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Quand l’état gère, tout va de travers

Publié le 8 mai 2021

Un petit marché au temps du COVID, sa désorganisation orchestrée par les autorités municipales et préfectorales, les résistances qui se font jour.

Ville d’art et d’histoire, connue pour ses ruelles médiévales pittoresques, cette petite ville s’enorgueillit à juste titre de son patrimoine et n’hésite pas à vanter le charme de son marché hebdomadaire dans toutes ses opérations de communication. Des tas de politiciens de première bourre ont eu droit à une visite guidée de ce fameux marché, tellement authentique, tellement emblématique d’une France éternelle, tellement représentatif d’une France qui se lève tôt, etc..
À la suite de la crise Covid, ce magnifique marché, fleuron publicitaire de la ville, se transforme brutalement en un lieu infréquentable et subit de plein fouet les foudres conjuguées de la sous-préfecture et de la municipalité. Les temps de crise ont ceci de bon qu’ils révèlent au grand jour ce que l’on voudrait tenir caché : si les masques chirurgicaux ont fleuri tardivement sur les visages des citoyens, d’autres masques, ceux des politiciens qui affichaient volontiers leur souci de la démocratie et leur intérêt pour le sort des petites gens sont tombés (il faut bien avouer que ces masques-là ne tenaient déjà plus très bien).
À l’échelon de notre petite cité, la gestion de la crise a été aussi cacophonique et chaotique qu’au niveau national : incohérence et opacité des décisions ont été comme ailleurs au rendez-vous.

Mais revenons sur le terrain, au début du premier confinement et intéressons-nous à cette catégorie sociale des commerçants non sédentaires qui rassemble sur les places des villes et des villages toutes sortes de gagne-petits : agriculteurs cherchant à vendre leurs produits sans intermédiaires, revendeurs de fruits et légumes, artisans de toute sorte, commerçants itinérants vendant des vêtements, des produits divers, etc. Tous ces gens « de peu » ont bien évidemment fais les frais des mesures anti-Covid tandis que les grandes surfaces (dans lesquels on respire un air climatisé et recyclé très propice à la redistribution gratuite de virus) ont vu leur marge bénéficiaire augmenter de 50 à 70 %  ; Fait notable en même temps que les actionnaires des enseignes de la grande distribution voyaient leurs revenus s’accroître de façon exponentielle, les employés de ces même enseignes voyaient leurs salaires baisser : preuve une fois encore que la théorie du ruissellement pourtant si vantée par nos dirigeants relève du fantasme et du trompe couillon.
Les marchés de plein-air comme leur nom l’indique clairement sont bien ventilés et donc n’ont aucun des caractères des lieux clos si propices au développement des virus et à la contamination. Pourtant, c’est à l’encontre de ces places publiques et de ces marchés que les autorités préfectorales allaient déchaîner leurs foudres sanitaires en instaurant un régime visant à la dispersion des exposants, les plaçant à des années lumières les uns des autres, entourant les stands de ru balise si bien que l’on aurait pu se croire sur un lieu de crime ; or le crime a bien eu lieu : c’est le marché qui était mort.

Au tout début de l’épidémie, le marché fut tout bonnement fermé, puis après quelques semaines, il rouvrit… mais seuls quelques exposants purent en bénéficier (une dizaine sur plus de 150 en temps normal) : l’attribution des autorisations se faisant dans une totale opacité. Les autres se virent accorder des heures de vente en « drive », (l’espace habituel du marché étant devenu trop restreint du fait de l’application de ces mesures) propulsés en des lieux « lunaires » parfaitement désertiques, mais bien entourés de ru balise et de barrières métalliques, sans doute pour les protéger de hordes de clients déchaînés avides de pillage  ; or dans ces lieux excentrés, de clients, il n’y en a pas.

