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FLICAGE PUISSANCE DIX

Publié le 29 juin 2015

Comme beaucoup de politiciens, suite aux sanglants attentats de janvier 2015, Manuel Valls s’est érigé en défenseur des libertés, ce socle indéboulonnable de notre république... tout en le déboulonnant activement. En procédure d’urgence, il a présenté ce 19 mars un projet de loi antiterroriste, en réalité un texte visant à étendre grandement les pouvoirs de flicage de l’État.

Il n’est, malheureusement, pas le premier à cyniquement tremper sa plume dans le sang encore chaud des victimes pour rédiger une nouvelle loi liberticide au nom de la défense des Libertés. Dans la France républicaine c’est d’ailleurs une habitude : tout a commencé avec les lois scélérates (votées en 1893-1894), dans un contexte certes fort différent, suite à des attentats soi-disant anarchistes. Elles visaient surtout à casser le mouvement ouvrier et elles permirent, en réalité, ce qui était leur but, de faire taire quasiment toutes les voix anarchistes tout comme des voix critiques qui n’appartenaient pas au mouvement révolutionnaire. Elles ne seront abrogées d’ailleurs qu’en 1992 !

Depuis 1986, l’État n’a cessé d’accélérer la cadence législative afin de renforcer l’arsenal judiciaire contre le «  terrorisme  ». Cet empilement de mesures (14 au moins) a rogné peu à peu les libertés publiques. Il avait été, de plus, sacrément alourdi peu de temps avant les événements de janvier (en novembre 2014) : mise en place d’une interdiction administrative de sortie du territoire, renforcement de la répression de l’apologie du terrorisme ; possibilité de blocage des sites Internet et de recherche de données dans des serveurs situés à l’étranger, pénalisation des actes supposés préparatoires…

Cette prolifération législative se double d’une stratégie de la tension face aux protestations. Preuve en est la «  gestion  » des manifestations qui avaient suivi le meurtre de Rémi Fraisse  : cortèges interdits, déploiement colossal de compagnies de CRS et de gendarmes mobiles, utilisation d’un matériel disproportionné, grenades habilement lancées sur de simples promeneurs… tout ceci pour faire peur à la population … La peur est également exploitée depuis le 7 janvier pour renforcer la surveillance et le contrôle de la population dans son ensemble, pour restreindre, encore et toujours plus, nos libertés.

L’Assemblée nationale puis le Sénat dernièrement (9 juin 2015) ont pratiquement plébiscité une nouvelle loi étendant très largement le champ d’action des six services de renseignement français et instaurant des techniques de surveillance de masse. Le Premier ministre - on n’est jamais mieux servi que par soi-même - devient ainsi le seul décisionnaire en matière d’espionnage de ses concitoyens.

Comme le rapporte le wiki de La Quadrature du Net [1] : « L’article L. 851-4 tel que rédigé par le projet de loi prévoit que le Premier ministre peut ordonner aux opérateurs de communications électroniques et aux fournisseurs de services de détecter, par un traitement automatique, une succession suspecte de données de connexion, dont l’anonymat ne serait levé qu’en cas de révélation d’une menace terroriste. [...] Cette disposition instaure une surveillance de masse, à l’aide de dispositifs techniques et d’algorithmes [2] sur lesquels aucune transparence n’est possible. »

Concrètement les services de renseignement pourront suivre en temps réel n’importe quelle connexion internet pour savoir quels sites une personne a visités, à quelle heure, si elle a envoyé un message Facebook à telle personne, si elle a tapé tel mot clef sur Google… Jusqu’à maintenant, ils devaient solliciter les opérateurs, mais grâce à cette nouvelle loi, plus besoin d’avoir recours à des intermédiaires, ils pourront se brancher directement sur les réseaux pour nous surveiller comme bon leur semblera.

Pour ce faire, le Premier ministre pourra, très prochainement, exiger des Fournisseurs d’Accès et Internet (FAI) et des hébergeurs qu’ils mettent en place « sur leurs réseaux ou serveurs des mouchards algorithmiques qui garderont trace pour une durée indéterminée de toutes les connexions et activités des internautes sur les sites et services observés, et qui réaliseront automatiquement des croisements pour constater que, par exemple, telle adresse IP visite fréquemment tels sites de propagande djihadistes, et qu’elle est par ailleurs utilisée pour communiquer avec des étrangers en Syrie ou en Iraq, et qu’en plus elle est utilisée pour rechercher des expressions compromettantes sur des moteurs de recherche. Absolument aucun respect de la confidentialité du contenu des communications n’est prévu, ni aucune limite au nombre des personnes ainsi placées sous surveillance préventive, ou aux méthodes employées.  » [3]. Bien naïf qui pourrait croire que l’espionnage se limitera aux sites djihadistes…

Les simples « citoyens » ne doivent pas s’inquiéter, susurrent le sieur Valls et ses acolytes, car ils ont tout prévu  : une Commission de contrôle des interceptions sera garante de nos libertés. Si le sujet n’était si grave, se serait à se rouler par terre de rire. D’une part, on n’a jamais vu une telle commission s’opposer réellement au pouvoir dont elle dépend, d’autre part, cette même loi prévoit qu’il suffira à nos James Bond du cyberspace de fournir au Premier ministre une vague suspicion de « menace imminente » pour avoir le droit de passer outre l’avis de la commission censée protéger le quidam des abus de nos chers services de renseignement  ! La dite commission ne sera alors prévenue qu’à posteriori et pourra simplement menacer de saisir le Conseil d’État. La police en tremble d’avance.

