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Du pouvoir de prendre sa vie en main

Publié le 25 novembre 2018

Le service national universel (SNU), promesse de campagne de Macron, serait quelque chose « qui manque à notre pays » si l’on croit les discours du Premier ministre Philippe. Car, universel et obligatoire, ce nouveau service militaire de courte durée, créerait un lieu de mixité sociale favorisant la « fraternité ». Quelques réflexions sur le « service à la patrie », militaire tout comme civil.

Rappelons d’abord l’état actuel des préparations du SNU. En juillet dernier, l’Assemblée nationale a voté un amendement à la constitution. Désormais, plus d’obstacle juridique au rétablissement du service national, suspendu il y a plus de 20 ans par Chirac. Quand les dernières questions seront réglées, Macron pourra compter sur sa majorité parlementaire pour faire accepter son projet de loi. On parle d’abord d’un mois minimum vers l’âge de 16 ans avec prolongation volontaire jusqu’à un an. La deuxième partie consisterait en un service civique facultatif de trois à douze mois.

Vu le contexte de son apparition, cette proposition de Macron n’est point étonnante : premièrement, elle a de quoi à plaire aux électeurs du centre et de la droite qui sont les plus convaincus du service national obligatoire [1]. De plus, le plan Vigipirate qui véhicule l’équation « armée = sécurité » tout comme quelques actions de l’armée visant l’insertion professionnelle (« Défense 2e chance » et la possibilité de passer gratuitement le permis de conduire) semblent avoir créé une image de l’armée plus positive aujourd’hui qu’il y a encore 20 ans. L’arrêt de la conscription obligatoire a également facilité l’amélioration de l’image de l’armée dans la population.

Deuxièmement, ce faisant, Macron s’inscrit dans la lignée des politiciens comme Sarkozy et Hollande qui ont voulu répondre aux soi-disant « menaces pour la patrie » telles que les émeutes de banlieue en 2005 et les attaques terroristes plus récentes par des dispositifs de « cohésion nationale ». Ainsi, l’« ennemi » n’est-il plus perçu comme une force extérieure au pays, mais comme un danger moral venant de l’intérieur. Pour y remédier, le gouvernement développa l’inculcation des valeurs patriotiques au cours de l’« enseignement moral et civique » à l’école ainsi que le service civique. Le SNU de Macron s’inscrirait dans ce même « parcours de citoyenneté » où se trouvent déjà à l’heure actuelle les enseignements très idéologisées de la défense en classes de 3e et 1e ainsi que la « Journée Défense et Citoyenneté » (JDC). Tout cela est bien entendu de facto obligatoire car sans l’attestation de la JDC, on ne peut passer aucun examen d’État, y compris le bac. Il est donc difficile d’y échapper et de se préserver de la propagande militariste. En y rajoutant le SNU obligatoire, Macron s’est déjà exposé à la critique des jeunes qui ont tendance à prévoir plutôt autre chose pour leurs vacances que de passer un mois à l’internat.

Revenons maintenant sur le principal argument pour l’instauration du SNU : le brassage social. Cela se lit comme un aveu que l’école a échoué dans cette mission. Dix années ou plus de scolarisation auraient-elles été moins efficaces qu’un mois de service national ? Si le gouvernement l’admet et tient toujours si fermement à la mixité sociale, il devrait se dépêcher à revoir le système qui fait qu’il existe une forte disparité de l’origine sociale des élèves en fonction du type public/privé d’établissement, du quartier et de la filière du bac. Il s’agit d’un problème général ; mettre en avant le SNU, c’est occulter les causes sous-jacentes. Et n’oublions pas que les jeunes étrangers sont exclus du service national (ce qui va de soi), voilà donc une « mixité » purement française.

Cela étant, on pourrait être amené à croire que le service civique, version moderne du « service à la patrie », pourrait créer de la mixité sociale et répandre les « valeurs de la République », mais sans les aspects négatifs du service national. Qui nierait qu’il puisse y avoir des « missions » intéressantes qui permettent de se consacrer à une activité d’intérêt général (humanitaire, social, culturel,…) tout en percevant une (très) modeste rémunération. Précisons ici que l’auteur de cet article a passé neuf mois en service civique. Or, l’objectif d’augmenter massivement les postes pour enrôler chaque année près de 150.000 jeunes de 16 à 25 ans, pousse à des dérives.
Parmi les neuf secteurs d’actions prévues pour les volontaires – culture et loisirs, développement international et action humanitaire, éducation pour tous, environnement, intervention d’urgence, mémoire et citoyenneté, santé, solidarité, sport – celui de « citoyenneté » semble être un véritable fourre-tout.

