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Le brome, un poison qui rapporte

Publié le 24 juillet 2017

Nombre de scandales défrayent régulièrement l’actualité. La plupart de ces scandales mettent en cause des hommes politiques et les médias ne manquent pas de nous donner une multitude de détails parfois savoureux sur leurs pratiques malhonnêtes que l’on pourrait résumer ainsi : des politiciens profitent de leur statut d’élu et des pouvoirs qui leur sont conférés pour s’enrichir sur le dos de la collectivité. Si ces événements ont fait, à juste titre, la une de l’actualité, il est d’autres scandales dont on parle beaucoup moins. Pourtant, leurs conséquences sont largement aussi dévastatrices puisqu’elles concernent directement la santé des populations. Je veux parler des scandales sanitaires liés à l’utilisation et à la dispersion dans l’environnement de produits nocifs.

Ces scandales se multiplient dans l’indifférence à peu près générale bien que, de temps à autre, nous découvrions, au hasard d’une publication, que tel produit jusqu’alors considéré comme inoffensif est en réalité très dangereux. Ainsi, le journal Le Monde du 18 avril dernier nous explique la « brève histoire du brome » et les dangers encourus par les populations du fait de sa présence dans la plupart des objets de notre quotidien.

Le brome est un corps simple qui présente la particularité d’être incombustible. Au début des années 70, aux États-Unis, les producteurs de brome, parce qu’ils souhaitaient développer leurs ventes, décidèrent de mettre en avant les qualités de leur produit pour diminuer les risques d’incendie. En conséquence, nombre de substances à base de brome susceptibles d’être ajoutées dans des produits de grande consommation furent mises sur le marché. Suite à une campagne de lobbying, que nous pouvons imaginer très intense, le gouvernement américain promulgua, en 1975, une série de normes très exigeantes en matière de prévention contre les incendies. A la suite de quoi, le brome envahissait tous les objets de la vie quotidienne des américains : textiles, plastiques, peintures, colles, meubles, revêtements de sols, appareils électroménagers, etc. De ce fait, les ventes de brome ont explosé, tout comme les profits des industries de la filière pour le plus grand bonheur de ses dirigeants et actionnaires.

A la fin des années 70’, une nouvelle maladie fit son apparition parmi les chats d’appartement : l’hyperthyroïdie féline. L’hyperthyroïdie se caractérise par un changement du métabolisme et du comportement, par des troubles cardiaques, par des pertes de poids, etc. Cette maladie, inconnue jusqu’alors, fut décrite en 1979 et, curieusement, les scientifiques s’aperçurent qu’elle ne concernait que les chats d’appartement ; les chats errants n’étant jamais affectés. Quand nous parlons de thyroïde, nous pensons immédiatement aux radiations nucléaires mais s’il est bien connu, depuis Tchernobyl, que les nuages radioactifs s’arrêtent aux frontières des États, personne n’a jamais osé prétendre qu’ils rentraient dans les appartements sans survoler les rues et les campagnes. Alors, les scientifiques ont cherché ailleurs et ce n’est que deux décennies plus tard que certains émirent l’hypothèse d’un lien entre cette maladie et « les retardateurs de flamme bromés » : des poussières contenant du brome, issues des peintures d’appartement, se déposent sur les poils des chats qui les absorbent en se léchant. Bien entendu, craignant de perdre leur pactole, les producteurs de brome ont contesté et contestent, d’ailleurs, toujours le lien de cause à effet entre le brome et l’hyperthyroïdie féline.

