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Quel complot ?

Publié le 24 juillet 2017

J’ai découvert internet, il y a déjà quelques années. Au début, comme la plupart des gens, j’ai trouvé ça formidable, tout nouveau - tout beau, comme dit le dicton. Puis, au fur et à mesure de mon exploration du web, j’ai découvert des choses pour le moins assez étonnantes.

J’ai découvert, avec stupéfaction, que des personnes croyaient aux théories du complot. Certains ne croient pas à la version officielle du 11 septembre, d’autres croient aux illuminatis et autres conspirations attribuées aux francs-maçons ou à des sociétés toutes plus secrètes les unes que les autres. Il y a des gens encore assez naïfs à qui on arrive à faire croire que l’homme n’a pas marché sur la lune, et que les vidéos tournées ne seraient que des montages. Il y en a, également, qui s’imaginent que la terre serait gouvernée, à l’insu de tous, par des "reptiliens" (NDLR : c’est une performance des séries science-fictives produites et diffusées par les chaînes de télé dont l’objet est de faire rêver – et quels rêves !). D’autres, encore, sont persuadés que la terre est plate (comme au Moyen-âge) et que le reste ne serait que mensonge, un énorme complot ourdi pour des raisons, forcément, obscures. D’une façon ou d’une autre, ces conjectures fantasmagoriques rejoignent les délires religieux et sectaires (une terre plate, un complot juif mondial, des voies impénétrables, un monde dangereux et mystérieux qui, de fait, flirte avec le mystique, etc).

Ce qui me gêne, c’est que, visiblement, il y a beaucoup de gens qui croient, dur comme fer, à ces théories saugrenues. J’ai été abasourdi de constater la crédulité de ceux qui adhèrent à ces théories, mais aussi que ce genre de discours délirants est relayé par une presse supposée informer. Il y a, donc, des gens qui s’imaginent que le monde est manipulé par d’obscurs réseaux secrets, très organisés et composés de personnages fascinants, que rien ni personne ne pourrait découvrir, ni contrer. Ces théories travaillent contre le bon sens de l’individu en maquillant la réalité, et chaque aspect criminel du capitalisme est, plus ou moins, noyé dans des conspirations secrètes contre les institutions "démocratiques" (et capitalistes) qu’il s’agirait alors de protéger. C’est une fascination pour le roman policier, pour une version romancée de l’Histoire.

Ces théories prennent, pour point de départ, des situations, des anecdotes ou des de faits réels. Elles les extrapolent ensuite pour fournir des explications relevant d’une paranoïa prononcée. Leurs présentations sont aguicheuses, elle vous permettent d’entrer dans le cercle privé des « gens qui savent » ce que les autres ignorent. Vous vous trouvez alors initiés à tout les secrets de la Terre et du cosmos. Elles se proposent de vous offrir, sans avoir à consentir d’effort, le pouvoir et la connaissance. Ainsi elles flattent les égos en présentant le quidam moyen comme un imbécile qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez alors que, Vous, vous êtes perspicaces, observateurs, rusés, malins. Pour peu, elles vous délivreraient de « supers » pouvoirs et vous permettraient de voir l’invisible.

Ces théories rencontrent un certain écho dans la période que nous vivons. A cela, nous pouvons avancer plusieurs explications. Tout est fait, dans le management capitaliste, pour dévaloriser les individus à leurs propres yeux. Les flagorneries produites par les théories du complot permettent à l’individu de se revaloriser, puisqu’il posséderait des capacités et des savoirs que ses supérieurs hiérarchiques ne détiendraient pas.

Elles produisent un vernis d’assurance. Face à la complexité, l’incertitude et la flexibilité engendrées par le capitalisme, les individus ont le sentiment de perdre le contrôle de leurs vies. C’est une situation anxiogène que de ne pas pouvoir maîtriser son environnement. Alors, plutôt que de s’efforcer de trouver des solutions rationnelles et solidaires, certains individus se satisfont de mythologies leur offrant une explication simpliste, mais rassurante. Le phantasme le plus grossier, et parfois le plus anxiogène (excuser du peu, les hommes lézards …), peut faire alors office d’ancrage. Les repères imaginaires auxquels l’individu se réfère peuvent alors avoir, pour lui, plus de poids que la réalité. Notons ici que le même processus a cours en ce qui concerne les religions et l’angoisse existentielle.

Outres ces aspects, la fuite en avant et le fatalisme sont corollaires de ces théories absurdes. En effet, plutôt que prendre à bras le corps, les problèmes rencontrés par chacun sur son lieu de travail ou ailleurs, il est plus confortable de déclarer que la source de tous les maux est une organisation invisible et mystérieuse. On ne peut alors résoudre le problème car les causes sont forcément inaccessibles. Il en résulte passivité et acceptation des situations subies. Ce processus de fuite s’applique, également, pour échapper à l’effet d’un traumatisme profond. Dans le cas qui nous intéresse, ce trauma ne peut être que collectif. C’est le cas, notamment, du 11 septembre 2001. Comment des individus auraient-ils pu commettre un tel acte ? C’est sur ces interrogations que se bâtissent des conjectures des plus délirantes.

