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BOUYGUES FLAMANVILLE : TRAVAIL DISSIMULÉ

Publié le 18 octobre 2014

Ce mois d’octobre Bouygues (sa branche « bétonneur » en tout cas) ainsi que d’autres entreprises moins « célèbres », en l’occurrence Atlanco, Elco et Welbond, passeront à partir du 21 devant le tribunal correctionnel de Cherbourg pour une affaire qui illustre à la fois la façon dont les grandes entreprises considèrent le personnel qu’elles emploient et celle dont elles assurent la sécurité de ce qu’elles construisent. Notre fleuron national des travaux publics est poursuivis pour travail dissimulé sur le chantier du dernier temple du nucléaire.

EDF et l’État français avaient voulu faire de la construction de ce « Réacteur à Eau Pressurisée » (EPR), la vitrine du renouveau nucléaire en France (qui pourtant semble être déjà en surcapacité).

  LA SCÈNE : LE CHANTIER DE CONSTRUCTION DU RÉACTEUR EPR À FLAMANVILLE

Débutés en 2007, les travaux sont suspendus dès mai 2008 car, selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) — que nous n’avons aucune peine à croire sur ce point — « des fissures » sont apparues « à la coulée d’un bloc de béton composant la plate-forme (le radier) de l’îlot nucléaire de l’EPR » ! De quoi faire douter de la sécurité de l’ensemble, mais ce n’est pas ça qui arrête des nucléocrates ! Le chantier se poursuit donc, tout en ne cessant point d’accumuler les retards.

Prévue pour 2012, la mise en service a été repoussée à 2016. La dernière suspension du chantier date de décem-bre 2013 : selon Médiapart, « L’autorité de sûreté nucléaire a découvert de graves dysfonctionnements sur une machine au sein du bâtiment du futur réacteur nucléaire. Sommée de réagir, EDF a fait la sourde oreille. Jusqu’à ce que le ministère du Travail lui ordonne d’agir en toute urgence le 13 décembre ».

Le chantier a connu plusieurs accidents du travail dont le décès d’un ouvrier, ce qui a valu à Bouygues une amende de 75 000 euros pour homicide involontaire, une somme ridicule par rapport au chiffre d’affaires du chantier (d’autant plus qu’elle sera largement remboursée par les surcoûts) et qui n’a de ce fait rien de dissuasif. [1]

La catastrophe nucléaire de Fukushima n’a pas remis en cause la construction du réacteur de 3e génération. Pourtant, contrairement à la catastrophe de Tchernobyl, les chantres du nucléaire ne pouvaient plus la mettre sur le dos d’un manque de maîtrise technologique des Soviétiques  ; le Japon étant ce pays dont on nous a chanté les hautes qualités organisationnelles (quasi-militaires) et techniques, un pays qui a retrouvé la « prospérité » par l’accès aux technologies de pointe  !
Pour couronner le tout (et on appréciera l’information à sa juste valeur, en ces temps où l’on nous rebat les ouïes à satiété avec la « dette ») le surcoût du chantier serait de plus de 5 milliards d’euros. Le coût de l’EPR, initialement estimé à 3,4 milliards d’euros à été en effet réévalué en décembre 2012 à 8,5 milliards ! Et ce n’est pas fini. D’autres défauts, d’autres retards viendront probablement alourdir cette note déjà extravagante.

Résumons : une technologie à haut risque, qui n’est pas aussi bien maîtrisée qu’on voudrait nous le faire croire (et de loin), un chantier qui tue et dont le coût s’envole… et tout cela pour un réacteur EPR « ... conçu au début des années 90, […] qui est déjà un vieux réacteur, archaïque avant même d’entrer en service. » [2], ce qui explique les difficultés rencontrées par Areva et EDF pour le vendre dans le monde.

L’ardoise est déjà lourde, les casseroles que traîne le chantier sont fort nombreuses, mais il est temps de parler d’une dernière qui a fait dire à un inspecteur de l’ASN que Flamanville était devenu rien de moins que le « laboratoire européen du travail illégal »  !