Suite aux études scientifiques menées pour comprendre ces effets, le brome est aujourd’hui considéré comme un perturbateur endocrinien certain et il est donc, nous disent les médecins, susceptible de perturber le fonctionnement de la glande thyroïde, celle des chats mais aussi celle des humains. Par ailleurs, les dates d’apparition de la maladie coïncident bien avec l’explosion des ventes des produits bromés. Les vendeurs de ces produits ont été d’une efficacité si redoutable que l’on trouve aujourd’hui de ces substances absolument partout, ils se diffusent dans l’environnement et ont la faculté de s’accumuler dans les graisses animales et donc de se concentrer dans la chaîne alimentaire. Le brome se retrouve même dans des crustacés vivant dans des abîmes océaniques à dix milles mètres sous la surface de l’eau. Enfin, nous savons maintenant que si le brome est nocif pour le chat, il n’est pas bon non plus pour les humains : plusieurs études épidémiologiques ont montré « une relation, chez les enfants, entre l’exposition prénatale et post-natale aux PBDE (un type, parmi bien d’autres de produits bromés), d’une part, et certains effets, d’autre part : faible poids à la naissance, faible tour de tête et de poitrine, diminution des fonctions de coordination de la motricité, de la cognition et de la concentration ».

Nous pouvons nous rassurer en pensant que nous, européens, nous sommes beaucoup moins exposés au brome que les américains, mais il faut savoir que les lobbyistes européens ont démarré beaucoup plus tard et ont été moins efficaces que leurs collègues d’outre-atlantique. Enfin, cerise sur le gâteau, des études montrent que l’utilisation massive du brome n’a pas fait diminuer la fréquence des incendies. Elle n’a donc servi à rien, si ce n’est à enrichir tous les industriels de la filière.

Pour éliminer tous ces produits dangereux, il existe une solution : les incinérer dans des fours à très haute température. Nul doute que, dans un avenir proche, les gouvernements promulgueront des règlements imposant la destruction de ces déchets. Voilà qui fera le bonheur des entreprises dont c’est le métier et de leurs actionnaires. Et si, dans le souci soi-disant vertueux d’appliquer le principe « les pollueurs seront les payeurs », les États imposent des taxes sur la destruction de ces poisons, de toute façon ces dernières seront répercutées sur les prix des produits. En régime capitaliste, c’est toujours, au final, le consommateur qui paye l’addition.

L’histoire du brome est d’une grande banalité ; la liste des produits introduits sur le marché et dont il est découvert qu’ils sont dangereux pour le consommateur, l’environnement ou la bio-diversité est très longue : amiante, pesticides, herbicides, médicaments, etc. Nous retrouvons, chaque fois, les mêmes acteurs, les mêmes processus, les même victimes. Au départ, un groupe industriel ou financier lance un nouveau produit, il lance des opérations de lobbying auprès des autorités pour obtenir des règlements favorables. Au bout d’un temps plus ou moins long, il se découvre (très souvent par hasard) que ce produit est dangereux : un bras de fer s’engage alors entre les représentants de la société civile (associations de consommateurs, de protection de la nature, etc) et les industriels.

Pour pouvoir continuer à vendre leurs produits ces derniers engagent des avocats, des détectives, des sociétés de lobbying pour contester les arguments défavorables au produit et montrer qu’il est irremplaçable, faire pression sur les scientifiques, gagner du temps coûte que coûte, etc. Tous les moyens sont bons. Quand, enfin au bout parfois de plusieurs décennies (cas de l’amiante) l’interdiction de mise sur le marché du produit est obtenue, les gouvernements imposent sa collecte puis son élimination.

Attirés par la perspective de gros profits, des groupes financiers et industriels proposent alors leurs services et mettent en place les sociétés qui, moyennant finances, collecteront puis élimineront les polluants et, même, restaureront s’il y a lieu les environnement saccagés. Au final, donc, la collectivité paye et les financiers, industriels et actionnaires, s’enrichissent à chaque étape ; en polluant comme en dépolluant. Les victimes des pollutions (malades, handicapés, infirmes) se débrouillent comme elles peuvent et restent à la charge de la collectivité. Le cycle que nous venons de décrire est aussi vieux que le système d’exploitation capitaliste. De tous temps, les classes dominantes se sont enrichies sur le dos des classes exploitées. La seule chose qui a changé, c’est qu’avec l’évolution des technologies modernes, dans leur quête permanente d’enrichissement à tout prix, les classes dominantes mettent, désormais, en danger toute l’humanité.

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