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Monsieur Woerth n’y est pour rien

Publié le 22 novembre 2010

  Tragi-comédie en nombreux actes et autant d’escroqueries

L’affaire Bettencourt, c’est un vaudeville, une farce grotesque,
pleine de quiproquos, de vielles ficelles usées et
maladroites. Mais, en lieu et place d’amants cachés dans le placard,
ici ce sont des milliards qu’on enterre dans l’île au trésor,
des tours de prestidigitation comptable et autres escamotages
de preuves à charge. C‘est du grand cinéma, Paris qui se prend
pour Hollywood.

Quelques critiques aigris ont
déclaré qu’il y aurait un point noir au
tableau : la piètre prestation de certains
acteurs qui les rendrait peu crédibles,
notamment « cestuy-là » qui
joue le rôle de la vierge effarouchée,
au centre pourtant de multiples intrigues,
et qui sans l’ombre d’une hésitation
nous jure, à tue-tête, sur sa
morale, qu’il est victime d’une vaste
conspiration contre sa personne.
Son flegme quasi-british trop exagéré
le rendrait, d’après ces critiques,
hautain, et jetterait un discrédit sur
l’ensemble de la pièce ainsi que sur
les acteurs restés dans l’ombre, et qui
se cacheraient derrière lui. Il n’en est
rien : comme le « coupable évident »
de tous les romans policiers, si
Monsieur Woerth est raide, peu crédible,
oublieux de « détails », méprisant,
antipathique,... c’est justement
pour nous égarer. S’agissant d’un
ministre, déclaré le plus honnête
homme de sa connaissance par le
Président Sarkozy, qui se sentirait
encore le droit d’en douter ? Et s’agissant
du maître d’oeuvre du massacre
des retraites, vous pensez bien
que si le moindre soupçon d’escroquerie
avait plané sur lui, les syndicats
l’auraient récusé et en auraient
fait des gorges chaudes. Or, il n’en a
rien été. Woerth est aussi pur qu’une
blanche colombe. Une colombe qui
a de l’éducation : il a publiquement
remercié tous les syndicats de leur
courtoisie.

Avant que le rideau se lève, prenez
donc quelques minutes pour
vous attarder sur l’incipit : Gargamel
vous y invite dans les pages qui suivent.
On y trouve, pêle-mêle, de
bons pères maristes, des cagoulards,
des supposés socialistes, des présidents,
ministres, députés, sénateurs, et surtout un homme d’argent à la
réputation justifiée « d’arroser »
large... Que du beau linge.

Acte 1er

Le décor étant planté, l’acte I
s’ouvre sur un drame familial : on se
déchire pour... le fric ! L’argument
est simple : du Molière, genre
Commedia dell’arte. Fifille trouve que
mamie dilapide son futur héritage.
C’est donc qu’elle n’a pas toutes ses
facultés. Vite, « Qu’on m’apporte un tribunal
 » s’écrie-t-elle, « Qu’on mette
mamie sous tutelle ! ». Que nenni,
répond la vieille, tout ça c’est de la
violence morale, et va que je te colle
un procès à fifille. Pendant qu’un
expert rentre par la porte, un autre
sort par la fenêtre, les avocats se
pourchassent à coup d’accusations
sordides, un photographe s’en met
plein les poches et vous commencez
à trouver que, tout ça chez des gens
si distingués et adeptes des « valeurs
familiales », c’est plutôt marrant.

