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Billet d’humeur d’une assistante sociale hospitalière en immersion (avant Covid)

Publié le 27 septembre 2021

Je suis assistante sociale depuis presque 10 ans dans un établissement de santé privé à but non lucratif, participant au service public hospitalier qui assure des missions de soins, mais également de recherche et de formation, avec la volonté permanente d’accroître la qualité et l’accessibilité aux soins.

Je viens apporter un témoignage du quotidien professionnel vécu par notre équipe sociale mais qui est partagé par l’ensemble de nos collègues travaillant en milieu hospitalier.
Nous sommes de plus en plus confrontées à des difficultés à exercer notre travail (situations des patients, pression des cadres et des soignants des services), management dit participatif mais qui nous impose de toujours nous satisfaire de moins (moins de moyens humains, moins de ressources sur les territoires, déserts médicaux etc.… tout en faisant plus (il faut sortir les patients des lits [1]) et absence de reconnaissance au sein de l’institution de nos compétences et de notre formation.
Pour rappel, et pas des moindre, notre formation est sanctionnée par un Diplôme d’Etat (comme les infirmières mais reconnue bac + 2 jusqu’à la réforme du diplôme [2].
Sans compter les responsabilités endossées par l’ensemble des assistants sociaux et relatives au secret professionnel, secret médical, discrétion, devoir de mise sous protection de l’enfance en danger et des personnes vulnérables, c’est à dire femmes enceintes, personnes handicapées, personnes âgées [3].

Ces difficultés vécues au travail engendrent parfois des tensions au sein des équipes d’assistantes sociales. Désireuses d’améliorer nos relations de travail, nous avons demandé à rencontrer le médecin du travail qui nous a aidé à amorcer une réflexion :

Les CONSTATS :

• Le travail social se complexifie et s’amplifie dans un temps qui se réduit avec le "virage ambulatoire" comme ils disent.
Une évolution des situations de précarité : immigration, précarité sociale, vieillissement de la population, isolement, fin de l’Etat Providence, solidarité familiale altérée et paradoxalement sur-sollicitée, patients sans droits sécu ouverts (= + ou - illégaux sur le territoire) …
Parfois, pour les équipes soignantes, le vécu social des patients renvoie à une brutalité difficilement supportable.

Comment continuer à fournir un travail de qualité dans cette situation qui semble se dégrader ? 

• L’assistante sociale hospitalière représente un pont entre deux mondes :
Au sein de l’hôpital, tout semble être à disposition pour permettre une prise en charge adaptée au patient et à ses besoins : équipe de soins, soins de support (les paramédicaux : psychologues, psychiatres, assistantes sociales, médecins spécialistes de la douleur, kiné, orthophonistes, diététiciennes etc.…), prise en charge socio-administrative avec les bureaux des entrées….
Une vitrine, quoi !
Il semble que pour les patients et leur entourage, les services extérieurs semblent bien moins pratiques : entre les différents intervenants qui assurent la suite des soins et les multiples interrogations des patients quant à leur devenir social, l’assistante sociale semble être l’interlocutrice privilégiée dans cet entre-deux mondes. Nous sommes donc amenées à trouver du relais sur l’extérieur afin de réaliser un véritable travail de coordination ville-hôpital. Ce travail incontournable entraîne néanmoins une surcharge et une désorganisation dans notre activité au quotidien.

Côté positif : aucune journée de travail ne ressemble à celle de la veille ! Aucun planning n’est possiblement respecté. 
De nature optimiste, je constate que ce n’est pas cet aspect qui peut être à l’origine d’un épuisement professionnel, mais bien la non-reconnaissance de cette capacité d’adaptation extraordinaire des équipes sociales quotidiennement mise à l’épreuve par les enjeux institutionnels, politiques et sociaux.
 
• Parlons éthique et déontologie : le service social à l’épreuve du financier 
Par exemple, concernant les patients payants, c’est à dire les personnes sans papier et les personnes qui ont un visa touriste, la prise en charge financière diverge car cette problématique est traitée différemment au sein d’un établissement public et au sein d’un établissement privé à but non lucratif. En effet, il existe des patients sans couverture sociale et dans l’impossibilité de payer leurs soins. 
Dans ces cas-là, à l’hôpital privé (même d’intérêt public !), leur situation est présentée lors d’une commission ad hoc pour obtenir une prise en charge des soins par l’établissement. En effet, n’ayant pas de service des urgences, nous ne pouvons pas prétendre au dispositif de Soins Urgents et Vitaux qui existe pour les établissements assurant les urgences : une dotation globale pour le financement des soins délivrés aux patients ne pouvant pas payer leur est octroyée tous les ans. Un "simple" certificat médical précisant la nature urgente et vitale de délivrer des soins suffit à la sécu pour justifier de la situation.
Dans le privé, frileux à l’idée de ne pas percevoir le remboursement de ces frais, la facturation, la direction des soins, les RH mettent la pression sur les médecins pour dire que seules les crises cardiaques et les hémorragies massives font l’objet de Soins Urgents et Vitaux (SUV, dans le jargon) ! et les détresses respiratoires ? et l’évolution majeure, rapide des cancers/maladies neurodégénératives/ toutes les Affection de Longues Durée qui sans traitements immédiats vont mener en un rien temps à une mort certaine et à court terme ?! (Pour ne donner que ces exemples, je ne suis pas médecin)

C’est l’existence même de cette commission qui questionne notre éthique, notre déontologie et génère un sentiment de « souffrance » au sein du service social. 

