » et surtout d’une
observation essentielle : « N’oubliez
pas ! Ils ne sont grands que parce que
nous sommes à genoux ». Le tract se
concluait par un rendez-vous sur le
parking du chargement le mardi 1er
février à partir de 6 h pour une grève
de durée indéterminée.

La CGT, qui dans le Gers
comme ailleurs, a besoin de se refaire
une image après son sabotage de
la lutte contre la réforme des retraites
cet automne, a aussitôt réagi : un
tract, pratiquement copie conforme
du premier, a été publié par elle.
Au matin de ce 1er février donc,
la grève a commencé avec un petit
noyau de salariés, tous issus de la
production et de la distribution. Le 4
février, la grève était arrêtée : le
patron avait cédé sur ce qui, pour les
grévistes, était une part importante
des revendications : le 13e mois.
Pourquoi une victoire si rapide ?
L’explication est simple : elle réside
dans la méthode employée par les
grévistes qui n’a laissé aucune place
aux manœuvres habituelles qui permettent
aux syndicats et au patronat
de noyer le poisson.

Petite chronologie

Mais revenons sur les événements.
La grève était à peine commencée
depuis deux heures à l’aube
du 1er février 2011 qu’à la surprise
totale des grévistes (et manifestement
aussi à celle de la direction) des
policiers des Renseignements généraux
débarquaient sur le site. La
seule à ne pas avoir l’air surprise de
cette arrivée, c’était la CGT. Vu les
liens d’affection immédiatement
noués entre la CGT et les RG (ils
buvaient le café ensemble), il n’est
pas difficile de deviner qui a appelé
cette police politique... (Les gendarmes,
appelés par la direction, ne sont
arrivés que quelques heures plus
tard, et, eux aussi avaient l’air surpris
d’avoir déjà des collègues sur place).
Cette arrivée policière intempestive
n’a pas réussi à impressionner les
grévistes : toute la production était
arrêtée et un blocage avec des palettes
empêchait tout chargement du
stock par les camions. Tout de suite,
les grévistes ont pris une importante
décision : tout devait être décidé par
l’assemblée des grévistes.

La direction ayant voulu négocier,
une délégation de quatre grévistes
est montée, mais avec la consigne
de ne rien signer du tout sans en
avoir référé à l’assemblée. Le délégué
de la CGT, également présent « en
haut », a essayé de « négocier ». La
délégation lui a rappelé qu’il ne
représentait pas les grévistes. Le
patron a refusé de lâcher quoi que ce
soit.

Le lendemain, le préfet avait dépêché sur les lieux un grand chef
de l’inspection du travail et un non
moins grand chef de la direction
départementale du travail... les gendarmes
étaient présents eux-aussi...
Une délégation est remontée,
toujours avec la même consigne,
mais constituée de salariés totalement
nouveaux par rapport à la
veille. Quatre heures et demi de blabla
patronal, et puis, au bout du
compte, rien. Le soir, les grévistes
ont dormi sur place, dans leurs voitures
(par moins 5 degrés).

Le troisième jour, une délégation
est également montée. Toujours
avec les mêmes principes, mais totalement
renouvelée. Elle a rappelé la
décision de continuer la grève, a fait
taire la CGT et a déclaré qu’il n’était
pas question de parler des heures
pour rien comme la veille. Le patron
faisait mine de vouloir négocier sur
les conditions de travail et la précarité
(ça fait des années qu’ils doivent
arranger ça ; promesses, promesses...)
mais refusait toute mesure
salariale. Et, pendant qu’en haut la
pseudo-négociation commençait à
traîner... en bas, un huissier était en
train de distribuer les assignations
pour le tribunal : les grévistes étaient
convoqués au tribunal pour le lendemain
(comme quoi, la justice sait
être rapide...) avec des menaces
d’astreintes de 1 000 euros par personne
et par jour et avec la menace
planante d’une charge de CRS.

