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MON QUARTIER A L’HEURE DU MARECHAL

Publié le 22 décembre 2005

Ça a commencé environ un mois avant le ramadan. Un troupeau de CRS, en tenue de combat a fait une descente musclée pour arrêter un jeune dans l’HLM familial. C’était un mercredi, en plein après-midi. Il faisait beau. Tous les gamins du quartier de Reynerie (Toulouse-le-Mirail) étaient dehors. Ils ont assisté au bouclage de l’immeuble, à son invasion par une horde policière. Ils ont vu la mère et la petite sœur (un mètre vingt) conduites violemment au commissariat, ils ont su que tout ça, s’était pour une peccadille... Ça a failli tourner à l’émeute et ça a troublé en profondeur le quartier, qui était plutôt paisible à ce moment là.

Pour une fois, même les adultes se sont sentis visés par cette agression policière disproportionnée. Il y a eu une réaction collective et largement spontanée. Dès le lendemain, nous étions cent cinquante ou deux cents place Abbal, pour protester publiquement et dénoncer les violences policières. Et nous avons été quelques dizaines, pendant les semaines qui ont suivi à nous réunir pour parler des problèmes du quartier et essayer de faire émerger des solidarités entre les générations, entre des habitants aux origines très diverses.

Malgré cette volonté de vivre en paix entre nous, les provocations policières n’ont pas cessé, enclenchant un cycle de révoltes (voitures brûlées, caillassages, ...) et de répression (contrôles intempestifs, arrestations, charges de CRS...).

Hautement symbolique est de ce point de vue la charge de CRS, précédée de tirs de grenades lacrymogènes, du jour de Noël. Il était environ 17 heures et la cible était un groupe d’enfants de 12 ou 13 ans qui jouaient rue de Kiev.

Mais tout ça, ce n’était qu’un début. Une sorte d’entrée en matière. Depuis deux mois, au Mirail comme dans vingt-quatre autres quartiers étiquetés "à mater" répartis dans toute la France, nous vivons comme sous le Maréchal Pétain. C’est le terme qui est venu spontanément à la bouche du plus âgé d’entre nous. C’est vrai qu’il flotte sur le quartier comme un petit parfum d’occupation.


  Comment la police crée des zones de non-droit.

Le prétexte de cet abus de pouvoir a été largement médiatisé : C’est qu’il existerait des "zones de non-droit", où la police "ne pourrait même pas entrer" et dans lesquelles se dérouleraient des "trafics".

Au Mirail -et sûrement dans les autres quartiers concernés- ce prétexte est parfaitement ridicule.

Comment peut-on en effet affirmer que la police ne "pourrait même pas entrer", alors qu’il y a un gros commissariat, flambant neuf, en plein milieu du grand Mirail, entre Reynerie et Bellefontaine, et des postes de police un peu partout ? La police n’a pas besoin d’entrer : elle est chez nous en permanence ! Notons au passage que, pour nous convaincre de l’utilité de ce commissariat (mis en chantier à la suite du meurtre du jeune Habib par un policier, avec l’appui de tous les partis politiques), on nous avait expliqué qu’après sa construction, ce serait "la fin des violences" et le retour à une vie paisible. Depuis, nous avons le commissariat, les nuisances qui vont avec et moins de tranquillité que jamais.

Quant à la "zone de non-droit", parlons-en. Mais comme il faut : un des droits les plus élémentaires est celui d’aller et de venir. Librement. Quand nous partons de chez nous ou que nous y revenons après le travail, nous traversons, selon les jours, deux, parfois trois barrages filtrants de police. Le quartier est cerné, bouclé. Toutes les voies d’accès sont obstruées. Jour et nuit. Des groupes de policiers sont également installés à l’intérieur du quartier. D’un barrage, on aperçoit le suivant, pour peu qu’on soit en droite ligne. Il y a parfois moins de deux cent mètres entre deux barrages.

Bien sûr, comme le disait mon voisin -qui, à la quatrième fouille a changé d’avis-, "pourquoi s’inquiéter, si on n’a rien à se reprocher ?". Pourquoi s’inquiéter ? Parce que, traverser ces barrages, c’est s’exposer à être arrêté, devoir exhiber ses papiers (gare au moindre oubli !), être obligé de laisser fouiller son véhicule, avoir à en descendre pour être palpé sur tout son corps par des mains pas vraiment tendres. C’est subir la suspicion, entendre des ricanements et des commentaires... C’est perdre beaucoup de temps et être véritablement humilié.

Quand on ne peut pas sortir de chez soi sans subir ce traitement plusieurs fois par semaine, on vit effectivement dans une zone de non-droit Un non-droit créé de toutes pièces par la police et la justice.

En ce qui concerne les fameux "trafics", nous pouvons être tout aussi clairs : en fouillant les véhicules et les poches, oui, les CRS ont certainement trouvé des barrettes de cannabis, quelques téléphones et auto-radios dérobés, d’autres choses du même niveau. Ils ont peut être mis la main sur des véhicules volés. Mais, ils pourront fouiller le quartier de fond en comble, ils n’y trouveront pas des trafiquants d’appartements de 600 m2, ni des abuseurs de bien sociaux, ni des pilleurs de fonds publics, ni tous ceux qui ont profité des “services” de Patrice Alègre. Tous ceux là vivent ailleurs, loin des contrôles. Protégés par les contrôles.