  ENTRÉE EN SCÈNE DU SIEUR BOUYGUES, LE CONSTRUCTEUR, ACCOMPAGNÉ DE SES ACOLYTES LES CI-DEVANT ATLENCO ET ELCO

Il est vrai que le groupe Bouygues en bon pragmatique de l’économie dite de «  marché  » ne s’embarrasse que très rarement de morale comme en témoigne son idylle avec les 2 présidents-dictateurs successifs du Turkménistan [3] où règne le népotisme et la corruption la plus éhontée. Un amour bien sûr conditionné par l’argent qui coule à flot pour Bouygues, chargé de répondre à la demande insatiable de chantiers de l’État mégalomaniaque turkmène qui réclamerait un million de mètres cube de marbre par an ! Des faits qui contredisent les affirmations des néo-libéraux qui voient dans les États un frein à l’enrichissement des entreprises (en fait de leurs dirigeants et des actionnaires). On a là tout simplement un bon exemple du contraire, avec des gouvernants «  redistribuant  » les richesses d’abord dans leurs propres poches puis dans celles de leurs amis «  entrepreneurs  » tout en leur garantissant l’accès à une main d’œuvre au moindre coût : leurs citoyens.

A Flamanville aussi les euros coulent à flots par milliards. Oui mais contrairement au paradis turkmène, en France, les ouvriers coûtent, paraît-il, beaucoup trop cher. Pour ces messieurs, réclamer le Smic, en effet, c’est déjà des prétentions insupportables !

  ET ENTRE MAINTENANT LE CHŒUR DES ESCLAVES

Dans l’industrie (qu’elle soit agro-alimentaire, textile, sidérurgique…), la «  solution  » patronale pour de tels cas est simple : on délocalise et on va surexploiter des ouvriers ailleurs. Mais, hélas pour nos bâtisseurs, on ne peut délocaliser la Normandie ! Alors si Bouygues ne vient pas à toi, tu viendras à Bouygues, toi le travailleur low cost… ou plutôt, on te fera venir, plus ou moins légalement. On ira te chercher dans l’est de l’Europe (ou ailleurs) en utilisant le miroir aux alouettes (une meilleure rémunération supposée par rapport à celle pratiquée dans ton pays).

Une fois loin de chez eux, ces travailleurs sont souvent plus aisés à escroquer par des entreprises peu scrupuleuses.

Depuis 1996, une directive européenne «  permet aux entreprises étrangères d’envoyer temporairement leurs salariés dans un autre État membre  ». Le salaire en théorie et les congés annuels doivent être au minimum ceux du pays d’accueil, tandis que les cotisations sociales sont régies par le droit du pays d’origine. Même si réglementairement cette possibilité est réservée au « besoin de travailleurs spécialisés en vue d’effectuer une tâche de nature complexe dans un autre État membre confronté à un manque de main d’œuvre dans ce domaine précis », les entreprises du BTP, les agences d’Interim mais aussi de plus en plus d’entreprises agricoles ne se gênent pas pour oublier ce « détail » de la directive et faire venir des travailleurs de fort loin alors qu’il n’y a aucun manque de main d’œuvre dans le «  domaine précis ». Ce dumping social leur permet de tirer encore plus de profit de ces travailleurs qui relèvent de pays dans lesquels les charges sociales sont basses, (tout comme la couverture sociale qui en découle).

Mais cela n’est qu’économie de bouts de chandelle pour nos rois du bâtiment, car, d’après eux, payer des ouvriers au Smic même avec des charges moindres, c’est encore beaucoup trop  ! D’où une idée de génie : défalquer de leur maigre salaire les frais de transport et de logement ! Ainsi, les ouvriers roumains embauchés via Elco touchaient bien moins que le salaire minimum, ne recevaient dans leur majorité aucune fiche de salaire, ne bénéficiaient pas des congés payés mais au contraire devaient rattraper le samedi les jours fériés non travaillés ! Le second larron de Bouygues, la société d’intérim basée en Irlande, Atlanco, poussa le vice jusqu’à faire prendre en charge par les salariés détachés, qu’ils mettaient à la disposition du chantier, les frais d’accident du travail, accidents qui d’ailleurs n’étaient jamais déclarés !

Citons à ce propos P. Pascariello (Médiapart) : «  Certains accidents n’étaient pas bénins. M. F., intérimaire, est grièvement blessé en janvier 2012. Ses chefs lui demandent d’attendre la fin de sa journée de travail pour quitter, en toute discrétion, le chantier et rejoindre son logement par ses propres moyens. Il devra faire appel à sa compagne pour le récupérer et l’accompagner aux urgences. Il restera immobilisé plus de trois mois, pour une double fracture. Ceux plus lourdement touchés, et dans l’incapacité de reprendre le travail, sont priés de regagner leur pays. » [4].

