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SOUS LE MASQUE DE LA DÉMOCRATIE, LA RÉALITÉ CRUE D’UN POUVOIR CRIMINEL

Publié le 8 décembre 2014

Moi-Président avait promis de faire de la jeunesse la priorité absolue de son mandat ; deux ans et demi après son élection, le message envoyé à la jeunesse de ce pays est on ne peut plus clair : si vous bougez, on vous tuera.

D’emblée, le pouvoir a choisi la stratégie de la tension pour répondre à l’occupation du site du barrage de Sivens. Les forces de l’ordre ont harcelé continuellement et de façon extrêmement agressive les zadistes et autres opposants, elles ont par ailleurs laissé agir en toute impunité des groupes fascistoïdes. Le résultat de ce climat de tension est maintenant malheureusement bien connu  : la mort de Rémi Fraisse, assassiné à 21 ans. Il participait pour la première fois de sa courte vie à une manifestation. La grenade offensive qui l’a tué lui a entièrement déchiqueté le haut du dos, arrachant en partie la colonne vertébrale. Les gendarmes mobiles ont ensuite traîné son corps sur une quarantaine de mètres, sans doute dans le but de cacher leur forfait. Ce meurtre est particulièrement révoltant.

Durant deux longues journées, le pouvoir socialiste a essayé de nous vendre sa version des faits, en laissant entendre que la mort pourrait être due à l’explosion d’engins incendiaires que le jeune Rémi aurait transporté dans son sac. Puis, tandis que Valls assure les forces de « l’ordre » de son indéfectible soutien, Moi-Président accorde aux malheureux parents quelques mots tardifs d’une compassion simulée.

48 heures, il aura fallu 48 heures au pouvoir pour qu’il avoue son crime, pour qu’il admette, au terme d’une laborieuse enquête, que les traces de TNT découvertes sur le sac de la victime ne pouvaient provenir que d’une grenade gendarmesque. Or, Médiapart a révélé que, quasi immédiatement, les gendarmes ont su qu’ils avaient tué et qu’ils en avaient informé tout aussi immédiatement leur hiérarchie, c’est-à-dire Caze-neuve, Valls et Moi-Président.

Exécutants en uniforme et commanditaires en costard-cravate sont parfaitement identifiables, malgré les cagoules des uns et les mensonges des autres. La justice est saisie (pour homicide volontaire) et rendra un jour un verdict. Un jour… Mais on sait déjà que les véritables responsables ne seront nullement inquiétés et que les exécutants bénéficieront de l’infinie clémence des juges. Les responsables n’auront que quelques explications à fournir, qui, pour incohérentes qu’elles soient, satisferont la justice, même si c’est au prix d’une nouvelle perte de légitimité.

Ce crime, commis en bande organisée, a suscité et suscitera encore bien des réactions de révolte légitime un peu partout en France. Devant une telle rage meurtrière, face à un tel déchaînement de violences policières, on est en droit de se demander quel est l’enjeu réel de ces conflits écologiques et pourquoi l’État se sent tellement menacé qu’il en vient à tuer.

C’est que les opposants au barrage de Sivens, à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à la ligne Lyon-Turin (la liste n’est pas exhaustive) ont en fait la folle espérance d’entraver la marche en avant vers toujours plus de profit, toujours plus de destruction de la nature. Velléités insupportables pour un État autoritaire, d’autant que ces luttes s’organisent de façon autonome et échappent aux récupérations politiciennes.

Alors qu’on ne l’attendait plus (parce que, dans les usines, elle est systématiquement muselée par les syndicats officiels, et dans les quartier sensibles neutralisée par le communautarisme sciemment développé par le pouvoir), la lutte des classes revient en force dans les bois : action directe, résistance active, auto-organisation, fonctionnement assembléiste… les outils traditionnels des véritables luttes ouvrières se déploient à nouveau là où le pouvoir ne les attendait pas et démontrent encore une fois leur efficacité.

Car, sans l’occupation directe, immédiate, des sites par les zadistes, ces mirifiques projets de pseudo-aménagement du territoire auraient déjà vu le jour. Et d’autres encore. D’où la hargne de l’État et des maîtres-bétonneurs qui trépignent et se lamentent en comptant les sous qu’ils perdent (pots de vin substantiels pour les uns, dividendes et détournements de fonds publics pour les autres). Pour ces tristes sires, le temps c’est de l’argent et les retarder dans leur course au profit et au saccage équivaut à une déclaration de guerre.

Pourquoi ces projets, inutiles, coûteux et imposés arrivent-ils à cristalliser la révolte et l’exaspération d’une partie de la population, et comment les opposants à ces projets parviennent-ils bon gré, mal gré, à fonctionner ensemble en dépit des différences d’analyses ou de parcours  ?

En fait, c’est l’État lui-même qui contribue puissamment à fédérer contre lui les opposants : son arrogance, son mépris pour les « administrés » s’affichent ouvertement dans les tactiques et stratégies qu’il met en œuvre à chaque tentative «  d’aménagement du territoire  » (qu’il faudrait d’ailleurs écrire «  déménagement du territoire  », tant les destructions sont violentes).

Le mode opératoire est toujours le même : pour préserver les apparences démocratiques et flatter le zèle citoyen, il est d’abord procédé à une « enquête d’utilité publique ». Les citoyens sont invités à s’exprimer librement sur l’utilité du magnifique projet (projet déjà entièrement conçu et qui attend sagement dans les coulisses le feu vert du metteur en scène). Les dossiers à compulser par les « citoyens » en mairie (avec heures d’ouverture imposées) peuvent atteindre des tailles considérables (5 000 pages pour la ligne Lyon-Turin) et nécessitent souvent des connaissances pointues. De plus, l’avis de la population est purement consultatif et n’est jamais pris en considération quand il est négatif. Ainsi, tout récemment, dans le cas du projet d’édification d’un parc de loisirs à Roybon (Isère), les trois commissaires enquêteurs ont rendu un avis défavorable. Le préfet n’en a tenu aucun compte et a maintenu le projet. L’enquête publique a été jetée à la poubelle par ceux-là même qui l’ont commanditée. Point barre.