Acte 2

L’acte II, c’est du Feydeau, version
moderne : ce n’est pas le
« cocu » qui écoute aux portes, c’est
le maître d’hôtel qui met Liliane sur
écoutes. Et là, c’est le coup de massue
 : des noms défilent qui signent
autant de liens entre les politiques et
l’argent. Une honte. Dans le grésillement
on croit entendre le nom
d’Eric Woerth. On doit avoir mal
entendu. Que viendrait faire en effet
un homme aussi honnête dans une
histoire aussi sordide ? On se le
demande. De toute façon, il n’y a
rien à voir. La preuve : la scène se
clôt par un nouveau procès, cette
fois pour atteinte à la vie privée. Ah,
bon, quand un milliardaire finance
une élection, c’est une affaire privée ? L’ascension au pouvoir des plus
hauts responsables politiques, c’est
du privé, quelque chose qui ne nous
regarde pas ? Enfin, si même
Monsieur Woerth nous l’affirme,
nous ne pouvons que le croire.
Acte 3
L’acte III semble plus léger, du
Labiche peut-être ? Ce n’est pas « Le
voyage de Monsieur Perrichon », c’est le
voyage d’une valise (enfin, de plusieurs,
peut-être d’un semi-remorque
de valises) qui veut, plaignez-la, la
pauvrette, échapper au fisc cruel.
Aussi se rend-elle clandestinement
en Suisse, à l’insu du plein gré de sa
propriétaire bien entendu. Bien sûr,
tous les puissants personnages qui
créent un « ministère de l’identité nationale
 », qui lancent des débats patriotiques,
qui veulent répartir les
Français en « bons » et en « mauvais
 »... ne trouvent rien à redire
quand des fortunes partent dans un
paradis fiscal pour échapper à la
contribution publique. Pas plus que
le ministre des Finances de l’époque,
un certain Eric Woerth. Il n’était pas
au courant. Pourquoi d’ailleurs un
ministre des Finances s’intéresseraitil
au dossier fiscal de la première
fortune de France, je vous le demande
 ? Il a bien assez de travail à surveiller
tous les gagne-petit qui ne
pensent qu’à frauder quelques centimes !

Acte 4

Coup de théâtre à l’Acte IV :
nous découvrons - ça alors ! - que
l’activité essentielle de L’Oréal n’est
pas la production de shampooing
mais la mise en circulation d’enveloppes
kraft. Il faut dire que c’est
pratique, une enveloppe kraft, c’est
discret, c’est de grande contenance.
Assez pour financer, illégalement,
des partis politiques. L’ancienne
comptable de Liliane, Claire T., l’affirme
 : elle préparait de telles enveloppes,
à la demande du gestionnaire
de la fortune (Patrice de Maistre),
en particulier pour M. Eric Woerth.

Mais qui va croire une petite comptable.
Que pèse sont témoignage
face à la parole d’un ministre ? Rien,
nous sommes tous d’accord. Et
quand elle affirme que Liliane aurait
versé illégalement 150 000 € au trésorier
de l’UMP, Eric Woerth (encore,
on lui en veut à cet homme), pour
financer la campagne de Sarkozy en
2007, ce ne peut être qu’une horrible
calomnie. Qu’un même individu soit
à la fois ministre des Finances et trésorier
du parti au pouvoir, loin de
constituer un conflit d’intérêt
comme des envieux le proclament,
résulte simplement du bon coeur
d’Eric Woerth, de sa passion pour le
bénévolat et constitue une preuve
supplémentaire de son honnêteté
(puisqu’on lui confie deux caisses au
lieu d’une). Et que Patrice de Maistre
ait reçu dans la foulée la légion
d’honneur à la demande d’Eric
Woerth (qui ne se souvenait même
pas de la lui avoir fait donner, c’est
dire s’il est de bonne foi), n’est qu’une
coïncidence.

Quand à l’île d’Arros achetée
pour Liliane par l’intermédiaire
d’une fondation Suisse (et oui, encore
la Suisse, c’est du comique de
répétition) grâce à un savant montage
financier fleurant bon l’escroquerie
et le trafic d’influence, et cela
sans que le fisc se rende compte de
quoi que ce soit, sachez que Liliane
n’en savait rien. Si Liliane ne le savait
pas, Monsieur Woerth encore moins. Et puis, vous y êtes allé, vous,
sur l’île d’Arros ? Non, alors, qui
vous dit qu’elle existe, cette île, et
que tout ça c’est pas une invention
des forces du mal qui persécutent M.
Woerth ?

Acte 5

L’acte VI c’est du jamais vu.
Enfoncés, « Les Plaideurs » de l’illustre
Corneille. La scène du tribunal est
hilarante, et le jeu de chaises musicales
effréné. Les procès s’enchevêtrant,
le glaive de la justice semble
être là pour que les acteurs s’entretuent -symboliquement , on est quand même entre gens du monde. Le procureur Courroye,
dont certains prétendent - horreur et damnation - qu’il serait très lié à Sarkozy et donc à Woerth (mais, pour notre part, nous n’en croyons rien, bien entendu), est accusé de mettre des bâtons dans les roues de
l’enquête. C’est évidemment impensable
 : pourquoi un procureur,
représentant es qualité de la société,
ralentirait-il une enquête alors que
cette dernière ne peut que prouver
que l’ami de son ami (mais vis-à-vis de qui il est bien entendu parfaitement neutre, sinon les conditions de la justice ne seraient pas remplies)
est un homme sans tache ? Pendant
ce temps, la juge Prévost-Déprez,
qui ne mâche pas ses mots, s’égosille,
et, sur fond d’accusation de
violation du secret professionnel et
autres entorses au règlement, un
autre procureur, celui de Versailles,
entre dans la danse sur le thème du
dépaysement du dossier, tandis que
des avocats exultent pendant que
d’autres hurlent
à la mort.