L’individu transfère les frustrations liées à sa condition d’exploité, vers une ou plusieurs personnes qui ne sont en rien coupables mais qu’il sait pouvoir facilement accuser et attaquer sans subir de représailles. C’est là que s’appuient les fondements du racisme et de la xénophobie. En France, par exemple, les gens crédules, qui souvent sympathisent avec les discours simplets de l’humoriste d’extrême-droite Dieudonné, boivent aussi les diarrhées pseudo-intellectuelles et haineuses d’un facho mondain, frère de la comédienne Agnès Soral. Il est clair que, entre les théories du complot et les extrême-droites, franchouillarde ou islamiste, un lien existe.

Plus pernicieux encore que ceux qui les croient, sont ceux qui les créent. Les personnes qui créent, puis propagent, ces théories savent, de fait, qu’elles sont déconnectées du réel. Mais elles leur permettent, en revanche, d’introduire et de faire progresser des idées nauséabondes ; et de vendre du papier.

Ensuite, il y a un subterfuge dénommé "l’anti-complotisme primaire", qui n’est, en fait, qu’une manipulation destinée à créer de la polémique autour des diverses théories du complot et susciter de l’intérêt chez les gens crédules. Par cette feinte opposition, il est plus commode d’inciter à prendre parti. L’axe d’attaque consiste à qualifier de complot la dénonciation (des théories du complot) qui explique qu’il s’agit d’une fumisterie. C’est censé laisser planer le sentiment que le complot est quelque chose d’authentique. En fait, il s’agit, tout simplement, de disqualifier la critique du capitalisme qui devient alors si peu passionnante qu’elle en perd tout attrait, allant même jusqu’à faire passer ceux qui dénoncent la supercherie comme des agents du complot. S’il existe, bel et bien, des groupes de personnes se réunissant à huis-clos pour parler de quelle manière ils comptent, par exemple, perturber l’organisation d’un concours de pêche, on peut dire qu’ils complotent. Il peut être fait la même chose avec un groupe politique ou syndical [1]. Nous aussi, nous comploterions - véritable conspiration - car nous incitons à l’abstention. « Je ne vous dit que ça ».

Par contre, si la classe dirigeante pousse ses actions jusqu’au complot, c’est bien contre ceux qui subissent le capitalisme, et contre ceux qui le combattent [2] ; ou simplement contre ceux qui le critiquent, ou contre ceux qui fantasment la lutte [3] faisant d’eux des cibles idéales, après manipulations, destinées à stigmatiser la propagande révolutionnaire. Nous ne devons pas nous gêner pour dénoncer toutes les manipulations confusionnistes de l’information et l’intox de la communication. Les représentants de la classe dirigeante ne diront jamais au grand jour, et surtout avant des élections destinées à les élire, comment cette classe compte nous asservir encore un peu plus ; par exemple, en nous imposant la retraite à 70 ans pendant que, eux, ils s’exempteront de cotisations diverses sur notre dos, s’octroieront des subventions sur notre dos aussi, de généreuses gratifications et des distinctions prestigieuses ... Tous leurs projets de lois seront forcément impopulaires auprès de la population. Et c’est pareil pour les grands groupes industriels, les multinationales, qui jamais ne révèlent au grand jour le dessous des projets qui seront contestés par la population qu’ils mettent en danger.

C’est dans ce cadre que les complotistes ont trouvé un allié naturel dans les mass-media bourgeoises. En effet, la seule arme efficace pour déstructurer les théories imaginaires est de leur opposer la vérité et d’éradiquer la source de cette mutation pathogène de l’esprit : l’exploitation de la crédulité et de l’inculture. Chacun peut se rendre compte que les journalistes institutionnels ne disent pas la vérité. Afin de conserver leurs privilèges, ils n’hésitent pas à délivrer des analyses parfois aussi farfelues que celles des complotistes et à ne relayer qu’une partie de la réalité. Il en découle une perte totale de repères pour les individus qui gobent l’information sans esprit critique. Le jeu en devient alors d’autant plus facile pour les complotistes de crier que la vérité n’est pas celle que l’on veut nous faire croire. Dans une moindre mesure, l’école joue le même rôle. Tant de belles paroles glorifiant le système et promettant à tous un avenir radieux. Mais un fois confrontés à la réalité, arrivés à l’âge de se confronter au marché du travail, c’est toutes les illusions qui s’écroulent.

Les théories du complot se propagent à travers le web et touchent, comme toutes les autres épidémies, les plus fragiles et les plus incultes. Ne nous y trompons pas, si elles ont pu se développer, c’est bien parce qu’elles ont trouvé un milieu favorable. Alors, plus qu’une maladie, elles sont des symptômes de notre époque.

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