Accueil > Réflexions > Divers > Indignez-vous ? Révoltez-vous !

Indignez-vous ? Révoltez-vous !

Publié le 16 novembre 2011

La plaquette « Indignés-vous ! » de Stéphane Hessel a connu un réel succès de librairie. Certains diront que c’est grâce à son faible nombre de pages –elle se lit effectivement en peu de temps. Plus sérieusement, son succès repose sur un certain nombre de confusions –dont la «  confirmation  » par un texte de ce genre, porté au pinacle dans les médias, n’est pas sans dangers. Voici donc en réponse quelques critiques, extraites d’un fascicule à paraître dans la collection des CAS (Cahiers de l’Anarchosyndicalisme) dont nous reproduisons ici l’essentiel de l’introduction et de la conclusion.

(…)
Dès l’introduction de son appel, Hessel dresse un portrait idyllique de la Résistance, qui se serait solidifiée autour de la personne de Jean Moulin. Hessel vante l’unité célébrée et le chef de cette résistance  : le général De Gaulle. Cela peut prêter à sourire, quand on connaît l’attitude du Parti communiste français (PCF) qui servait les intérêts de ses maîtres moscovites sous le patronage de l’Internationale communiste. Un PCF qui, rappelons-le, est passé tour à tour de l’internationalisme prolétarien à l’antifascisme du Front populaire, puis au plus grand chauvinisme en défendant le pacte germano-soviétique signé entre Ribben-trop et Molotov en présence de Hitler et Staline, le 23 août 1939.

le pcf faisait la chasse
aux revolutionnaires

Le PCF qui faisait la chasse à ceux qui s’étaient dissociés d’une politique d’abandon pour résister dès 1940 contre l’occupant hitlérien, plus généralement à tous les dissidents et aussi aux authentiques révolutionnaires ; le PCF, qui insultait De Gaulle en le traitant d’agent de la finance anglaise jusqu’en 1941, se retrouva à brailler «  A chacun son boche » lorsque la Russie bolchevique fut attaquée, le 22 juin 1941, par l’Axe. Le PCF ne s’est pas embarrassé de scrupules  ! Charles Poli, dirigeant stalinien, s’était lui même vanté, dans un entretien avec Madeleine Baudoin, lors de l’évasion de la Prison de Chave de Marseille, dans la nuit du 22 au 23 mars 1944, de laisser croupir dans leur cellule les anarchistes Arru et Chauvet. Pourquoi ? Dixit Charles Poli : « Ils servaient la Résistance aussi. Ils avaient fabriqué de faux tampons. Mais c’était pas des patriotes. Quand à la prison, pour la fête nationale, on mettait, nous communistes, la cocarde tricolore, eux ils mettaient l’insigne noir. C’était pas des patriotes ; c’est pour cela que j’ai refusé qu’ils s’évadent avec nous. A un royaliste j’aurais ouvert la porte, mais pas à un anarchiste.  » [1]

Ce sordide personnage su trouver le courage nécessaire en prenant exemple sur ses camarades du Parti socialiste unifié de Catalogne (PSUC) et du Parti communiste espagnol (PCE), qui s’étaient illustrés en écrasant la Révolution dans le pays de Don Quichotte. Les hommes d’Enrique Líster Forján (PCE) se distinguèrent sinistrement en faisant régner la terreur comme à Alcorisa : « Venimos a buscar a estos facistas de la CNT  » («  Nous venons chercher ces fascistes de la CNT  »), avait-il dit [2].

Peu de temps avant la chute de Barcelone en janvier 1939, Garcès, le chef du Service d’investigation militaire (SIM), noyauté par les staliniens, déclara au directeur de la prison de Barcelone, dans laquelle beaucoup de militants du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) croupissaient : «  Pour les prisonniers du POUM, il n’y a pas de camions. Que Franco les fusille ! » [3]… sans commentaire !

Il est longtemps resté quelque chose de cet ostracisme ici, certains d’entre les résistants étrangers, n’auront jamais droit de cité, parce qu’ils seront toujours considérés comme les métèques ne faisant pas partie de la nation française.

Il suffit de se pencher sur la composition d’un certain nombre de maquis pour comprendre que la présence des anarchosyndicalistes espagnols était très significative : ceux de l’Aveyron, du Lot, des Landes, etc. Ces mêmes anarchosyndicalistes aidèrent à la libération des villes comme Foix, Toulouse, Perpignan... et Paris ! Ils pensaient qu’une fois la guerre gagnée contre l’Axe, la France pourrait servir de base logistique pour poursuivre le combat contre le général Franco et ainsi libérer l’Espagne  : le général De Gaulle fit connaître sa réponse en dépêchant un émissaire pour normaliser les relations avec le Caudillo en 1945 et l’assurer que des opérations de guérilla comme l’invasion du Val d’Aran (19-24 octobre 1944) menée par l’UNE (Union nationale espagnole) ne se reproduiraient plus.