A ce stade, et, c’est à notre avis une faiblesse dans la dramaturgie, on commence à trouver que la pièce est par trop
embrouillée et surtout n’en finit pas de finir. Toute la difficulté va être maintenant de trouver une bonne chute. Dans le
souci d’apporter une modeste contribution à cette œuvre grandiose
qui rappelle par sa puanteur l’affaire du collier de la reine, je suggérerais une petite révolution au dernier acte. C’était plutôt sympa, comme final, dans l’affaire du collier...


  L’argent n’a pas d’odeur, mais les politiques sont au parfum

L’affaire Woerth-Bettencourt a
révélé au grand jour les affinités
douteuses liant le monde des affaires
à la clique sarkozienne. Le grand
public connaît sans doute moins l’amitié
indissoluble qui unissait André
Bettencourt (le mari de la célèbre
Liliane), François Dalle (le président
de l’Oréal) et un certain... François
Mitterrand [1].

La gauche, qui prépare son
retour au pouvoir en 2012, n’a de
cesse de dénoncer la corruption, les
scandales à répétition ; elle se drape
dans son manteau de vertu, fustigeant
l’amoralité des actuels dignitaires
de l’Etat, oubliant un peu vite
que celui qui fut longtemps son chef de file (et dont beaucoup au Parti
socialiste se proclament les héritiers
spirituels) a été un grand ami de « la
famille ».
Dans les années trente, nos trois
jeunes gens (André et les 2
François), tous issus de la gauche
bourgeoise catholique et conservatrice
font leurs classes à Paris chez
les pères maristes. A l’époque ils
sont plutôt maurrassiens [2], nationalistes
et très conservateurs. Plus tard,
malgré des choix politiques différents,
cette amitié ne sera jamais
mise en défaut (ce qui serait parfaitement
louable, si les protagonistes de
l’histoire n’avaient pas occupé des
postes sensibles, qui à la tête de
l’Etat, qui au sommet d’une entreprise
extrêmement florissante).

En 1942, Mitterrand, déjà fin
politique, sent le vent tourner : il
abjure le pétainisme (rappelons qu’il
a été Secrétaire d’Etat aux anciens
combattants sous Vichy et qu’il est
décoré de l’Ordre de la Francisque)
et s’enrôle dans la Résistance. Il incite
ces deux amis à participer, même
de façon symbolique, à son réseau
(un pétainisme trop prononcé leur
eût fermé sans doute bien des portes
dans l’après-guerre).

En 1944, après la Libération,
Mitterrand est embauché comme
rédacteur en chef de « Votre beauté »
(salaire confortable et voiture avec chauffeur) sur intervention d’A.
Bettencourt. Le journal appartient à
Eugène Schueller (père de Liliane)
qui était le financier du groupe fasciste
« La Cagoule » avant-guerre.
Après un bref séjour à la « France
Agricole », Mitterrand est élu député
en 46 et devient ministre des anciens
combattants dans le gouvernement
Ramadier en 47. Sa campagne des
législatives de 46 aurait été financée
par François Dalle. Dès 47, André
Bettencourt reçoit la rosette de la
Résistance (bien que, selon Serge
Klarsfeld, il n’ait pas laissé de souvenir
marquant dans la Résistance). En
54, alors que Bettencourt a déjà une
petite carrière politique derrière lui
(sénateur centre droit), Mitterrand,
qui occupe le poste de ministre de
l’intérieur, le fait entrer au gouvernement
de Mendès-France. Son ami
sera Secrétaire d’Etat à la présidence
du conseil.
Pour les campagnes électorales
de 65 et 74, il semble difficile de
prouver qu’il ait reçu des financements
de l’Oréal, mais rien n’interdit
non plus de le penser. En tout cas,
des proches de Mitterrand font de
brillantes carrières dans ce groupe
industriel (un neveu y entre en 64 ;
une fille de Bérégovoy en 90). Mais
c’est à l’automne 1981, au moment
du vote de l’impôt sur la grande fortune
(ISF) que l’amitié donne toute
sa mesure. André Bettencourt, qui
rencontre fréquemment Mitterrand
et n’entend pas qu’on touche à son
pactole, dénonce la « catastrophe »
que représenterait « pour l’économie
nationale » un tel impôt.
Le Président, sans grande... résistance,
se montre sensible à l’appel de
son ami, et, par voie de conséquence,
« l’outil de travail » [3] (dont la définition,
suffisamment floue, permet
aux patrons bien des arrangements
avec le fisc) n’a pas été considéré
comme entrant dans les grandes fortunes...
C’est ainsi qu’un des principaux
points forts du fameux « programme
commun de gouvernement
 » de la gauche unie est passé en
bonne partie à la trappe. Faire payer
les riches était certes son programme
 ; mais delà à avoir la cruauté de
toucher à la fortune de ses véritables
amis... Depuis toujours, la gauche au pouvoir a dû choisir entre s’aliéner
les puissances financières en taxant
les grandes fortunes et décevoir son
électorat populaire en s’y refusant.
De méchantes langues prétendent
que la gauche trahit toujours le peuple,
mais il faut lui reconnaître au
moins une qualité : elle sait rester
fidèle à ses vrais amis !