Ainsi, trouve-t-on des annonces comme celle-ci : « Changer le regard sur l’entreprise : Dans le but de travailler le regard sur l’entreprise et la représentation des jeunes et des demandeurs d’emploi, nous recrutons 2 volontaires en service civique. » et de nos visites à la préfecture, nous gardons le souvenir des « volontaires » en mission à l’accueil. Ça s’appelle dans l’annonce : « Accompagner les usagers dans les services ». Mais il y a également des associations où le jeune en service civique semble remplacer plus ou moins un salarié : Le candidat est appelé à faire de la bureautique, à alimenter le site-web et à proposer des animations dans le cadre d’« Aide à l’accueil et à l’animation d’un club de tennis ». Même si ce n’est pas voulu, la pratique confirme alors ce que nous avons soupçonné.

Si nous faisons un simple calcul, nous nous apercevons pourquoi le service civique est aussi apprécié par les associations : En 2018, un jeune est payé 473,04€/mois par l’État, auxquels s’ajoutent 107,68€ de majoration pour les boursiers ou bénéficiaires du RSA. L’organisme d’accueil participe avec seulement 107,58€ (qui peuvent être des biens matériels) et il n’a pas à payer des cotisations et les contributions à la sécurité sociale. (Pour les organismes à but non lucratif, le service civique est même presque gratuit, car ils reçoivent une aide mensuelle de 100€ par l’État !) En somme, cela fait entre 580€ et 690€/mois pour 24 à 35 heures travaillées par semaine. Si l’on compare le coût pour l’organisme (si ce n’est pas l’État) d’une heure de travail en service civique – entre 70 centimes et un euro – aux plus de dix euros brut pour un poste au SMIC (avec charges patronales moins les réductions), on trouve qu’une association peut se payer 14 services civiques au lieu d’un seul poste payé au SMIC ! Alors, en réponse à la question « Et pour quelles raisons, ne souhaitez-vous pas réaliser de Service Civique ? », 42% des jeunes enquêtés n’y étant pas intéressés disent « Parce que ce […] n’est pas assez rémunéré. » [2]

Si beaucoup de jeunes désirent quand même effectuer un service civique, cela devrait être en partie dû à la crainte des « trous dans le CV » : selon cette idée, il vaudrait mieux travailler pour pas cher que d’être au chômage pendant quelques mois. On trouve même des services civiques où travaillent des jeunes d’un niveau master parce qu’il n’ont rien trouvé ailleurs ! Après les stages peu ou pas payés, voilà donc le nouveau truc pour exploiter la jeunesse.

Malgré la forme actuelle indigne qu’a pris l’action sociale et humanitaire, nous croyons qu’il y a un vrai besoin de se donner aux autres, d’être solidaire et de mettre en pratique ses idées. Il s’agit là de quelque chose de fondamentalement humain. Mais une bonne part de vigilance est justifiée quand des acteurs institutionnels comme l’État veulent y fixer un cadre et mettre des Hommes au service de leurs agendas. Ainsi, après le premier enthousiasme « d’être utile » à quelque chose – fût-ce à la prétendue défense nationale ou à autrui – vient vite la désillusion d’une rémunération de misère, des conditions de travail insupportables, de l’absence totale de formation et d’ouverture,… et le mauvais sentiment de s’être laissé tromper se manifeste. Avant de s’engager dans un des services proposés, se poser la question de « Pour qui ou quelle idéologie vais-je être utile ? » aurait peut-être clarifié certaines choses. Même si le service civique ou militaire nous apporte des savoirs et savoir-faire certains d’un point de vue pragmatique, le risque latent ou réel est toujours de s’impliquer dans quelque chose que nous ne décidons pas nous-mêmes. Pour celles et ceux qui préfèrent l’autonomie certaine à l’ hétéronomie possible, qui veulent côtoyer des personnes d’âge, sexe, milieu ou origine différents et se réaliser par l’action collective, il y a des issues, heureusement ! Parmi elles, nous pouvons nommer les associations de quartier, les associations d’aide aux réfugiés, de l’entraide ou encore le syndicalisme inter-professionnel.

Car, contrairement à la nouvelle campagne publicitaire du Service Civique qui se résume sous le slogan « Le Pouvoir d’être utile », nous voulons pour chaque individu le pouvoir de prendre sa vie en main.

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