• Le temps de l’hospitalisation se raccourcit :
Le soin pris dans une logique ambulatoire a vu son temps d’effectifs humains se réduire pour optimiser les coûts. C’est à dire que le nombre de personnel formé, le nombre d’assistantes sociales n’est pas suffisant pour pouvoir intervenir sur tous les services de la structure (sur 18 services, nous intervenons seulement sur 12).

De plus, les équipes de soins n’ont pas conscience des délais de prise en charge sociale. Cette logique n’a pas épargné le service social lui aussi soumis à cette injonction.

Prises dans la chaîne de soins, nous devons répondre à une demande croissante. Le constat de cette situation est double : d’un côté, on privilégie une prise en charge sociale sur certains services ; de l’autre, on la supprime, ce qui pose à nouveau un problème éthique et déontologique au sein du collectif d’assistantes sociales. 
Le service social se voit donc lui aussi pris dans une cadence ambulatoire infernale : les pratiques changent et la rencontre entre le patient et l’assistante sociale se réduit souvent à une seule intervention.

En effet, la demande d’intervention étant trop importante, nous ne pouvons pas nous permettre de revoir les patients trop souvent et d’initier un accompagnement comme nous pouvions le faire auparavant en hospitalisation. Oser prendre ce temps, revient à prendre le risque de se faire rappeler à l’ordre par les sup. (Cela m’est arrivé pas plus tard qu’il y 4 mois). Nos arguments ? notre souci d’accompagner le plus humainement possible les personnes ? celui de notre positionnement professionnel ?

Tout cela n’est pas recevable vis-à-vis de la Tarification A l’Acte [4].
Actuellement, nous devons donc répondre à toutes les questions et être sûres que les patients aient bien compris ; tout cela en une rencontre.
Ce changement de pratiques a lui aussi un impact sur l’éthique et la déontologie de l’équipe. 

Conséquences : diminution de la qualité de prise en charge, risque de ré-hospitalisation à court terme, inquiétude pour le patient et son entourage, etc... 
La réponse à cet état de fait n’est pas de revenir en arrière mais de réfléchir ensemble pour décider d’une organisation adaptée afin de continuer à réaliser un travail de qualité à effectif constant. Selon moi, c’est simplement impossible. Nous ne sommes pas des "techniciennes" de la relation humaine. 
Une relation, qui plus est de confiance (je rappelle que nos responsabilités peuvent faire très peur aux personnes concernées) nécessite un temps nécessaire pour s’apprivoiser, se faire confiance.

L’accompagnement social en milieu hospitaliser est un travail en marge du soin 
Il a toujours été en périphérie du soin, comme le nursing, l’entretien des locaux ou l’accueil des patients. 

Ce qui n’est pas du soin au sens médical reste à la marge de la prise en charge. 
C’est une particularité linguistique très française de limiter le soin au médical. Si on prend la définition du « care » anglo-saxon, on retrouve une volonté de considérer le soin non pas comme du soin médical mais comme du « prendre soin » au sens large, c’est-à-dire dans toutes les dimensions de la santé, qu’elle soit biologique, psychologique, sociale ou environnementale. 

C’est du fait de la gestion économique du système hospitalier actuel que le service social déplore la notion de prescription d’intervention sociale sur le modèle de l’acte médical au détriment de notre accompagnement social. 
Le risque est de se limiter à cette prescription et de négliger la globalité de l’évaluation sociale de la situation du patient. 

Il existe une méconnaissance des missions d’un service social hospitalier chez les soignants (alors du grand public !) qui les pousse à solliciter le service social pour tout type de demandes. Pourtant, chacune d’entre nous intervient sur des services de soins où nous avons tissé des liens de coopération et des compétences spécifiques. 
Ces spécificités acquises sont souvent invisibles et les causes de cette invisibilité pourraient résider dans le fait d’être à la marge du soin, dans l’ombre du clinicien. 

En conclusion, les patients sollicitent le service social après leur hospitalisation car la prise en charge sociale ne s’interrompt pas aux portes de la "clinique". Et pour y répondre en pratique, le service social a développé hors les murs un réseau efficace. 

Enfin, les sollicitations accrues des soignants vis-à-vis du soin social posent la question des origines de celles-ci : est-ce la conséquence de la généralisation du système ambulatoire qui raccourcit la durée d’hospitalisation ? La technicité nécessite-t-elle une forme d’économie émotionnelle, relationnelle et temporelle ? Dans les métiers de la relation, y a-t-il aujourd’hui une prévalence de la technicité au détriment de la qualité de la prise en charge médico-sociale ? Le care social est-il un frein ou un allié au care médical ?

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