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L’ILLUSION COMIQUE OU COMMENT DONNER MAUVAISE CONSCIENCE A SON PROCHAIN

Publié le 11 janvier 2014

Acte I – «  Monsieur est trop bon »

C’est rodé comme une pièce de théâtre. Tout commence par les trois coups… de sonnerie. Un numéro inconnu s’affiche sur mon mobile, encore du forcing à la consommation me dis-je, d’habitude je laisse, ils se fatiguent vite, là je veux savoir ce que c’est, vu que ça insiste et que ça m’intrigue…

Une certaine Nancy d’une certaine ONG bien connue (à laquelle, après avoir eu la « faiblesse » de souscrire pendant quelques années, j’ai estimé depuis peu préférable de faire des dons ponctuels quand le cœur m’en dit) m’aborde chaleureusement avec un discours misérabiliste bien ficelé. Toute l’astuce est là, au niveau de ce soi-disant « cœur », corde sensible sur laquelle aiment à jouer nos nobles associations humanitaires, aussi multiples que variés, et qui pullulent en ce pays supposé riche insouciant suralimenté égoïste. La ritournelle continue.

La voix mielleuse de Nancy cherche à négocier avec renfort de courbettes et surtout parce que là - à cause du typhon, de la crise et tout ça - ce serait mieux de faire un geste régulier quand même, vu le contexte catastrophique actuel et tout et tout…

Ça ne me tire pas des larmes ? OK. Pas grave, Nancy me propose une autre argumentation en tant que cher donateur fidèle, dévoué et si bon, si merveilleux, « On a besoin de vous » susurre-t-elle, etcetera, etcetera.

Conquis par sa voix mélodieuse, une idée lumineuse jaillit dans ma pauvre cervelle  : je lui propose de m’épouser et qu’on aille illico s’installer tous les deux au Bengladesh afin d’ouvrir une école pour daltoniens dyslexiques adossée à une léproserie-restauration rapide, ou fonder un foyer pour les orphelins aveugles et amputés, ou encore qu’on adopte tous les nécessiteux de Dacca, bref qu’on agisse enfin en êtres responsables, charitables et engagés dans la cause universelle d’amour qui manque si cruellement sur cette planète. Elle décline gentiment mon offre prétextant une allergie au curry et aux moustiques. Nous nous quittons ainsi sur cette note de bienveillance mutuelle mais « nez en moins » réciproque que l’on trouve dans tous les jolis contes modernes.

Acte II – «  À vot’ bon cœur m’sieur dame »

On ne va pas nier le fossé économique qui peut nous séparer de beaucoup d’autres populations, moins bien loties, ni le luxe dégoulinant dans lequel une fraction de la planète se vautre et s’oublie trop souvent ; on ne peut critiquer non plus le désir (louable ?) de vouloir faire preuve de compassion et de sollicitude à l’égard de la misère et détresse humaine sous toutes ses formes,…

C’est la méthode de culpabilisation, le racolage poussif et l’habile manipulation des campagnes de communication choc qui peut légitimement questionner la colombe consentante (pigeon, ce serait un brin vulgaire et c’est déjà pris). C’est bien amené, ça tape là où ça fait mal, ça émeut, ça provoque des remous intérieurs, ça fait réagir. Allez quoi, soulagez-vous de quelques piécettes et vous aurez (peut-être) meilleure conscience après, grâce à nous, grâce à tous ces pauvres là-bas qui attendent votre don généreux, indispensable à leur survie, on s’occupe de tout.

En ces périodes de festivités cérémonielles de Noël et de liesse programmée du jour de l’an, on ne peut (et ne doit) y échapper. Les collectes et les quêtes fleurissent au centre des villes, dans les supermarchés, dans les rues commerçantes fièrement illuminées de guirlandes ostentatoires, de vitrines surchargées et ultra-clignotantes… Dans la froidure, de frêles étudiant(e)s, sous-payé(e)s (voire bénévoles), vous interpellent joyeusement avec le sourire, l’amabilité et même « la » touche d’humour (formation et training intensif obligent), sous des bannières ecclésiastiques, politiques, écologiques, éthiques, ethniques… C’est votre devoir, faites-le avec joie, on vous rassure quant au bon déroulement des opérations, au bon placement de votre aumône, on vous explique les démarches, les actions et les buts patiemment. Y’a même des boutiques de cadeaux sur les sites web des « meilleures » ONG. On peut commander, c’est joli, bigarré, varié, bien présenté, on vous facilite les paiements, y a aussi une déduction fiscale prévue… C’est tout bénef pour tout le monde et ça en jette un max ! Au milieu de cette débauche clinquante capitaliste désinvolte, on vous rappelle à l’ordre, on ne vous prend que quelques minutes et que quelques offrandes bien méritées, pas plus.

Acte III- Une sorte de péché originel.

Serez-vous complices des criminels, des tyrans, du diable, des guerres, des conflits internationaux, de la peste, du choléra, des cataclysmes, de la fonte des glaces… en ne faisant rien ? En fermant sauvagement vos yeux d’autruche mal élevée ? En approuvant cette ignominie flagrante sous votre nez bouché ? Les « ONG et Associés » nous sermonnent (sournoisement) par le biais adroit de l’inconscient et du détournement : M’enfin ? Vous ne voulez pas être de la race de ceux qui contribuent à changer le monde ou bien quoi ?! Vous (i.e. le peuple d’abord, les nantis on verra ensuite) avez un impératif moral et universel à remplir, en vous délestant selon vos capacités (ou pas) de votre surplus (ou pas), en vous sacrifiant et en expiant ainsi (avec un rien) vos fautes envers la planète et vos frères et sœurs dépendants. Jésus n’a t’il pas dit qu’il est plus facile à une aiguille de passer par le trou d’un chameau qu’à un Dieu d’entrer dans le royaume des riches (ou l’inverse, enfin un truc du genre) ? Alors allège donc ta punition, vile créature du péché et de la luxure ! Repens-toi dès à présent ! (Comment ça, mon propos est exagéré ? Que nenni)

Oui on pourrait croire que ça part d’un bon sentiment, d’un investissement valable, de principes élevés, d’une grande preuve de désintéressement, d’une justice pure et sans ambiguïté… mais c’est con à pleurer, et ça marche apparemment. Coupable dès l’origine tu es, coincé tu resteras si tu ne donnes pas pour ton salut et celui de ces organisations. Le moralisme sensationnel et le catéchisme humanitaire servent-ils vraiment la cause ? Contrition, rachat des fautes, souffrance partagée… Le baiser aux lépreux du quidam moyen par virement électronique Paypal (la maison accepte aussi les prélèvements automatiques, merci) est-il la solution  ? Tout cela ne finit-il pas par faire détester la générosité ? Maîtrise-t-on quoi que ce soit dans ce fatras absurde mondial ? Ne serait-ce pas encore un autre écran de fumée dans le cinéma de la vie ? (Oui je suis d’humeur poète) ne serait-ce pas un cataplasme périmé sur une jambe en mousse ? Un simple déni des causes fondamentales ?

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