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L’autre prise du Capitole, il y a 25 ans.

Publié le 27 février 2021

Cette histoire de prise du Capitole à Washington m’en rappelle une autre, il y a tout juste 25 ans mais à Toulouse ...

17 décembre 1995, fin de manif contre le plan Juppé. La dernière manif du mouvement. Les syndicats avaient décidé d’en faire une démonstration de force et de calme, et surtout un enterrement en grande pompe du mouvement. Noël approchait, il était temps de faire la "trêve des confiseurs". Les syndicats avaient donc décidé de nous épuiser à tourner en rond autour du centre mais de ne surtout pas rentrer au centre-ville pour ne pas gêner les commerçants en ces veilles de fêtes1.
Beaucoup de monde à cette manif. C’est même la plus grosse manif jamais vue dans l’histoire de Toulouse, 100 000 personnes … Arrivés à Esquirol, après avoir marché en rond toute l’après-midi comme un goût d’inachevé. La manif ne pouvait pas s’arrêter là ... On ne sentait pas fatigués malgré le parcours interminable. un copain déguisé comme une tortue ninja, masque de ski, casque et bouclier bricolé avec un panneau de limitation de vitesse lance "c’est au Capitole qu’on rigole". Alors que les syndicats tournent à droite pour aller vers les carmes, la manif bifurque à gauche et continue en direction du Capitole. Nous sommes plusieurs milliers.
Arrivés au Capitole, la place est envahie. Les copains d’InfoSud (revue autonome de l’époque) essayent d’accrocher leur banderole noire sur la porte du Cap. La porte s’entrouvre. Stationnée à un angle de la place, derrière la banderole rouge et noire de votre anarchosyndicat préféré, les compagnons se disent « tient ça bouge à la porte du Cap, ils ont réussi à rentrer ». 2 copains courent pour voir ce qui se passe. Ils sont suivis par 2 autres copains, puis 20, puis 200 puis tout le monde qui se rue en courant sur la porte pour s’engouffrer. Le reste de la manif suit le mouvement… En fait la porte s’ouvrait pour laisser sortir les gardes-mobiles entassés dans la cour du Cap, mais qui n’étaient pas équipés, ne portant que leur calot ... Lorsque la vague se rue sur eux, le choc est frontal sur les boucliers en plexi. Les hampes de drapeau s’abattent. Quelques calots volent. Des dents aussi. La ligne bleue est enfoncée. Ils rentrent sans demander leur reste se calfeutrer dans la mairie. Du premier étage, au balcon du Capitole, des gardes mobiles cassent les carreaux de la salle des illustres et balancent les lacrymos pour noyer la place du Cap. Mais les manifestants ne bougent pas, en redemandent même. A peine les familles avec poussettes se mettent à l’abri sous les arcades des illustres. Des syndicalistes et des squatters du Clandé s’épaulent pour rassembler des poubelles (les éboueurs étaient en grève depuis plusieurs semaines) sur la porte de l’Opéra et y mettent le feu. La porte commence à brûler ...
Les manifestants se rependent dans les petites rues autour du Capitole pour prendre position. Un client sort précipitamment du coiffeur, en blouse et les cheveux pleins de shampoing : les émeutiers étaient en train de renverser sa BMW pour en faire une barricade. Rue Pargaminière, d’autres aident le gérant du Petit Casino à rentrer ses étalages ; en échange le boutiquier leur donne de l’eau et des citrons contre les lacrymos.
Quelques voitures sont renversées pour faire obstacle, les petits groupes harcèlent les flics sans s’arrêter. Des jeunes des quartiers populaires, en goguette au centre-ville, se joignent au mouvement. Le jeu de chat et la souris dure plusieurs heures, profitant de la nuit qui vient de tomber. Les « sucrettes », ces fourgons de flics blancs, zigzaguent pour éviter les projectiles et les poubelles qui s’abattent sur eux.

Pas une seule personne ne fut arrêtée, et aussi pas une seule vitrine ne tomba : ce soir-là, pourtant journée d’emplette et veille de Noël, les cibles étaient les flics. Jeunes, moins jeunes, militants et badauds, tous ensembles. La rage pure, sans opportunisme consumériste ni récupération politicarde.

Le lendemain la dépêche titre "l’assaut des anarchistes : 200 anarchistes derrière une banderole rouge et noire attaquent le Capitole. Ils ont balancé tout ce qu’ils avaient dans leurs poches : boulons, bouteilles de bières, etc. Les loubards s’en mêlent". Baudis, le Maire de Toulouse, parle d’insurrection. Un groupe anarchiste fédéré dont on taira le nom par charité fait un communiqué pour se plaindre que « la préfecture n’a pris visiblement aucune mesure pour empêcher la manifestation d’accéder à la place du Capitole » et rejeter toute confusion entre les anarchistes et les loubards. La CNT-AIT quant à elle se contente de contester le fait que contrairement à ce que dit La Dépêche, elle était venue sans cagoule et les poches vides.

Le soir avec les copains, on se fait une grande bouffe dans le resto autogéré de Titi et Nicolas. Les calots - prises de guerre - tournent, on se marre, une copine sort l’accordéon, on chante et on rit bruyamment.

Ce fut le plus beau noël de ma vie ...

Voici ce que disait la Dépêche du Midi dans son édition de la veille de la manif : « Épargner la ruse d’Alsace Lorraine, Wilson, le Capitole, la mairie et la préfecture, avouez que c’est une prouesse ! C’est la concession faite par les syndicats … qui ne veulent pas rendre leur mouvement impopulaire par « la manif de trop ». Pour les commerçants de l‘hypercentre, cela signifie (enfin !) la paix devant leurs magasins. C’est terriblement important en ce premier samedi du rush de Noël. La même satisfaction vaut bien évidemment, pour les acheteurs : ils n’éprouveront aucune gêne. Le centre-ville (propre depuis hier) sera libre de toute manifestation, et parfaitement accessible. … Saluons cette grande boucle … de grande capacité, ouverte et intelligente, qui « n’étrangle pas la ville. Quand la manif sera à saint Cyprien, on sera tranquille en ville ! En revanche, Esquirol et la rue du Languedoc seront noyés de manifestants, disons autour de 16h à 16h30, au moment de la dislocation. » les autorités policières et les syndicats avaient manifestement tout prévu … ou presque …

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