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Du mauvais esprit et des lois. "C’est une...

Publié le 24 juillet 2017

Du mauvais esprit et des lois.
"C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser (...) Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir". [1]

Le grand sommeil du conseil constitutionnel.

Ce 09 juin 2017, le pouvoir a, un tout petit peu, arrêté le pouvoir, avec un léger retard a l’allumage de, tout de même, 62 ans. Ce jour-là, le conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le paragraphe de l’article de loi qui, dans le cadre de l’état d’urgence, "donne pouvoir au préfet" pour "interdire le séjour, dans tout ou partie du département, à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics". Le Conseil Constitutionnel a estimé que, avec cette formulation, le législateur "a permis le prononcé d’une telle mesure sans que celle-ci soit nécessairement justifiée par la prévention d’une atteinte à l’ordre public" et "n’a soumis cette mesure d’interdiction de séjour, dont le périmètre peut notamment inclure le domicile ou le lieu de travail de la personne visée, à aucune autre condition et il n’a encadré sa mise en œuvre d’aucune garantie". Du point de vue du citoyen de base, maintenant sommé de marcher au pas au pas de la démocratie "En Marche", cet épisode est assez incroyable car ce paragraphe, désavoué par le Conseil Constitutionnel, est resté en vigueur de façon anticonstitutionnelle pendant pas moins de 62 ans. Après avoir été adopté dans le contexte de la guerre d’Algérie, nous nous rendons compte que le pouvoir que ce texte donne aux préfets n’est couvert par aucune garantie. Voilà qui nous en dit long sur les capacités dormitives du-dit Conseil Constitutionnel qui s’est aussitôt assoupi sur le reste.

Il reste que, en théorie, la loi est toujours écrite au nom du Peuple français. Le Peuple est un concept abstrait, dont il ne s’agit pas ici de discuter la pertinence, mais notons que, si abstrait qu’il soit, il n’en est pas moins proclamé de façon aussi officielle que systématique comme singulier. Retenons ceci que, dans la République Française, la voix du Peuple, la volonté générale, signifie une volonté unique qui ne saurait être plurielle. Dès lors, tout texte, qui autorise différentes interprétations, s’oppose à cette singularité et se place, de facto, hors de ce principe fondamental.

Vox populi et vox dei.

Cela est tellement vrai qu’il existe, même dans le Code Pénal, l’article L.111-4 qui stipule que la loi pénale est d’interprétation stricte. Fondamentalement, cela découle du caractère sacralisé de la Loi au travers de la volonté générale. Si, avant Rousseau, il n’existait qu’une catégorie de prophètes, ceux qui entendaient la voix de Dieu, il en existe, depuis lors, une deuxième catégorie, celle de ceux qui entendent la voix du Peuple (Nous en avons vu plusieurs lors des dernières élections qui, les bras levés au ciel, ou, qui, en hologramme, s’essayaient à ce métier d’écoute suprême). Or, cette voix à laquelle tous doivent obéir est aussi unique que celle de Dieu. C’est cette unicité qui, dans cette théorie, une fois qu’elle est exprimée, impose à tout le monde de se soumettre à cette volonté. Cette soumission de tous est donc liée à une condition logique et essentielle : il ne peut y avoir plusieurs volontés générales différentes. Il s’ensuit qu’il ne saurait y avoir diverses manières d’interpréter la voix du Peuple …

Il se trouve que, avec la loi sur l’état d’urgence, nous sommes à l’opposé de ce principe.

Particulièrement en ceci que, dans les articles qui n’ont pas été retoqués par le Conseil Constitutionnel, et dont la substance risque encore de se retrouver dans les nouvelles lois dites anti-terroristes, il n’existe strictement aucune corrélation entre leurs mises en pratique et les faits qui ont motivé l’état d’urgence, laissant ainsi toute latitude à une foule d’interprétations.

En 2015, la volonté générale était de stopper les attentats islamistes, et non de stopper des manifestations contre la COP 21 ou bien contre la loi travail. Mais, ce sont bien ces possibilités d’interprétation opportunistes qui ont permis à Hollande, faisant preuve d’un parfait mauvais esprit, de mettre au pas les écologistes pendant la COP 21 [2].

La grande menace et le colleur d’affiche.

C’est ce qui arrivé à notre Compagnon A. qui habite à Montauban. Par arrêté du 25 novembre 2015, celui-ci s’est retrouvé assigné à résidence du 25 Novembre 2015 au 12 Décembre 2015, et cela au motif précisément de l’empêcher de participer aux manifestations de la COP 21 sur Paris. Il a été demandé au Tribunal Administratif de Toulouse d’annuler cet arrêté, mais ce tribunal a rejeté la demande. L’ appel de ce rejet devant la cour d’Appel administrative de Bordeaux, le 12 août 2016, a obligé le ministère de l’intérieur à produire un argumentaire que nous avons pu lire. Cet argumentaire nous éclaire sur cette possibilité d’interprétations parfaitement arbitraire qui est offerte par la loi sur l’état d’urgence et les juges n’ont pu que suivre ce raisonnement. On n’arrête pas si facilement le pouvoir quand il s’est donné les moyens légaux de l’abus.

Comme nous l’explique, avec force délectation, la plume du ministère, il ne peut y avoir d’erreur d’interprétation dès lors que la généralité de cette loi permet de l’interpréter selon le bon plaisir du Prince. Il va très justement écrire que "Aucune disposition de la loi du 03 avril 1955 n’impose que les mesures individuelles prises soient motivées par des considérations analogues à celles qui ont conduit à la déclaration de l’état d’urgence. Ainsi une mesure d’assignation à résidence peut être motivée par des considérations étrangères à la menace terroriste sans être illégale de ce simple fait. Cette interprétation qui autorise la généralité des termes de l’article 6 de la loi du 3 Avril 1955 se justifie par la nécessité de permettre à l’autorité de police de prévenir tous types de troubles à l’ordre public, en période d’état d’urgence, notamment pour éviter que les forces de la sécurité intérieure ne soient distraites de leur mission prioritaire".

Nombre de magistrats et de juristes ont, avec raison, dénoncé la mise en œuvre de ce genre de lois parce que reposant sur le soupçon [3]. Par contre, bien peu ont remarqué combien cela permettait aussi les petits règlements de compte. Quand il est avoué que "une mesure d’assignation à résidence peut être motivée par des considérations étrangères à la menace terroriste sans être illégale de ce simple fait", cela signifie, par exemple, que, suite à un tremblement de terre à Nice, l’autorité peut assigner à résidence n’importe qui à Brest dont elle estimerait que, pour une raison ou une autre, il pourrait "troubler l’ordre public".

Nous n’exagérons rien. Parmi les misérables considérations qui ont justifié l’assignation à résidence de notre ami figure le fait suivant. Lisons toujours que "il est proche du syndicat d’obédience anarchiste CNT- AIT, qu’il a d’ailleurs fait l’objet, en 2009, d’un contrôle pour un collage d’affiches à Montauban".

En conclusion, nous remarquerons que, de façon significative, dans son long argumentaire de 7 pages, le ministère de l’intérieur reste totalement muet sur la source d’inspiration religieuse du terrorisme. Qualifier, comme il le fait, les attentats de terroristes, ce n’est rien d’autre qu’un pléonasme. Par contre, il s’empresse de considérer ce qu’il nomme "l’obédience anarchiste" de la CNT–AIT. Rappelons que l’anarchisme, paradoxalement seule idéologie citée dans ce réquisitoire, est une philosophie sans dieu ni maître ; la stigmatiser de la sorte, voilà qui ne manquera pas de plaire à l’État Islamique et à ses partisans.

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