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La revolte des gueux

Publié le 24 janvier 2011

En même temps que les difficultés matérielles augmentent,
que la pauvreté et la misère sont de plus en plus présentes
dans nos rues (et ce n’est pas fini : la casse du système de retraites
se traduira inévitablement par l’apparition d’une misère
massive pour le « quatrième âge » populaire à moyen terme), le
Pouvoir, par un tour de passe-passe idéologique, transforme le
problème social en question sécuritaire. Cette pente sécuritariste,
nous la vivons depuis trop longtemps. rien qu’au cours de la
décennie qui s’achève 13 lois, de plus en plus répressives, ont été
adoptées. Loppsi 2 est le dernier monstre juridique de cette longue
série.

Qualifiée par ses détracteurs de
« fatras » et de « fourre- tout », la « loi
d’orientation et de programmation
pour la performance (!!!!) de la sécurité
intérieure », dite LOPPSI 2, est
surtout en parfaite cohérence avec les
mécanismes de cette société. En ce
qui concerne les plus démunis, particulièrement
visés par Loppsi 2, le terrain
était déjà bien savonné avec la
naissance d’expressions aussi éloquentes
que celle de « mendicité
agressive » un temps à la mode dans
les municipalités.

D’abord le système crée la pauvreté,
ensuite il la met hors-la-loi

Cette logique infâme, pratiquement
tous les partis et organisations
syndicales l’ont cautionnée et continuent,
dans la « vraie vie » (pas celle
des communiqués) de la cautionner.
Dès que, dans un espace habité
par une population modeste, survient
le moindre fait divers qui rejaillit un
tant soit peu sur un membre d’une
corporation à fort taux de syndicalisation
(enseignement, transports,
police...), jamais les responsables
syndicaux (et encore moins les
responsables politiques) ne dénoncent
en premier lieu les causes (le
contexte social) mais toujours ses
effets, habituellement emballés sous
le terme de « violence »... Et, sur ce
plan, ils ne font pas manque de créativité
 : hier, il y avait la violence physique,
aujourd’hui il y a la violence
verbale, pour demain, ils nous inventeront
bien le « regard agressif » et
même, s’il le faut, la violence par télépathie !

En conséquence de telles stupidités,
dans l’enseignement, les syndicats
invoquent le droit de retrait pour tout
et n’importe quoi et, pour les mêmes
mauvaises raisons, il arrive fréquemment
qu’au moindre incident les banlieues
ne soient plus desservies par les
chauffeurs de bus. Que les banlieusards
se tapent des kilomètres et des
kilomètres à pieds pour rentrer chez
eux en sortant du travail (et, à 99 %,
d’un travail physiquement éprouvant)
ne choque ni les bonnes consciences
de gauche ni les mauvaises de droite
si promptes à hurler à la « prise d’otage
 » pour toutes les autres grèves...
Dès lors on voit mal pour quelle
raison ceux qui détiennent la possibilité
de légiférer sur ce sujet, à tort et à
travers, se priveraient de le faire. Ils le
font en employant les vieilles ficelles
politicardes.

Le pauvre et les deux larrons

De la même façon que l’on raconte
que Jésus-Christ a été mis en croix
entre deux voleurs, la loi Loppsi 2
crucifie les pauvres entre un trafiquant
de drogue et un pervers sexuel.
Dans ce cas précis, il s’agit de
réprimer sévèrement les grands périls
que sont pour la société le vendeur de
montres à la sauvette ou la famille qui
se sera logé de façon « illicite » (et cela
bien qu’elle ne trouve pas de logement
« licite »). Et n’en doutons pas,
la prochaine fois ce sont d’autres
catégories d’habitants obligés de se
débrouiller (parce que Madame Tout

  • le-monde n’a pas droit, elle, à un
    poste d’ambassadrice à l’Unesco
    quand elle perd son emploi) qui se
    verront incriminées à leur tour.
    L’opposition suivant la formule
    consacrée « n’est pas resté inactive ».
    Cela signifie qu’elle a regroupé des
    sigles en un cartel imposant - son
    petit « fourre-tout » à elle - dans l’objectif
    affiché de vouloir informer l’opinion.
    Les choses ont, de ce point de
    vue, évolué : là où, autrefois, pour
    sonner l’alerte, il suffisait d’une cloche,
    voilà qu’aujourd’hui on les
    compte par dizaines, mais ce n’est pas
    pour autant qu’elles sont aussi efficaces !

