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DE L’ARGENTINE AU VATICAN

Publié le 17 avril 2013

« Su fracaso llevaria, con mucha probabilidad, al Marxismo  » (« Son
échec conduirait, selon une forte probabilité, au Marxisme),
voilà ce que disait en 1976 notre pape fraîchement élu, lors d’une réunion
collégiale qui devait marquer le soutien de l’Église catholique à la
dictature militaire argentine. C’était lors du lancement du « Proceso de
Reorganización Nacional
 » (Processus de réorganisation nationale),
c’est-à-dire l’organisation méthodique de la terreur.

On entend beaucoup de choses à
propos de ce nouveau pape, certaines
fausses, beaucoup d’autres vraies.
L’église, depuis qu’il a été élu, s’efforce
de démentir chaque nouvelle accusation
portée contre lui. Nous connaissons
tous les positions douteuses de
l’église sur un grand nombre de sujets,
de même que nous connaissons tous, à
peu près, le rôle de l’église dans l’histoire
de l’humanité. Le cas du nouveau
pape n’est qu’un épisode de plus dans
cette histoire sordide. Les accusations
d’aujourd’hui ne sortent pas de nulle
part.

Certes, il existe assez peu de documents
datant de la dernière dictature et
qui mettent directement en cause le
clergé pour sa complicité. La raison en
est simple : la dictature argentine a été
prudente. Au fur et à mesure qu’elle
commettait ses crimes, elle prenait soin
de les cacher. Tellement bien qu’on en
est réduit à parler de « disparus » là où
on devrait parler d’assassinés ! A la fin
de la dictature, avec la complicité de
pratiquement toute la classe politique,
l’adoption de la fameuse loi dite du
« point final » est venue, au nom de la
réconciliation nationale, empêcher toutes
les investigations. Aujourd’hui, des
dossiers sont réouverts. Mais beaucoup
de temps est passé et de nombreux
témoins directs ont continué à « disparaître
 » (comme Jorge Julio Lopez en
2006), ou à être assassinés. Le temps a
aussi facilité la destruction des preuves.
Bref, dans un pays où les militaires, les
policiers, les politiques, l’église et les
médias sont de mèche – ce que
n’importe quel Argentin sait -, il
devient de plus en plus difficile de mettre
à jour des preuves concrètes.

Le pape François, donc, celui qui
nous intéresse, est un Jésuite, ordre
religieux qui se présente en Amérique
latine comme plutôt proche des pauvres,
du peuple et, disons-le, plus « à
gauche » que le reste de l’église traditionnelle.
Notre François est né dans
un quartier de Buenos-Aires, celui de
Flores, il est fils d’immigrés italiens. Il
souhaite entrer dans les ordres à l’âge
de 17. Il est ordonné prêtre en 1969. A
cette époque, il était déjà engagé en
politique en tant que membre de
l’OUTG (Organización Única del
Travasamiento Generacional), une
organisation péroniste se situant dans
un courant populiste très à droite, très
nationaliste, que l’on qualifierait en
Europe de fasciste. L’OUTG avait été
créée dans le but de contrer la montée
d’un autre courant péroniste se voulant
à gauche (et oui), les fameux
Montoneros, des péronistes-marxistes.
L’OUTG regroupait des jeunes provenant
des jeunesses péronistes mais
aussi et surtout des jeunes venant de la
« Guarda de hierro » (Garde de fer),
organisation très à droite, para-militaire,
pro-catholique, évidemment un peu
péroniste aussi mais essentiellement
proche de l’organisation criminelle
« Triple A » (Alliance Anticommuniste
Argentine).

A la même époque, le futur pape
François est aussi membre de l’université
catholique de Buenos-Aires, l’université
del Salvador (Le Sauveur). Il est
nommé provincial des jésuites
d’Argentine en 1973. En 1974, il place
ses amis de l’OUTG à la direction de
cette université qui sera laïcisée en
1975 tout en gardant son programme
de formation catholique.
A cette époque, les Jésuites
connaissent une guerre interne. C’est
l’époque de la Théologie de la libération.
Certains curés jésuites
d’Amérique latine s’implanteront dans
les bidonvilles. D’autres encore adopteront
des thèses marxistes. Dans ce
conflit, le futur pape est un adversaire
de ces courants novateurs, il se prononce
contre la Théologie de la libération.
Le 24 mars 1976, survient le coup
d’Etat de la junte militaire. François n’a
pas été un proche du général Videla,
contrairement à ce qui se dit un peu
partout. Par contre, il a été très, très
proche du général Massera, lui, et son
université del Salvador qui lui remettra
le titre de docteur honoris causa en
1977.

