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L’anarchosyndicalisme questionné

Publié le 26 novembre 2006

  La violence des masses est-elle contre-révolutionnaire ?

La violence révolutionnaire n’est autre chose que la quantité d’énergie nécessaire à produire une rupture historique. L’étude attentive de l’histoire montre que se sont les mouvements de réaction, et non l’action révolutionnaire, qui produisent la Terreur ou la guerre. Les événements les plus sanglants sont le produit du reflux révolutionnaire et non les causes de son insuccès.

Il est dans l’air du temps de prôner une sorte de "non-violence politiquement correcte", en imputant à l’utilisation de la violence les échecs des différentes luttes révolutionnaires. Et loin d’approfondir les leçons du passé, on s’enfonce de plus en plus dans des raccourcis faciles, imprégnés d’imagerie scolaire. Ces simplifications sont très utiles depuis deux cents ans à tous les réactionnaires qui utilisent la confusion entre la violence de masse et les épisodes de la Terreur.

Pour les anarchosyndicalistes, il est au contraire fondamental de repérer dans l’histoire ces moments de rupture (qu’ils se situent en 1789, 1917 ou 1936) pendant lesquels la population quitte son rôle passif pour passer à l’action [1]. A l’inverse, les épisodes de réaction se caractérisent par le retrait de la scène historique des masses populaires, qui laissent ainsi la place à des fractions politiques. Ces dernières mettent un terme à toute destruction du pouvoir pour, au contraire le reconstruire, le défendre et finalement le conquérir. Le résultat est un mouvement centralisateur, étatique et militariste. Une lecture plus fine de l’histoire montre que se sont ces mouvements de réaction -et non l’action révolutionnaire—, qui produisent la Terreur comme la guerre. Les événements les plus sanglants sont le produit du reflux révolutionnaire (Exemple : la Bataille de l’Ebre, en 1938) et non les causes de son insuccès.

Le discours dominant nous habitue à un concept de violence aussi polyvalent que creux. Est dès lors réputée violente toute action qui ne rentre pas dans le moule de la protestation "citoyenne", du syndicalisme intégré ou des autres formes de contestation politiquement correctes. Globalement, le qualificatif "violent" est essentiellement une étiquette qui permet de stigmatiser l’adversaire. Par ce tour de passe-passe, il n’y a de violence que chez ceux qui contestent le système, tandis que les oppresseurs, qu’ils bombardent une cité, affament la moitié d’un continent ou torturent dans les commissariats et les camps, sont toujours les gardiens du droit et de la justice et finalement de véritables non-violents auxquels rien (si ce n’est une regrettable bavure de temps en temps) ne saurait être reprochée. Les révolutionnaires qui se prennent à singer cette rhétorique nous font assister à un étonnant spectacle et donnent l’impression de chercher à s’excuser de vouloir renverser l’ordre établi.

La révolution libertaire ne peut triompher que par la participation des masses. C’est cette participation, qui détermine le rapport de force. Plus celui-ci est élevé et plus la violence est limitée. C’est donc quand ce rapport de force est élevé (et non quand on est en état de "légitime défense" ou pire, "lorsque la violence est imposée par une provocation", comme on le lit parfois) que les masses peuvent détruire le pouvoir qui les exploite et les domine. Ceux qui prônent la non-violence à ce moment là (quand tout est possible et que la violence peut être très limitée) pour ensuite réfuter la non-violence en période de reflux (par exemple en légitimant alors seulement la "légitime défense"), prouvent simplement deux choses : qu’ils utilisent la non-violence comme concept tactique (et non comme un postulat philosophique qui mériterait d’être discuté autrement) et qu’ils l’utilisent mal. En effet ils sont à rebours de toute la dynamique révolutionnaire, car ils raisonnent en dehors des masses, comme si le mouvement anarchiste devait être coupé d’elles. Certains en arrivent à tant les mépriser (à force de confusion historique et légaliste) qu’ils peuvent tenir des propos, tels que "Les pauvres par eux-mêmes ne peuvent que foutre le bordel" [2], qui constituent la négation même des capacités d’auto-organisation des masses. Ce qui revient à nier la base de la philosophie libertaire.

Cette façon de tourner en rond de pseudo-penseurs provient d’une incapacité à concevoir la société autrement que telle qu’elle existe à ce jour. La question doit donc être posée autrement : Est-ce qu’une société viable, non impuissante, c’est-à-dire capable d’organiser les rapports inter-individuels, ne peut, pour fonctionner, que reproduire éternellement les mêmes rapports de domination ? C’est dans notre capacité à modifier radicalement les rapports que nous vivons actuellement, à penser d’autres formes de société, dans lesquelles le pouvoir appartiendrait à l’ensemble de la collectivité, et non à une classe, ne s’imposerait à personne en permettant à tous de s’impliquer, que réside la réponse. Cette capacité collective, l’humanité la possède, comme de nombreux faits le prouvent, que ce soit l’existence fort ancienne de sociétés sans État [3] ou les pratiques contemporaines des collectivités et assemblées (soviets, conseils, collectivités de 1936..). Les anarchosyndicalistes doivent tout mettre en œuvre pour faciliter, dans les moments de rupture historique qui se produiront, ce basculement, sous peine de voir se reconstituer, une fois de plus, l’État. Car c’est effectivement l’incapacité à produire ce basculement, à abolir les divisions sociales qui, laissant le champ libre à la réaction, est la cause de la reproduction du pouvoir ; et pas, comme on voudrait nous le faire croire, la violence révolutionnaire des masses.

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