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Le Monde comme si : Nationalisme et dérives identitaires en Bretagne

Publié le 14 mars 2012

Voici un livre qui débute comme un conte de fée et se termine
comme un film d’horreur, dans les porcheries industrielles du
« pays Breton ». C’est l’histoire de la destruction d’un passé réel
au profit d’une fantasmagorie raciste et nationaliste.

Il était donc une fois une région
appelée Bretagne dans laquelle il existait
une infinité de parlers locaux, bien
vivants, tous plus beaux les uns que les
autres, se modifiant insensiblement
d’un village à l’autre, formant ainsi un
continuum culturel qui reliait entre eux
les habitants.
La rupture de ce continuum populaire
et son remplacement par le néobreton
est la passerelle par laquelle
Françoise Morgan, la rédactrice de cet
ouvrage mi-biographie mi-essai, est
parvenue à la découverte de ce qu’elle
nomme, fort à propos, le « kit nationaliste
 » (une langue , un folklore , un
drapeau et tous les « produits dérivés »
commercialisables qu’il est possible
d’inventer : T shirts, écharpes, autocollants,
patés, alcools, médailles, bracelets
et colifichets divers).

Pour Françoise Morvan, spécialiste
en littérature populaire, comme pour
Michel de Montaigne, la langue est un
espace de liberté dans lequel il importe
finalement peu de faire des fautes si
l’essentiel (être compris) est respecté.
Tout commence pour elle quand,
dans « l’Unité de breton » de l’université
de Bretagne, où elle s’apprêtait à
soutenir un doctorat, celle qui était
alors une militante régionaliste
convaincue est confrontée à un milieu
professoral pour lequel cette liberté a
bien peu d’importance. Au fil de ses
recherches, elle découvre qu’il en va de
même pour la vérité. Car toute vérité
n’est pas bonne à dire, dans ce « monde
comme si ». Toutes les « racines » n’y sont
pas présentables... Or, derrière l’assassinat
méthodique et programmé des
parlers locaux (ceux du peuple) elle
pénètre une vérité qu’on lui a soigneusement
cachée malgré ses années de militantisme breton :à l’origine du mouvement se trouve une poignée de racistes. Des racistes qui, d’emblée
vont poser le lien entre la pratique de cette langue dite « unifiée » (une langue académique pour initiés, qu’ils vont imposer dans toute la région comme étant la seule bonne) et l’existence d’une « race celtique ».

C’est ainsi qu’en
1919 quelques
esprits dérangés,
moitié druides et
moitié fascistes,
font paraitre le
premier numéro de
BREIZ ATAO [1].
Cet organe historique
des régionalistes
bretons affiche
très clairement,
dés 1924, sa
finalité raciste « La même préoccupation
tient au coeur de tous les petits pays en réveil :
arracher l’intelligence de leur peuple à la culture
étrangère imposée et reconstituer une civilisation
nationale sur le vieux fonds racial et
traditionnel
 ».

Pour donner une idée de la confusion
organisée sur ce sujet, il convient
de signaler que l’auteur des lignes délirantes
sur la nécessité de réactiver le
vieux fonds racial est considéré dans
les milieux autonomistes bretonnants
comme étant... « de gauche » (En effet,
il est un des rares à ne pas avoir collaboré
avec les nazis pendant l’occupation,
ce qui en fait dans ce milieu une
sorte de quasi-résistant !). Cet accouplement
barbare entre « la langue bretonne
 » et « l’esprit de la race  » (d’où le slogan
« Bretons apprenez votre langue ... C’est la
langue de votre hérédité...
 » [2]) effectué par
les secteur les plus réactionnaires de la
société ne pouvait conduire qu’à une
discrimination des parlers locaux, mais
aussi des vieux bretons qui leur parlaient
(et qui ne comprenaient pas un
mot de ce que leurs petits enfants, élèves
des écoles diwa leur racontaient),
au profit d’une langue largement artificielle
dont le principal inventeur fut
Roparz Hemon (qui se joindra à l’équipe
de Breiz Atao dès 1925). « Il crée –
lit-on dans Wikipédia

  • la revue Gwalarn.
    Ce n’est d’abord
    que le supplément littéraire
    de Breiz Atao,
    journal qui compte
    alors moins de 200
    abonnés. Rapidement,
    la revue devient indépendante.
    La revue
    mère, Breiz Atao,
    bénéficie au cours des
    années 1920 et 1930,
    de financement des services
    secrets allemands
    (d’abord, sous la
    République de Weimar,
    grâce à des fonctionnaires
    appartenant
    à des associations national-socialistes, puis
    par l’Allemagne nazie. Dans Gwalarn,
    Roparz Hemon refuse les influences du breton
    populaire, voulant créer une nouvelle langue
    bretonne avec de nouveaux mots pour les
    concepts modernes, et une grammaire standardisée.