Devant une telle attaque contre
leurs droits élémentaires, les grévistes
ont décidé de mettre fin aux
négociations « en haut », de faire
redescendre tout le monde (dont la
CGT qui, pendant ce temps, s’apprêtait
à signer on ne sait quoi) et de
donner 5 minutes et pas plus à la
direction, si elle voulait vraiment
négocier, pour venir le faire, en bas,
avec tout le monde, disant que faute
de cela, il faudrait les déloger par la
force. 5 mn après, la direction était
en bas, et, après quelques nouvelles
tergiversations auxquelles les grévistes
répondirent en tournant le dos et
en allant manger des merguez, elle
cédait sur une partie des revendications,
essentielle aux yeux des grévistes
 : la transformation d’une prime annuelle (représentant jusqu’à présent
1/3 du salaire) en 13e mois
plein, à quoi s’ajoutaient des engagements
sur la précarité et la pénibilité.
Elle retirait également les poursuites
judiciaires.
Contents de ce qu’ils ont obtenu,
les grévistes ont arrêté le mouvement
 ; mais, pas naïfs, ils restent soudés
au cas où la direction voudrait
prendre des mesures de rétorsion.
Nous entendrons donc peut-être
reparler de Nataïs, qui sait ?

Quelques leçons

Tout d’abord, un fait : comme le
patron ne s’est pas privé de le dire
dans la presse, les grévistes n’étaient
qu’une minorité : une grosse quinzaine
sur la trentaine d’ouvriers
(auxquels s’ajoutent 70 employés et
cadres). En soulignant ce petit nombre,
le patron voulait peut-être indiquer
que le mouvement n’était pas
légitime, sans se rendre compte qu’il
s’agit d’un terrain glissant : si 15 c’est
peu, 1, c’est encore moins... Si le
nombre fait la légitimité, le moins
légitime, finalement, c’est lui.

Ensuite, cet exemple montre que
ce n’est pas parce qu’on est minoritaire
dans une entreprise qu’il faut se
laisser faire, encore moins quand
c’est sur la minorité en question que
repose toute la prospérité de l’entreprise
 ! Elle l’a démontré facilement :
dès qu’elle a cessé le travail, tout s’est
arrêté ! Ajoutons que personne des
« bureaux » ne s’est joint aux grévistes.
Tant pis pour eux : les cadres se
passeront de 13e mois, ils ne sont
pas concernés par l’accord de fin de
grève. A moins qu’eux aussi se lancent
dans une lutte.

Deuxième fait essentiel : la marginalisation
des syndicats. Ici, il n’y
en avait qu’un, la CGT. N’empêche,
si la grève a pu être conduite avec
succès, c’est parce qu’aucun pouvoir
ne lui a été laissé. A l’inverse, le fait
que toutes les décisions aient été prises
par l’ensemble des grévistes a été
la clef essentielle du succès. Le
renouvellement total, jour après
jour, des délégations a été également
un facteur très important : aucune
connivence ne pouvait s’établir,
contrairement à ce qui se passe entre
« professionnels du syndicalisme » et
patrons. De plus, les grévistes (dont
des adhérents de la CGT qui ont
déchiré leur carte pendant le mouvement)
ont compris quel était le jeu
des syndicats institutionnels.

Ce qui s’est passé à Nataïs peut se
passer partout, et, si ça se passe partout,
ce sera en mieux et en plus fort.
Il suffit que les « petits grains de
sable » se décident à bouger, là où ils
sont, intelligemment, tranquillement...
La meilleure preuve de ce
que nous avançons, c’est le déploiement
de moyens totalement disproportionné
 : des policiers des renseignements
généraux accourus en
urgence et présents en permanence,
des gendarmes très présents également,
la menace d’une intervention
des CRS, un responsable de l’inspection
du travail accompagné d’un
chef de la direction départementale
du travail mobilisés pratiquement
jour et nuit, une liaison permanente
téléphonique avec le préfet (par ses
représentants mais aussi par la CGT
semble-t-il), un huissier, un tribunal
prêt à juger les grévistes dans des
délais records... tout ça pour à peine
une quinzaine d’ouvriers qui revendiquaient
des choses basiques dans
un secteur pas du tout stratégique (à
moins que le pop-corn soit devenu
un enjeu international, avec Sarkozy,
on ne sait jamais...) dans un coin de
la campagne la plus profonde... Un
tel déploiement de forces traduit une
grande inquiétude : manifestement,
le pouvoir craint la contagion...

P.

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