Hessel évoque ensuite les grandes lignes du programme social économique du CNR (Conseil national de la résistance) élaborées au cours de la séance plénière du 15 mars 1944 : « Un plan complet de Sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail » ; « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours. » « Les sources d’énergies, l’électricité et le gaz, les charbonnages, les grandes banques sont nationalisées ». (…) « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergies, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques... » Rappelons quelle fut la posture de la Confédération nationale du travail (CNT) française, elle aussi largement issue de la Résistance et qui représentait l’espoir d’un mouvement révolutionnaire, en cette période d’agitation ouvrière de l’après-guerre  :

La CNT rejette le programme

la CNT rejetait le mode de régulation de la Sécurité sociale tout comme les autres mesures du CNR qui scellaient le compromis historique. Pour la CNT, cela équivalait à souscrire à cette idée de l’intérêt général validée par le paritarisme. Ce dernier a, depuis, transformé la lutte de classes en collaboration de classes.

Évitant de tomber dans le piège, la CNT prônait : 1) un retour immédiat aux quarante heures (les horaires hebdomadaires pouvaient parfois atteindre cinquante heures et même plus), puis la semaine de trente heures dans un second temps ; 2) une hausse des salaires devant être uniforme (c’est-à-dire qui ne devant pas établir de hiérarchie entre les travailleurs).

La CNT dû affronter la crapule stalinienne qui s’employait à dénoncer sans relâche les travailleurs de la CNT, comme à la régie Renault en 1947 par voie de tract : « le complot a été brisé ! »

Pour le citoyen stalinien Maurice Thorez (ministre de la fonction publique entre 1945-47 et vice-président du conseil en 1947), il fallait renoncer à la grève au nom de l’intérêt général pour relancer la production et bâtir le capitalisme monopolistique d’État même si la manne des capitaux provenait des USA (avec la mise en place du Plan Marshall) : l’impérialisme yankee a toujours su être généreux.

« Le motif de la résistance,
c’est l’indignation »

Pour Hessel, l’État est gangrené par la corruption puisqu’il reconnaît lui-même que : « le pouvoir de l’argent, tellement combattu par la Résistance, n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l’État. »

Mais Hessel fait merveilleusement abstraction de ces deux qualités de l’argent :
1) « la perversion universelle des choses  » ;
2) «  la prostituée universelle ». [4]

L’argent est la puissance aliénée de l’humanité et l’annihilation de sa spiritualité. Le commerce en est la source malfaisante car il donne le goût des superfluités.

Hessel commet, d’autre part, la même erreur que les révolutionnaires de 1792. Celle-ci résulte de cette conception de l’idéalisme moderne de l’État qui est la réalisation de l’Idée. C’est-à-dire que l’État est la perfection même, placée sous le signe du triomphe de la Raison : sa religion est l’Être suprême de Jean-Jacques Rousseau (Dieu abstrait et stérile des déistes).

Hessel croit que l’État peut être servi par des hommes ayant le sens du devoir et dont le cœur serait animé par la flamme sacrée de la justice. Cela n’est que bondieuserie ! En tant que matérialistes, nous pensons que l’État est un instrument d’oppression des classes privilégiées pour qu’elles maintiennent et renforcent leurs privilèges.

L’État n’aura jamais pour but de lutter contre la corruption pour imposer la vertu tant désirée. Il n’est là que pour maintenir la division de la société en classes sociales et pourvoir aux intérêts des classes privilégiées (et cela bien que le libéralisme ait imposé sa conception de l’individu). Nous y reviendrons [dans le cours de la brochure à paraître] mais suivons la progression de Hessel. En effet, Hessel en appelle, pour balayer la corruption, à l’indignation des jeunes générations pour que la Résistance soit à nouveau dans l’esprit du temps (Zeitgeist). Mais l’idéalisme de Hessel le porte à croire que  : «  Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.  »

L’oraison de Hessel est révélatrice d’une période finissante à laquelle nous sommes confrontés. Il nous revient de combattre sans relâche tous les conciliateurs qui veulent en dernière instance maintenir le capitalisme et l’État. Hessel ne fait aucunement exception à la règle. Puisqu’il ne consent point à la vérité qui par son incursion dans le réel consume toutes les illusions du temps présent et qu’il n’est dès lors plus possible de temporiser le dénouement.

Hessel a manifestement peur de la vérité. Bakounine, à l’inverse, n’aimait guère tourner en rond : « Il est certain que, dès l’abord, les choses ne se passeront pas d’une manière absolument pacifique ; il y aura des luttes ; l’ordre public, cette arche sainte des bourgeois, sera troublé, et les premiers faits qui résulteront d’un état de choses pareil pourront constituer ce qu’on est convenu d’appeler une guerre civile. » [5].

Nous sommes les descendants des Sans-Culottes, des Enragés et des Communards ! Ayons bien en tête ce précepte de Hébert : « C’est pendant le calme que la foudre se prépare ; défiez-vous des endormeurs ! ». Soyons persévérants dans notre effort de tous les jours et n’oublions pas que la prise d’armes commence par la pleine maîtrise du « logos » contre l’ennemi. Suivons alors ces quelques suggestions de Debord pour vaincre dans la polémique :

« Les idées s’améliorent et le sens des mots y participe. Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase d’un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l’idée juste.  » [6]

(…)

Paul-Anton, fin été 2011_

Contact


Envoyer un message