  Stratégie de la tension

On l’aura compris, c’est à une véritable stratégie de la tension que se livre le pouvoir, avec, comme toujours dans ce cas, deux grands résultats.

Le premier, c’est qu’on enferme les habitants dans leur quartier, dans leur bloc d’immeuble, dans un véritable ghetto. On hésite à aller au cinéma, parce qu’on sait qu’on devra se farcir deux barrages de CRS, dans la nuit, pour revenir à la maison. Donc, on reste sur place. Vos amies hésitent à venir vous voir. On les comprend : elles n’ont pas envie de subir une palpation appuyée à l’un ou l’autre des barrages policiers. Les contacts avec le monde extérieur se restreignent.

A l’intérieur même du quartier, les gens deviennent plus stressés. C’est étudié pour. Un exemple, vécu ce samedi 26 mars, pendant le week-end pascal. Tout est calme, l’un de nous prend la voiture pour aller en ville. Il n’a pas franchi la frontière du quartier qu’une estafette de CRS, lancée à fond, le double, pile devant lui tandis que deux autres arrivent par derrière, et trois ou quatre par chacune des rues adjacentes. Le voici cerné d’une dizaine d’estafettes. Qu’a-t-il fait ? C’est la guerre ? Non, d’ailleurs, ils ne s’occupent pas de lui, et, tandis qu’il zigzague pour se dégager, des flics bondissent de leurs estafettes, tout équipés de boucliers, d’armes de tir et se lancent sur un talus en direction d’un immeuble. Quelques minutes plus tard quand il revient, il n’y a plus rien. Que s’est-il passé ? Pourquoi cette démonstration abusive de force ? Nous n’en saurons jamais rien. Mais, sans être particulièrement émotif, risquer d’être pris, à tout moment, dans une ambiance de western, c’est pour le moins stressant. Beaucoup d’habitants ne supportent plus ça, en particulier les personnes âgées, encore nombreuses dans le quartier.

Enfermement dans un espace restreint, poussées organisées d’angoisse, c’est la recette pour provoquer la monté des intégrismes. Nous avions déjà des petites filles voilées. Grâce à la politique de Villepin, en moins de deux mois, nous avons vu dans le quartier les premiers garçons aller au collège en djellaba. Et depuis quelques jours, il y a des écoliers, qui, quand l’instit veut leur apprendre une chanson, mettent sur la table une plaquette indiquant qu’un musulman ne chante pas et refusent d’ouvrir la bouche. Ces résultats ont été obtenus, bien sûr, au nom des "valeurs de la République", et ils ne feront que s’épanouir si ça continue.

Le deuxième résultat, c’est d’engraisser la machine à réprimer. Le contrôle permanent et tatillon, les démonstrations de force sur un fond de misère sont autant de provocations qui entraînent des réactions, des "passages à l’acte" individuels ou en groupe. Il arrive qu’un habitant craque et "réponde" à un flic, quand il est contrôlé pour l’énième fois de la journée. Il arrive que la colère fasse flamber des poubelles, des voitures (parfois à quelques mètres seulement d’un barrage policier)... Tout cela est prétexte à de nouveaux contrôles, à plus de pression, à des humiliations, à des arrestations ... et cela recommence. L’État voudrait provoquer de nouvelles émeutes au Mirail qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Jour après jour, cela devient une évidence.


  Combien ça coûte ? Pour quel résultat ?

Autre aspect à ne pas négliger : cette opération coûte fort cher. Mais le pouvoir, si prompt à faire des économies sur le dos des travailleurs, se garde bien de donner le moindre chiffre. Des centaines de CRS, d’officiers de la Bac, de RG, de policiers de tous ordres sont en permanence sur le quartier. Outre des salaires grassouillets (voir les dépliants de propagande au commissariat de Bellefontaine), tout ce petit monde touche des primes de nuit, de week-end, de risque... sans compter ce que coûte l’entretien de leur équipement. Le total est obligatoirement faramineux.

Quant au résultat ? Par rapport à l’objectif affiché (avoir un quartier calme), il est nul. Nous vivons une des périodes de plus fortes tensions de ces dix dernières années. L’argent dépensé l’est donc en dépit du bon sens. A moins que l’objectif affiché ne soit pas l’objectif poursuivi, évidemment.

  Ne nous trompons pas d’ennemi.

Coincés entre la stratégie de la tension étatique, le repli identitaire des uns et la sottise des autres (dont le dernier avatar national est l’appel "contre le racisme anti-blanc"), la voie n’est pas large. Mais, comme ils l’ont fait précédemment, les militants anarcho-syndicalistes du quartier appellent la population à ne pas se tromper d’ennemi.

Nous disons et nous continuerons à dire inlassablement par tous nos moyens que notre ennemi, ce n’est pas notre voisin, avec lequel nous partageons la même misère. Nos vrais ennemis, ce sont ceux qui nous humilient. Qui nous exploitent quand ça leur rapporte et qui nous licencient dès que ça les arrange. Qui augmentent les loyers, l’eau. Qui nous expulsent quand on ne peut plus payer. Qui diminuent les budgets sociaux. Qui ne nous laissent d’autre espoir que d’être parqués dans un ghetto. Alors, ne nous trompons pas. Même si c’est plus difficile que jamais, respectons-nous les uns les autres, soyons solidaires et continuons à agir pour construire un autre futur.

Les habitants CNT-AIT du Mirail.

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