     »

On l’aura deviné la trajectoire de
ces chantres du panceltisme sera d’un
cohérence redoutable. Les « breiz
atao » sombreront avec un sordide
enthousiasme dans l’antisémitisme et
se lanceront dans la collaboration avec
le régime nazi. Après la Libération, ces
miliciens-collabos, ces dénonciateurs
de résistants pâtirent en Bretagne d’une
réputation largement mérité. Le mouvement
nationaliste breton eut alors du
plomb dans l’aile. Pour gagner du terrain,
il devenait indispensable de masquer
ce lien entre le néo-breton et les
thèses raciales. Pour ce faire, il aura
fallu trois choses aux partisans de « l’autonomie bretonne » : mentir, toujours mentir, et encore
mentir.

C’est pourquoi, au fil des pages, lecteur tu découvriras
tout un univers incroyable de mauvaise foi intellectuelle
et de bassesse. C’est une avalanche de faits, tous
vérifiables et tous nauséabond, qui va déferler sur toi au
fil des pages ! Le « Monde comme si », c’est le monde de
ceux qui interdisent les parlers réels au nom de la liberté
linguistique, qui taillent dans le langage véritable
pour produire un « authentique » qu’ils viennent d’inventer,
qui coupent dans l’Histoire pour faire oublier
leurs turpitudes. Lecteur, tu apprendras comment ce
néo-breton sert de base à une pyramide académique, au
sommet de laquelle trône une bande de professeurs,
d’éditeurs et d‘artistes « celtiques ». Tout ce déploiement
élitiste rapporte aux uns une clientèle obligée et
aux autres carrières et subventions de toutes sortes,
(subventions régionale bien sûr, mais tout autant étatiques

  • on n’est pas très regardant quand il s’agit d’encaisser
    de grosses prébendes - aussi bien que patronales).
    Tu verras comment ils s’y prennent pour étouffer
    toute critique (car tout ce petit monde connaît les faits
    que dénonce F. Morvan mais ne veut surtout pas que le
    naïf de base soit affranchi !). De droite ou de « gauche
     », ils se donnent tous la main pour préserver leur
    pré-carré. Lecteur, tu souriras au début en apprenant
    comment tous ses professeurs, grammairiens, écrivains,
    artistes, éditeurs au noms biens franchouillards se sont
    inventé des noms de pacotille, à consonance bretonne,
    pour faire « plus vrai », plus « authentique »... mais tu
    perdras probablement ton sourire en constatant que
    tout ce qu’on te présente comme « typiquement breton
     » a été inventé de toute pièce pour servir les
    logiques libérales en général et les intérêts patronaux
    régionaux en particulier. Car ce décor que les nationalistes
    bretons placent sur un monde qu’ils ont détruit a
    un visage économique, c’est le « capitalisme
    breton ».Grâce aux grands propriétaires et industriels
    bretons une morne plaine remplace les bocages d’autrefois.
    Sous la houlette des financiers bretons (qui
    arrosent à fond la « bretonitude » et qui sont soutenue
    sans faille par elle), le miracle breton s’étale sous nos
    yeux : des porcheries industrielles, des nappes phréatiques
    contaminées... partout des villages en fin de vie,
    mais quelques usines qui inondent le monde entier de
    pâté et de boudin breton, et pour couronner le tout,
    avec des « salaires bretons », c’est-à-dire inférieurs à la
    moyenne nationale.

Ces quelques lignes ne peuvent pas rendre compte
d’un ouvrage aussi fourni, aussi dense, aussi libérateur.
Un dernier mot : il faut lire ce livre pour bien comprendre
que le régionalisme n’est pas un petit délire inoffensif
mais une bien sale affaire.

Arthur

« Le monde comme si » de Françoise Morvan est publié aux
éditions Babel (10 euros environ suivant les librairies).

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