Comment vous demanderez vous, amies lectrices, amis lecteurs, des idées aussi « bonnes » peuvent elles être appliquées dans des municipalités ? C’est qu’elles ont tout simplement été élaborées par des spécialistes des marchés, des personnes formées pour organiser, restructurer ces espaces, des gens dont la compétence et le savoir-faire ne soufre absolument aucune discussion ! Lorsque l’aide précieuse de ces experts fait défaut, la gestion d’un marché est confiée généralement à un conseiller municipal qui ne sait rien du fonctionnement d’un marché, de son organisation. Ces décisions reçoivent ensuite l’aval du maire (le plus souvent un notable local dont les préoccupations sont habituellement éloignées du marché). La police municipale, surveillée de prés par la sous-préfecture va ensuite se charger de faire appliquer à la lettre tous ces nouveaux règlements.

Les principaux intéressés, tous qui dépendent pour leur gagne pain du marché, n’ont eu rien à dire pendant tout ce temps ; personne ne leur a demandé leur avis !
Ce qu’il faut bien comprendre du fonctionnement d’un marché, c’est que la place qu’occupe un marchand est absolument fondamentale pour son chiffre d’affaires, pour son revenu. Cette place qu’il occupe très régulièrement depuis des années, voire des décennies, pour laquelle il paye un petit loyer à la mairie, est reconnue comme sienne par ses collègues et personne ne songerait à la lui contester, c’est surtout la place où ses clients ont l’habitude de le trouver : le déplacer revient à désorienter sa clientèle et donc à saborder son revenu. Visiblement les éminents spécialistes es marchés semblent ignorer cette simple vérité, à moins qu’ils ne s’en contre-foutent.

Mais c’est justement ce grand chambardement, ces déplacements incessants (après la réouverture progressive du marché à chaque fois qu’un nouveau contingent d’exposants est intégré, tout le monde doit se déplacer pour pouvoir fonctionner en respectant les normes de distanciation sociale et les espacements entre les différents stands) qui vont inciter les gens à refuser d’obéir aux ukases de la mairie parce qu’ils les appauvrissent et parce qu’ils témoignent d’un manque total de considération à leur endroit. Ils se sentent réduit au rang d’objets déplaçables à loisir, leur dignité est bafouée et la grogne commence à monter.
Ce sont les « non essentiels », les « non alimentaires », les « non A » comme dirait l’auteur de SF Van Vogt qui vont les premiers se révolter : eux sont restés deux mois sans travailler. Un jour, entre deux et trois heures du matin, ils arrivent en convoi bien organisé et occupent nuitamment leur place habituelle, celle d’avant le Covid, déterminés à rester « quoi qu’il en coûte » comme dirait l’autre. Cette détermination provoque évidemment des grincements de dents du côté des autorités qui sont pourtant obligés d’accepter le fait accompli.

Ce bel exemple d’action directe spontanée suscite vite des vocations et bientôt, c’est au tour des « alimentaires » de ruer dans les brancards, de refuser de changer de place pratiquement à chaque marché, de refuser de voir leur revenu baisser de 50 à 80 %, de refuser d’être pris pour des moins que rien. Eux aussi décident de réintégrer leurs places habituelles malgré les tentatives d’intimidation.
Brutalement, la mairie prend conscience de l’existence du peuple des travailleurs du marché et une réunion est proposée qui entérine dans les grandes lignes leurs volontés. Une fois de plus, une lutte modeste prouve qu’il est possible de faire reculer les autorités grâce à une action directe collective, qu’il est possible d’inverser le rapport de force entre les autorités et le « peuple ».
Soyons clairs, cette très modeste lutte ne va pas transformer ces gens en révolutionnaires, mais l’expérience qu’ils ont vécu est celle d’une lutte collective victorieuse, une lutte dont ils se souviendront, car généralement ce genre d’évènement marque les esprits tant il constitue une rupture : l’Autorité n’est plus ressentie comme irrésistible et indéboulonnable.

Même au niveau microscopique d’un petit marché, on retrouve les habituels ingrédients qui sont présents dans toutes les luttes : évident mépris de classe des notables, tentation d’abus de pouvoir de la part de certains détenteurs de l’autorité, tentative de la municipalité de diviser ses opposants en accordant à certains ce que l’on refuse aux autres, défense par la mairie de mesures sans réelles cohérences au nom soi-disant du bien commun. Et finalement tout ça se termine par un repli stratégique des autorités qui délégitime tout leur précédent argumentaire , preuve s’il en est de l’inutilité de leur existence sociale.

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