Le contenu même des dossiers soumis à l’examen consultatif des populations est sujet à caution. Bien souvent, ce sont les bureaux d’études des futurs maîtres d’œuvre qui rédigent « en toute impartialité » les études sur la faisabilité du projet, qui en explorent l’impact écologique… Ainsi, à Sivens, c’est la fameuse Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne qui intervient sur l’analyse des besoins en eau, alors qu’elle sera également maître d’ouvrage. Ce n’est pas une exception : pour l’enquête sur la ligne Lyon-Turin, le cabinet d’études est également maître d’ouvrage (Lyon-Turin-Ferroviaire). On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même…

Cerise sur le gâteau, les devis de départ, déjà énormes, sont systématiquement dépassés, parfois doublés ou triplés, sans que ceux qui les ont établis aient à en répondre (alors que, légitimement, c’est à eux de payer la différence). Tout le monde le sait, mais les cabinets d’études peuvent continuer en toute tranquillité à mentir impunément sur le coût réel.

L’incroyable grossièreté de ces procédés ne peut qu’exaspérer une population qui avait peut-être, jusqu’alors, cru en l’existence mythique d’un « État de droit ». Les « représentants de l’intérêt général » apparaissent de plus en plus (et à plus en plus de gens) pour ce qu’il sont réellement : les défenseurs d’intérêts tout à fait particuliers… qui n’oublient pas leurs propres intérêts personnels.

La lente dissipation des « illusions démocratiques » continue avec le vain recours à la justice pour tenter d’entraver l’avancée de ces mirifiques projets.

La justice, si prompte à condamner lourdement les manifestants, est curieusement toujours très lente à se prononcer sur ces dossiers. En pratique, les bulldozers (qui ne sont pas des engins de course !) s’avèrent toujours plus rapides que la dite justice et les mises en chantier, même quand elles se font dans la plus totale illégalité, se poursuivent sans encombre. Le viol des décisions de justice (lorsqu’elles sont défavorables) s’ajoute à toute cette procédure foireuse. Le barrage de Fourogue, avec les mêmes protagonistes qu’à Sivens (Conseil général du Tarn, Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne) en offre un exemple, si l’on ose écrire, vivant, puisqu’avec 17 ans de la plus totale illégalité, il est toujours là.

A Sivens et ailleurs, ces projets de «  déménagement du territoire » permettent donc à tout un chacun d’assister au spectacle peu ragoûtant de l’État se dépouillant un à un de ses oripeaux démocratiques pour ne plus garder que la seule tenue qui lui convient vraiment  : celle de robocop.

Discrédité par ses manœuvres grossières, tenu en échec par une occupation tenace et une résistance déterminée, à court d’arguments, l’Etat a opté pour une violence systématique et extrêmement agressive à l’égard des occupants des sites. A Sivens en particulier, on a pu assister à la destruction de cabanes, de tentes, d’affaires personnelles, à des coups portés sur des zadistes non violents, à des intimidations et humiliations sans nombre. Tout un chacun peut le vérifier sur les vidéos, comme cette grenade lancée par la police dans la caravane où vivait une jeune femme, la blessant grièvement à la main. Le sommet de la violence étatique a été atteint dans la nuit du 25 au 26 octobre.

Dans une ultime provocation, le lendemain de l’assassinat de Rémi, l’État rend publiques les conclusions d’une contre-expertise qui dénonce les très nombreux défauts du projet, qui se prononce défavorablement… tout en affirmant qu’en fin de compte, vu les engagements (le terme « interpénétration  » aurait été plus exact) des autorités envers les maîtres d’œuvre et le secteur agricole, ce projet doit aboutir.

Cette reconnaissance tragiquement tardive d’erreurs manifestes est à prendre comme la « phase 2 » d’une manipulation qui vise à scinder le mouvement d’opposition  : d’abord l’État provoque délibérément les violences ; ensuite, il prétend établir le dialogue en tentant de vendre un barrage plus petit (proposition dérisoire s’il en fût !). Le système concède qu’il peut ainsi se tromper sur le dimensionnement ou l’impact environnemental d’un projet (pour reprendre ses propres termes), mais persiste envers et contre tout à affirmer la nécessité de sa réalisation : la survie de l’économie (locale, régionale, nationale) serait, nous affirme-t-on, à ce prix.

C’est le perpétuel double discours de la propagande étatique qui décrète la planète en danger et avoue en même temps son refus de la sauver, puisque la survie de l’Économie (avec un E majuscule) implique la continuation de la Croissance et de la Production, c’est-à-dire du saccage et du pillage généralisé de la terre. Ces injonctions absurdes, schizophréniques, du type « Nous savons que nous sommes dans l’erreur, mais il n’y a pas d’autre moyen que de continuer sur cette voie, suivez-nous, c’est un ordre ! » ne peuvent plus, à terme, susciter l’enthousiasme des foules. Si beaucoup de personnes restent encore paralysées, tétanisées par la menace de cet avenir cauchemardesque, d’autres ont choisi de refuser la soumission à ce désastre en marche qui s’incarne dans ces grands (ou modestes) « projets de déménagement du territoire ».

Entrés en rébellion, ils cherchent à créer un autre futur en vivant dès maintenant un autre présent.

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