Tonton François & le petit Nicolas

Que nous apprennent, à vrai dire,
ces vilaines histoires d’amitié de
« Tonton François » ou du « petit
Nicolas » sur la véritable nature de
notre prétendue démocratie ?
La démocratie représentative
produit nécessairement une « élite » :
les représentants du peuple. Ceux-ci,
qu’ils appartiennent ou non à la
bourgeoisie vont, de fait, se retrouver
fréquemment au contact d’abord
des patrons de leurs circonscription
et plus tard, pour ceux d’entre
eux qui accèderont à une carrière
plus importante, des grands oligarques
de l’économie. Tout « naturellement
 », des échanges de « bons
procédés » entre décideurs politiques
et décideurs économiques
vont se mettre en place. Il se crée
ainsi, peu à peu, entre les uns et les
autres, des « obligations », des « dettes
 » qu’ils se doivent d’honorer.
Argent et pouvoir sont ainsi indéfectiblement
liés. Les politiciens ont
besoin du soutien financier des
milieux d’affaires (entre autre pour
leurs coûteuses campagnes électorales)
qui sont eux-mêmes dépendants
pour la bonne marche de leur business
de décisions politiques favorables.
Issus bien souvent des mêmes
couches privilégiées de la société, les
spécialistes de la politique et les
grands managers ont des intérêts
communs, que la « coloration politique
 » ne saurait perturber.
Du reste, la perméabilité entre le
monde de la politique et celui de
l’entreprise est suffisamment importante
pour que des entrepreneurs
deviennent ministres et inversement.
La « coloration politique », elle aussi,
est relativement instable et est au
demeurant de peu d’importance.
Tout ceci confère à ce petit monde
de l’oligarchie un petit air de club
très fermé où la seule véritable compétence
requise consiste à savoir
défendre les intérêts des « honorables
membres ».
Le fonctionnement vertical de la
démocratie représentative produit
nécessairement une élite qui s’intègre
aux castes dirigeantes (quand elle
n’en est pas directement issue). Ainsi
se constitue une oligarchie puissante
qui gère avec un personnel interchangeable
l’Etat et l’économie. La
volonté toujours affichée de la gauche
de changer la donne, d’amender
le système de l’intérieur en s’emparant
démocratiquement du pouvoir
d’Etat ne peut aboutir qu’à des
échecs successifs, comme l’Histoire
nous l’a déjà largement prouvé. C’est
d’ailleurs le rôle qui est assigné à la
gauche dans la tragi-comédie politique
 : démontrer que le système est
immuable et que malgré la bonne
volonté déployée, les efforts restent
vains. C’est la loi de l’alternance qui
rythme d’un pas martial et pesant la
soi-disant vie politique : gauche,
droite, gauche, droite !
Pastichant Guillaume Apollinaire,
nous pourrions déclamer :
« Passent les présidents et leurs cinq ans
de règne
Ni les promesses
Ni les programmes ne tiennent
Sous tout gouvernement l’argent règne
Vienne la gauche à son heure
la droite s’en va, le capital demeure... »
Reste que les récents mouvements
sociaux, le récent réveil de la
conscience de classe nous permet
d’espérer que, justement, le club des
oligarques ne demeurera pas éternellement
au pouvoir. Son parfum,
aussi envahissant qu’écoeurant, finit
par empoisonner trop de monde...

Gargamel

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