« Les organisations membres et partenaires
du Collectif Liberté Egalité Justice
(CLEJ) alertent l’ensemble des citoyens
sur le caractère à la fois inutile et inacceptable
de ce projet de loi qui n’a pas donné
lieu à un véritable débat public et qui,
pourtant, devrait être bientôt adopté en
leur nom... » Ainsi commence le
communiqué. Le reste est de la
même eau, et les signataires forts
nombreux : Syndicat de la magistrature
(SM), Syndicat national de l’ensemble des
personnels de l’administration pénitentiaire
(SNEPAP/FSU), Syndicat national
des personnels de l’éducation et du social -
Protection judiciaire de la jeunesse
(SNPES-PJJ/FSU), Syndicat des avocats
de France (SAF), Syndicat national
de l’enseignement supérieur (SNESUP/
FSU), Privacy France, Solidaires
unitaires démocratiques - santé/sociaux
(SUD santé/sociaux), Nouveau parti
anticapitaliste (NPA), Union syndicale
de la psychiatrie (USP), Syndicat national
unitaire des collectivités locales, de l’intérieur
et des affaires sociales
(SNUClias/FSU), Groupement étudiant
national d’enseignement aux personnes
incarcérées (GENEPI), Ligue des
droits de l’Homme (LDH), Collectif
"Non à la politique de la peur", Union
syndicale Solidaires, Fondation Copernic,
Parti de gauche, Europe Ecologie/Les
Verts, Mouvement de la Paix, Fédération
pour une alternative sociale et écologique
(FASE), Parti communiste français
(PCF), Droit au Logement (DAL),
Fédération des Tunisiens pour une
Citoyenneté des deux Rives (FTCR),
Droit Solidarité, Union Juive Française pour la Paix (UJFP), Gauche Unitaire,
Inter LGBT, Libre Accès, MACAQ,
SNJ-CGT, Association des Tunisiens en
France (ATF), FASTI, FCPE,
Confédération syndicale des familles
(CSF), Habitants de logements éphémères
et mobiles (HALEM), Intersquat Paris,
Jeudi Noir, RESEL (Réseau Stop aux
expulsions de logement), Assemblée
citoyenne des originaires de Turquie
(ACORT), GISTI, UNSA-éducation,
ACT-UP, La Quadrature du Net, Parti
communiste des ouvriers de France,
Association des travailleurs maghrébins
de France (ATMF), UNEF,
Association des marocains en France
(AMF), Collectif "La journée sans
immigrés : 24 h sans nous", Les
Aternatifs, VECAM (Réflexion et
action pour l’internet citoyen), Imaginons
un réseau internet solidaire (IRIS), Agir
contre le chômage (A.C !), Mouvement
contre le racisme et pour l’amitié entre les
peuples (MRAP), Fédération générale
des PEP, France terre d’asile, Cap 21,
Collectif national de résistance à Base élèves
(CNRBE), La Gauche Cactus,
Fédération des Associations Réflexion
Action Prison Et Justice (FARAPEJ),
CGT-pénitentiaire, CGT-Protection
judiciaire de la jeunesse, SOS Racisme,
Marches européennes contre le chômage, la
précarité et les exclusions, Mouvement des
jeunes socialistes (MJS)
. Il manque bien
Alternative libertaire et l’Association
pour le droit de regarder son nombril
,
mais bon, on doit pouvoir faire sans.

