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DÉLIT DE SOLIDARITÉ

Publié le 6 avril 2017

En empruntant à pied l’autoroute A8 à la frontière italienne pour tenter de rejoindre la France, au moins cinq réfugiés sont morts depuis le mois de septembre. Par défaut d’infrastructures adéquates, d’autres sont portés disparus suite aux dernières intempéries. En un mois sept personnes ont été interpellées dans la région pour avoir secouru des exilés. Le 04 Janvier 2017, un agriculteur de la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) était jugé à Nice pour avoir apporté son aide à des migrants. Les charges retenues contre lui sont d’avoir recueilli, soigné et hébergé des êtres humains en détresse. Pour avoir aidé autrui, notamment de nombreux mineurs, il a été placé en garde à vue par l’État français.

Le « délit de solidarité » se réfère à l’article L 622-1 du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), datant de 1945. Censé lutter contre le trafic d’êtres humains, il a pour cible « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France ». Les peines encourues peuvent aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Une loi du 31 décembre 2012 devait abroger cet article en élargissant les clauses d’immunité « lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf (...) s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ». Ce texte évoque l’aide au séjour mais pas l’aide à l’entrée ou à la circulation au sein du territoire français. Ceci menace encore les personnes bienveillantes et bénévoles transportant des migrants. Malgré cette disposition, les interpellations et les tentatives de pression à l’encontre des personnes solidaires ne cessent de s’intensifier.

Les mises en examens ne sont pas les seuls outils dont l’État dispose afin de dissuader les honnêtes gens d’ouvrir leurs cœurs et leurs maisons à ceux qui en ont besoin. Ainsi le 19 Janvier dernier, les gendarmes ont procédé à une perquisition plus que musclée dans l’exploitation de l’agriculteur. Sortis de deux fourgons et cinq voitures, une vingtaine d’hommes en armes et chauffés à blanc ont fait irruption chez lui. Évacuant les témoins, ils ont tout d’abord neutralisé et mis à l’écart les journalistes présents. Ils ont hurlé si fort que leurs propos en devenaient incompréhensibles lorsqu’ils se sont adressés à une infirmière de Médecins du Monde occupée à panser les plaies d’un jeune soudanais. Les enfants terrorisés ont fondu en larmes. Toutes les personnes présentes sont restées traumatisées, choquées et sans voix. Suite à cette opération, deux proches du paysan et trois mineurs ont été interpellés.

Plus tard dans la soirée, une journaliste réalisant un reportage sur la solidarité et l’aide aux migrants est arrêtée en compagnie de six jeunes érythréens. Séparée du reste du groupe et placée en garde à vue, elle sera libérée un peu plus tard sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elle. A sa sortie de la gendarmerie, elle sera mise en garde et il lui sera dit de faire attention à elle si d’aventure elle était ré-appréhendée en compagnie d’autres migrants.

L’État justifie le renforcement des contrôles aux frontières au nom de la lutte contre Daesh et le terrorisme. Il est bien entendu que les perquisitions, aussi violentes soient-elles, n’égalent pas les atrocités sanguinaires perpétrées par l’État islamique. Il n’en reste pas moins que ces harcèlements répétés ont pour objectif d’imposer des idées par la violence et la terreur. Aussi, si les actes ne sont pas comparables, les cheminements mentaux qui y conduisent sont similaires.

Les migrants qui quittent leurs régions ne le font pas par gaieté de cœur. Ils laissent derrière eux demeures, famille et amis. Ils sont prêts à donner tout ce qu’ils possèdent encore pour avoir une chance de fuir et de prendre place sur une embarcation de fortune. Ils sont prêts à risquer leur vie dans une expédition incertaine pour arriver sur l’autre rive. Et s’ils le font, c’est que, malgré les dangers encourus, leur espérance de vie reste plus élevée que s’ils restaient sur place.

Les causes de telles situations sont biens connues. Elles sont celles que nous combattons quotidiennement. Les conflits que ces personnes fuient n’ont pas d’autres raisons que les religions, les nationalismes ou les prétendues ethnies. La misère qu’elles tentent de fuir est le résultat du capitalisme le plus "pur". Bientôt, viendront s’y ajouter les migrants écologiques ; du fait de la pollution générée par le système actuel. En résumé, elles ont pour cause le déficit des idées et des pratiques progressistes, humanistes et universalistes.

La solidarité envers ces personnes, c’est de la propagande par le fait. Outre l’aspect purement humain et emphatique, elle permet de véhiculer des valeurs morales et éthiques. Fermer la porte à ces personnes, ne pas intervenir, se cacher les yeux, c’est creuser le lit du fanatisme religieux qui prend racine dans la misère sociale. Au contraire, s’ouvrir à elles, c’est montrer qu’il est des mécréants plus purs que les hadjs [1] ou les saints. C’est prouver, par le fait, que nos actes se font par delà la crainte de Dieu ou de l’espoir d’un hypothétique paradis. Être solidaire, c’est dire que nous faisons ce que nous faisons uniquement par humanité, sans frontière et sans race. Pour nous, la vie n’a de sens que celui que nous y injectons.

Par delà, il y a ce qui constitue un être humain, ses valeurs, son éthique et sa morale. C’est ce qui fait que lorsque le matin vous vous levez, vous pouvez vous regarder en face. Reste à savoir pour quelles valeurs vous désirez vous battre, quel modèle de société vous voulez promouvoir.

Est-il envisageable d’accepter une loi qui laisse mourir et souffrir les être humains, qui les laisse dépérir dans les plus précaires conditions ? Les migrants sont des victimes qui tentent de fuir les coupables de leurs misères. Ne pas les accueillir revient à les condamner de nouveau et donner raison à ceux qui les oppriment.

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