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VERS UN ÉTÉ TURC ?

Publié le 23 juin 2013

Encore une fois la vague de contestation qui agite tel ou tel coin de la planète (cette fois-ci la Turquie, depuis le 14 janvier 2010) a surpris tout le monde. Petit retour sur les faits.

Le 28 mai dernier, à Istanbul en Turquie, un mouvement de contestation contre un projet immobilier débute. Le parc Gezi, situé près de la place Taksim, devait être rasé pour laisser place à la réplique d’une caserne Ottomane qui abriterait un centre commercial.

Ce projet est dans la ligne des ambitions du premier ministre Erdogan (AKP) de faire renaître la «  grandeur » de l’empire Ottoman. Des militants se sont réunis pour s’opposer à la mise en branle des bulldozers. La répression qui à suivi a motivé des gens de tout le pays à manifester et la contestation a pris une tournure plus générale, les participants commençant à remettre en question le pouvoir en place.

Ce modèle est caractéristique des révolutions arabes et des mouvements indignés, tout comme l’utilisation des réseaux sociaux afin de mobiliser et d’informer. Dans ce cas là, les militants s’étaient très bien préparés en amont et leur action est d’une redoutable efficacité. Pour se faire une idée, les hashtag #occupygezi et #direngeziparkı étaient dans le top 10 des sujets les plus discutés sur Twitter dans le monde (d’où la colère de Erdogan : « Twitter, la pire menace pour la société » qu’on pourrait traduire ainsi « Twitter, la pire menace pour ma place de premier ministre »). Le mouvement Occupy local (un autre nom pour les « Indignés ») a donc fait son apparition. Le mouvement est, comme partout, très hétérogène. On y retrouve toutes les tendances composant l’opposition, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Les revendications sont multiples mais on retiendra que ce mouvement exprime, comme ailleurs, un ras le bol de la politique mise en œuvre par le gouvernement ; un gouvernement censé être islamiste modéré, qui s’est peu à peu durci. Si bien que les gens en ont maintenant assez de sa politique liberticide et autoritaire. L’islam qui est pourtant traditionnellement modéré en Turquie devient avec ce gouvernement de plus en plus envahissant et pesant. L’opposition et les médias sont bridés, pour ne pas dire muselés, et la situation économique se dégrade.

La réaction du pouvoir a été disproportionnée. Plusieurs personnes sont mortes dans les affrontements et il y a de nombreux blessés. La police locale a utilisé 2 fois plus de gaz lacrymogène en 6 jours que 14 pays européens en 2012 ! A la violence policière se sont ajoutées les déclarations mensongères du premier ministre, amalgamant manifestants et terroristes. A noter aussi un grand classique : la manifestation de soutien au premier ministre avec bus affrétés spécialement et drapeaux identiques pour tous. Un soutien « spontané et populaire » selon la version officielle... tandis que les transports publics étaient bloqués pour éviter que les opposants puissent avoir accès au site. Un autre classique : la coupure du réseau internet dans certaines zones où sont présents les manifestants. Mais tout ceci ne décourage pas les contestataires et durcit au contraire un mouvement qui appelle désormais à la démission pure et simple du premier ministre. Cela alors que, différence notable avec les « printemps arabes », Erdogan a été élu « démocratiquement ». Il ne manque pas de le rappeler d’ailleurs, et il base sa stratégie de défense sur ce fait. Mais comme il agit et parle comme un vulgaire dictateur qui se serait imposé au pouvoir par la force, cela devrait ouvrir les yeux aux gens sur le fait que ce n’est pas par les élections qu’ils pourront trouver la liberté revendiquée.

Autre point important : ce gouvernement, comme tous ceux dirigés par une religion, a rapidement viré à l’autoritarisme, démontrant que le concept d’ « islamisme modéré » n’est qu’un leurre. La population n’est pas dupe et nombreux sont ceux qui, vivants dans des systèmes dominés par l’islam aspirent à société laïque et empreinte de justice sociale.

Enfin, rappelons que la Turquie est un des principaux (et des plus indéfectibles) alliés des États-Unis dans cette région du monde. La révolte populaire qui secoue ce pays apporte de ce fait un démenti cinglant à tous ceux qui n’ont voulu voir dans les printemps arabes qu’une manœuvre des USA pour se débarrasser de quelques vieux pouvoirs devenus gênant. Loin de cette version niant complètement la capacité du Peuple à décider et à agir par lui même, le constat est que malgré tous les idéologues de « la fin de l’histoire », les populations de la Méditerranée aspirent à la liberté et cherchent à se donner les moyens de l’acquérir. .

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