Les « gueux » dans la rue

La contestation de cette loi, il suffit
de lire la liste des signataires pour
le comprendre, n’est bien sûr pas
venue de ce côté. Elle est venue des
plus concernés, « ces gueux d’où vient
tout le mal », qui en ont visiblement
assez d’être à la fois les victimes du
capitalisme et les boucs émissaires de
l’État. Une partie d’entre eux a décidé
de s’opposer a cette logique : réseaux
intersquats et réseaux sociaux ont
contribué à une mobilisation auto-organisée,
sans parti ni syndicat, en
diffusant des messages comme celui ci :

CONTRE UNE LOI INJUSTE
Le 14 décembre passera la loi Loppsi 2 :
vivre dans des camions, yourtes, tipis roulottes,
cabanes deviendra illicite ! Une lettre
sera envoyée à tous les maires et préfets
qui seront redevables d’une amende de
3 700 euros en cas de non-dénonciation !
Nos habitats peuvent être détruits dans
les 48h !!! Cette loi va passer parce que
personne n’en à entendu parler !!! Mon
idée : Je propose qu’on s’unisse TOUS
ENSEMBLE, les nomades, les punks,
les hippies, les sans-adresse, les caravaniers...
pour ensemble PROTESTER et
faire comprendre notre colère !!!
Organisons des manifs samedi prochain
dans les grosses villes de France et faisons
passer le message qu’on en a plus que ras
le bol de leurs lois à la con qui ne cessent
de nous privés de nos libertés !
Révolution !!

C’est ainsi que dans tout le pays,
une série de manifestations et de rassemblements
ont été organisés entre
le 14 et le 18 décembre. A Toulouse,
deux manifestations regroupant plus
de cinq-cents personnes chacune,
avec camions et caravanes, allaient
bloquer successivement la ville. Leur
caractère dénotait totalement avec
celui des défilés traditionnels organisés
par les institutions politiques ou
syndicales, où tout est prévu à l’avance,
même la défaite. Ici, pas de drapeaux
ni badges, pas de comptage en
rangs d’oignons, pas de service d’ordre
ni de ballon publicitaires gigantesques.
Une foule bigarrée, plus ou
moins compacte, mais toujours solidaire,
qui bloque un carrefour ou qui
s’écoule comme elle l’entend, qui s’arrête
pour faire tourner un petit mégaphone
et improviser une assemblée à
un carrefour puis brûler quelques
palettes un peu plus loin pour se
réchauffer... Il y a aussi l’alcool, le
ma u v a i s ami des jours sombres,ces jours où on est seul face aux laquais du système, et on en discute aussi, au détour d’une diatribe anticapitaliste. Malgré l’absence de pratiquement tous ceux et celles qui avaient manifesté le mois précédent (contre la
casse des retraites), avec le risque de renvoyer les marginaux à leur marginalité, on percevait dans ce mouvement de protestation une conscience claire, y compris chez les passants, qu’il s’agissait là aussi d’une partie du Peuple qui rentrait en mouvement. Un mouvement non dépourvu de
capacité de résistance. C’est ce qu’on
a vu le samedi après-midi au croisement
des boulevards avec la rue
Saint-Bernard, où un chauffard tente
d’écraser des manifestants, dont un
enfant de cinq ans. Personne ne le
laisse faire, la voiture en prend pour
son grade et les flics venus à la rescousse
du chauffard sont obligés de
battre en retraite. Ils doivent faire face
à des gens solidaires qui malgré, les
tirs de lacrymogènes et de flash-ball,
leur ont tenu tête.

Le lendemain dans une certaine
presse locale (beurk), on pourra lire,
sans surprise aucune, une relation des
faits entièrement fantaisiste et les
habituelles imbécillités au sujet de la
« violence », mais ce propos méprisable
se perd dans ce qui a été : le dernier
samedi avant Noël, jour promis à
la plus grande consommation, le centre
ville commerçant de Toulouse
était paralysé pendant des heures par
les gueux. La force brute déployée
contre eux par l’État n’a pu rien y
faire. De nouveaux contacts ont
été pris et d’autres rendez-vous sont
déjà donnés. La lutte continue.

Lolo

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