Bien sûr Bouygues et ses acolytes avaient, grâce à un montage juridique complexe (le droit est toujours celui du plus fort), mis en place un écran de fumée pour couvrir leur système d’exploitation de main d’œuvre à moindre coût disponible à tout moment en fonction des besoins. L’objectif de ce dispositif juridique était principalement de diluer la responsabilité de Bouygues par la création d’une entité : le groupement Flamanville Armatures, dirigé par une petite entreprise locale, Welbond. C’est cette entité qui est chargée de se salir les mains avec Elco et Atlanco, les recruteurs de travailleurs détachés.

Comme les boulons, le stock des travailleurs est géré à flux tendu. Selon l’Office central de lutte contre le travail illégal « l’économie réalisée par l’obtention d’une main-d’œuvre soumise et particulièrement flexible a constitué à l’évidence une économie liée au non-paiement de certaines contributions et charges ».

En 2013, le gouvernement français est parti en guerre — du moins, c’est ce qu’il a annoncé — contre la directive européenne de 1996 sans obtenir grand-chose d’ailleurs. D’autant plus que les exploiteurs de toutes sortes n’ont pas besoin de cette directive pour couvrir le dumping social. Au travers de sociétés écrans, ou de sous-traitants créés pour servir d’écran de fumée, ils n’ont aucun mal à faire venir pour mieux les gruger, des travailleurs low cost de pays membres ou non de l’UE, même si la combine ne marche pas toujours.

Ainsi la société italo-indienne AVCO (en 2003) fit venir pour le compte de la construction navale de Saint-Nazaire, 250 tuyauteurs, soudeurs et électriciens (donc de la main d’œuvre qualifiée) originaires principalement de Bombay pour monter les gaines de ventilation et de climatisation du plus grand paquebot du monde, le Queen Mary II.

Officiellement embauchés sur le sol français pour un salaire de 1 053 euros, les ouvriers indiens virent leur salaire réellement versé fondre comme neige au soleil  : 25 euros par mois en moyenne  ! A ce stade, il n’y a pas que les ouvriers qui deviennent transparents, leurs salaires aussi  ! Pour passer de 1 053 à 25 euros, le gentil employeur ponctionnait d’autorité les frais d’hébergement et de repas,… Mais contrairement à ce qu’il escomptait, bien que loin de chez eux, les ouvriers indiens ne se sont pas montrés dociles et se sont mis en grève en mars 2003 pour réclamer le salaire promis[ voir [http://1libertaire.free.fr/StNazaireNicolas.html ]].

  DÉNOUEMENT (POSSIBLE, ÇA NE TIENS QU’À NOUS) : PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ VOUS !

Face au dumping social, il ne faut pas se tromper d’ennemis. Les nationalistes et identitaires de tous poils pointent le travailleur dit « étranger » comme le responsable du dumping social, alors qu’il en est une des principales victimes. L’antagonisme travailleurs français / travailleurs étrangers qu’ils propagent ainsi ne profite qu’aux véritables coupables : les patrons qui ont mis en place ce système pour gagner toujours plus.

Au XIXe siècle pour lutter contre le dumping social, des ouvriers anglais lancèrent l’idée de créer une Internationale des travailleurs : l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) vit ainsi le jour. Lors de sa fondation, à Londres en 1864, George Odger, un leader des puissantes trade-union anglaises (qui sombreront peu de temps après dans le réformisme), affirmait ainsi dans une « Adresse » que « La fraternité entre les peuples est extrêmement nécessaire pour les intérêts des ouvriers  », qu’il fallait « (….) empêcher les maîtres de nous mettre en concurrence (...) » avec l’espoir qu’un « jour […] les travailleurs de tous les pays s’uniraient et [que …] guerre et oppression seraient bannies... ».

Il s’agissait de substituer l’entraide à l’affrontement fratricide en opposant une force organisée aux patrons qui, avec l’aide de politicards, cherchent à nous diviser. Lors de la grève des vanniers de Londres, l’AIT pu intervenir : les ouvriers belges que les patrons anglais avaient fait venir pour briser la grève préférèrent retourner en Belgique, et «  il fut impossible après cela aux patrons de se procurer d’autres ouvriers  ». Les ouvriers indiens n’avaient certainement pas connaissance de cette lutte ni de la fameuse Adresse de l’AIT, mais ils l’ont spontanément retrouvée, montrant ainsi que, face au dumping social, arme du patronat qui met en concurrence les travailleurs pour maintenir les bas salaires et briser les grèves, la lutte sociale reste le meilleur outil, surtout si nous arrivons a créer dans les faits des mouvements de solidarité entre les travailleurs de tous les pays !

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