Deuxième grand argument des cyberflics : pourquoi vous inquiétez-vous « si vous n’avez rien à vous reprocher » ? Valls, avec le culot qui le caractérise (rappelez-vous avec quel mépris il a rejeté, des jours durant, les critiques de son onéreuse escapade footballistique) a beau affirmer «  Le projet de loi prévoit expressément que cette surveillance renforcée concernera les communications des seuls terroristes : cela démontre bien qu’il n’y aura aucune surveillance de masse. Le projet l’interdit ! », il est évident que la surveillance sera de masse, qu’elle ne se cantonnera ni aux «  terroristes  », ni aux «  supposés terroristes  », ni aux «  relations lointaines des supposés terroristes potentiels  », pas plus d’ailleurs qu’aux personnes ayant une activité politique ou sociale mais bien à l’ensemble de la population. Cet espionnage de masse sera utilisé par ceux qui disposent des manettes du pouvoir pour servir leurs intérêts particuliers, personnels ou leur curiosité malsaine. Aux temps préhistoriques où il n’y avait que des écoutes téléphoniques, rappelons qu’il y eut au moins un président de la République (et sûrement pas que lui) qui se repaissait de la vie privée de telle ou telle actrice. Ce n’est qu’un exemple, somme toutes anodin.

L’affaire dite « de Tarnac » fournit un autre bon exemple. Il a suffit d’attribuer à quelques personnes la rédaction d’un bouquin vaguement contestataire pour en faire des « ennemis publics numéro 1 » et de méchants terroristes !

Les lois scélérates de la fin du XIXe, citées plus haut, permirent d’interdire de nombreux journaux anarchistes pourtant nullement liés à des groupes terroristes (comme « Le Père Peinard »), et de mener une véritable chasse aux sorcières en opérant des milliers de perquisitions et d’arrestations. Des séries de listes nominatives furent ainsi dressées afin de répertorier les individus soupçonnés de sympathies libertaires. Tant qu’à faire, on en profita aussi pour ficher les Sans domicile fixe.

Plusieurs dispositifs de cette loi confirment cette tendance lourde qui utilise le terrorisme comme un prétexte pour doter l’État de moyens de surveillance et de contrôle accrus afin de circonscrire toute contestation qui, en ces temps de crises et de politique ouvertement asociale, pourrait être fatale au gouvernement.

Le projet de loi prévoit que les mesures de surveillance seront utilisées à la fois pour les suspects, mais aussi pour les « personnes appartenant à [son] entourage  » s’il « existe des raisons sérieuses de croire [qu’elles ont] joué un rôle d’intermédiaire, volontaire ou non  ». Ce qui revient à dire que si vous vous êtes trouvé au mauvais endroit au mauvais moment ou que vous avez croisé par hasard une « mauvaise personne », vous pourrez être mis sous surveillance. Car au risque de se répéter, le texte stipule bien le fait que votre rôle soit «  volontaire ou non » ! La loi ouvre la possibilité d’installer des «  IMSI catchers  », c’est à dire des appareils qui imitent les antennes-relais de téléphonie mobile afin de capter les communications d’un suspect. Or, comme la CNIL est bien obligée de le reconnaître «  Un tel dispositif permettra de collecter de manière systématique et automatique des données relatives à des personnes pouvant n’avoir aucun lien ou un lien purement géographique avec l’individu effectivement surveillé   ». A ce stade une importante remarque s’impose  : la CNIL a le même statut, les mêmes types de pouvoir que la fameuse Commission de contrôle des interceptions qui sera créée. Or, la CNIL constate qu’il y aura bien des collectes automatiques et systématiques de données personnelles, ce qui est absolument interdit par la loi et que fait-elle après ce constat  ? Rien. Les « pouvoirs » que la loi lui accorde s’arrêtent devant Valls et ses flics.

Les «  algorithmes prédictifs  » prévus par la loi sont, par essence, non ciblés puisqu’il s’agit de débusquer des personnes qui, éventuellement, dans un futur plus ou moins lointain, pourraient devenir des terroristes ou être en contact volontairement (ou pas) avec eux, c’est à dire à peu près n’importe qui. L’utilisation d’algorithmes prédictifs apporte un démenti formel aux propos prétendument rassurants du ministre de l’intérieur Cazeneuve «  Il ne s’agit pas de techniques de prélèvement de masse mais, au contraire, de techniques de ciblage  ». Ces algorithmes permettent, comme dans le roman de Science-fiction de K. Dick Minority Report, de considérer comme criminel n’importe qui, avant même qu’il ait commis un quelconque crime !

Enfin, toujours selon le wiki de La Quadrature du Net, la loi : « Prévoit d’étendre les compétences des services de renseignement à la ‘‘prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique’’. La formulation extrêmement large de cet intérêt public autorisant des techniques exceptionnelles de surveillance fait peser de graves risques d’arbitraire, notamment en matière de surveillance des mouvements sociaux.  »

On est dès lors loin, très loin de la prétendue lutte contre des groupuscules djihadistes et ce sont bien les mouvements de contestation sociale comme par exemple celui des zadistes à Sivens, d’ouvriers organisant un piquet de grève, des lycéens bloquant un bâtiment public, des personnes manifestant malgré un interdit préfectoral et tant d’autres qui sont visés en réalité par cette loi parfaitement liberticide.

C’est totalement inhabituel dans notre journal, mais nous laisserons la parole pour finir à un juge, bien connu pour ses « qualités » répressives : « Ne mentons pas aux Français en présentant ce projet comme une loi antiterroriste. Il ouvre la voie à la généralisation de méthodes intrusives, …  » [4]. C’est le moins que l’on puisse dire.

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