Le général Massera était un des dirigeant
de la junte. Il avait en particulier
sous sa direction l’ESMA, le plus
grand, le plus important des centres
clandestins de torture du régime militaire.
Pour donner une idée de la « pensée
 » de ce Massera voici un extrait :
« La crise actuelle est due à trois hommes,
Marx, Freud, Einstein.
 », cela en ne manquant
pas de préciser que tous les trois
étaient juifs. Ça ne vous rappelle rien ?
Massera est accessoirement membre
de la loge P2 (Propaganda due, mais là on
touche à d’autres histoires...). Il se servira
de la fameuse OUTG comme
main-d’œuvre pour ses crimes. Le bras
droit du général Massera est le capitaine
Astiz, dit l’ange blond, impliqué
dans l’affaire des sœurs françaises
disparues. Il a également infiltré les
mères de la place de Mai pour tenter de
détruire ce mouvement. Massera et
Astiz sont également impliqués dans
l’affaire des centaines de bébés enlevés.

Le 15 nov. 1976, la Commission
exécutive de la junte militaire et la
Conférence épiscopale argentine se
réunissent pour définir la position de
l’église face à la dictature. L’église se
positionne très clairement : « En aucune
manière nous ne prétendons adopter une position
critique de l’action du gouvernement
 ».
Bien plus, elle s’engage directement :
« Nous accompagnons l’actuelle procédure de
réorganisation du pays
 ». Rien de moins.

Après la dictature, en 1985, le général
Massera, l’ami du pape actuel, sera
condamné à la prison à perpétuité
pour ses crimes. Le président Menem
le graciera en 1990. L’histoire de la
post-dictature n’est pas linéaire. Aux
tentatives de faire connaître la vérité
succèdent les périodes de chape de
plomb. C’est dans une telle période que
notre François est promu archevêque
de Buenos Aires. En 2001 il est
nommé Cardinal. François et l’Eglise
s’en sortent bien. Mais, le 9 octobre
2007, c’est un premier coup de
tonnerre pour l’Eglise : le procès d’un
prêtre, le père Christian von Wernich,
un habitué des centres de répression
du régime militaire. Il jure qu’il n’a
jamais vu de torture, qu’il n’y a pas eu
un seul cas de transgression des droits
de l’homme dans les camps de rétention.
Il revendique sa présence dans ces
centres comme une tâche indispensable,
un acte patriotique. Il affirme que
Dieu (est-ce à dire l’Eglise ?) savait que
c’était pour le bien du pays. C’est un
prêtre, il ne saurait mentir… sauf que,
pour une fois, les preuves sont là, accablantes
 : il est directement mis en cause
dans 34 cas de privation illégale de
liberté, dans 31 cas de torture et dans 7
homicides qualifiés. Ce prêtre, protégé de longues années par l’Eglise avant
qu’il ne soit épinglé par la société
laïque est un tortionnaire. Le cardinal
François s’en sort en mentant puisqu’il
affirme que l’église n’a rien à voir avec
lui, ni avec les quelques « cas isolés » qui
pourraient se faire prendre… quelques
années plus tard (en 2012), devant l’évidence,
il finira par s’excuser, au nom
de l’Église, du bout des lèvres, pour ne
pas avoir tenté de protéger la population
contre les crimes militaires.

Le pape François n’est donc pas cet
agneau immaculé que l’on tente de
nous présenter. Les preuves de la complicité
idéologique de l’Église et de la
dictature militaire sanguinaire sont là
(« En aucune manière nous ne prétendons
adopter une position critique de l’action du
gouvernement
 », « Nous accompagnons l’actuelle
procédure de réorganisation du pays »).
Les preuves des relations soutenues de
François et du général Massera, une
des brutes les plus bestiales du régime,
ne manquent pas non plus. Les preuves
matérielles de la complicité de l’église
dans les actes criminels sont plus difficiles
à établir. Dès le départ, la junte a
tenté de ne pas en laisser (arrestations
inopinées par des bandes paramilitaires,
centres de torture et de rétention
clandestins disséminés dans tout le
pays ouvrant et fermant périodiquement,
«  disparus » balancés en plein
océan par hélicoptère, nouveaux-nés
enlevés aux mères juste qu’elles soient
assassiner…). Les tortionnaires ont eu
ensuite tout leur temps pour effacer
tout ce qu’ils ont des preuves restantes.
Il n’empêche, si les preuves positives
de la complicité matérielle de l’Église
argentine avec la junte militaire sont
difficiles à trouver, ce qui est encore
plus introuvable, c’est la moindre preuve
démontrant que l’Église en tant que
telle et ses leaders ont eu la moindre
velléité d’opposition aux dictateurs. La
complicité au moins passive de l’Église
d’Argentine avec la junte militaire est
écrasante. Et ce ne sont pas les
quelques brebis égarées (considérées et
traitées comme telles par François à
l’époque) qui changent quelque chose à
cette réalité.

C’est pourquoi, contrairement à ce
qui se dit, je ne suis vraiment pas certain
que beaucoup d’Argentins se
réjouissent de la nomination du cardinal
Bergoglio. Mais le problème ici, en
France, c’est qu’on préfère faire
confiance à des medias qui ont collaboré
avec la Junte, se référer aux articles
des journaux très à droite comme
« La Nación » ou « Clarín ». Ce n’est
finalement pas une surprise, ces histoires
de dictatures en Amérique Latine,
ont longtemps bien arrangé les régimes
occidentaux qui les ont soutenus. Ils ne
vont tout de même pas se remettre en
cause eux aussi, non ?

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