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L’élection, processus antidémocratique par définition

Publié le 17 janvier 2010

S’il y a une chose dont les politiciens ne se lassent pas, c’est des élections. Pendant que Ségolène se met en jambes pour les présidentielles par une irruption tellement tonitruante que des membres de son parti parlent de « psychiatrie lourde », les sarkozystes modifient les règles du jeu pour être sûrs d’emporter les régionales et les affairistes font leur nid dans toutes les listes ... tout cela au nom de la démocratie un sujet sur lequel ils entendent bien nous faire la leçon. Voyons donc ce qu’il en est.

Le terme « démocratie » nous vient de la Grèce antique. Lorsque la démocratie y naît, “l’idée de représentation est totalement absente de la philosophie et de la pratique de la Grèce ancienne (...) le principe de l’élection étaient considéré comme aristocratique”. Et oui, selon le constat des « inventeurs » de la démocratie, l’élection est exactement opposée à la démocratie. L’élection est par essence aristocratique puisqu’il s’agit non de désigner quelqu’un d’égal à un autre mais de choisir quelqu’un supposé meilleur, supérieur aux autres. C’est pourquoi les magistrats de la cité antique ne sont pas élus, mais - pratique démocratique oblige - tirés au sort. Quelques-uns seulement, pour des fonctions exigeant une compétence toute particulière sont élus ; mais ils ne sont jamais considérés comme des représentants des citoyens et leurs charges sont soumises à rotation régulière. D’ailleurs tout magistrat “ peut à n’importe quel moment dans l’exercice de ses fonctions, être mis en cause, pour des raisons de fonds et de forme, et révoqué”. Le mouvement ouvrier fera de même avec ses délégués durant la Commune, dans les soviets, dans les Collectivités, les organisations anarchosyndicalistes ...

Mais la démocratie, ce n’est pas que cela : refusant les représentants qui légifèrent et gouvernent en leur nom. Les citoyens votent eux-mêmes les lois dans l’assemblée du peuple (Ekklésia), où tous ont un droit égal à la parole (Iségoria) et à la proposition de telle ou telle décision. Les citoyens y ont l’obligation « “de dire franchement ce [qu’ils pensent] ... à propos des affaires publiques”.
Les inventeurs de la démocratie ont également beaucoup réfléchi (et trouvé des solutions) à la relation peuple/experts. Si les athéniens reconnaissaient l’expertise, c’était toujours par rapport à une activité spécifique comme la construction d’un temple, d’un bateau ...“Mais celui qui disait : « Moi, je suis un technicien dans les affaires du gouvernement » ne récoltait que des rires ». D’autre part, pour les grecs démocrates, « aucun expert ne saurait se juger lui-même, et le juge de l’expert n’est jamais un autre expert mais l’utilisateur. Le juge de ce qu’est une bonne armure, ce n’est pas l’armurier, mais l’hoplite qui va s’en servir (...)”

“Il n’est que trop facile d’opposer cette vue concernant l’expertise à celle qui prévaut chez les modernes. L’idée dominante, aujourd’hui, c’est que les experts doivent être jugés par d’autres experts (...) Cette idée va de pair avec une autre (...) qu’il existe des experts politiques. Ce n’est pas le nom qu’on leur donnera, mais nos prétendus politiciens se présentent et sont élus en tant que spécialistes de l’universel, techniciens de la totalité, ou peu s’en faut. Il va de soit que c’est la dérision même de l’idée de démocratie (...) : on justifiera le pouvoir des politiciens par l’expertise politique qu’ils seraient les seuls à posséder, et on appellera ensuite la population - qui par définition est non experte - à choisir entre ces expert” !
Dernière réflexion utile que nous puisons toujours chez les inventeurs de la démocratie, celle qui concerne le couple population/Etat. "... le terme Etat n’existe pas en grec ancien ... il n’y a pas d’appareil d’Etat séparé de la communauté poplitique et qui la domine".

Ces trois points fondamentaux, sur lesquels la contradiction est totale entre les pratiques des Etats d’aujourd’hui et celles des inventeurs de la démocratie, permettent d’affirmer que ce qu’on nous vend aujourd’hui comme étant de la « démocratie » représentative est à la véritable démocratie ce que Mac Donald’s est à la gastronomie.

Loin d’être une démocratie, notre société est une oligarchie élective et plus ou moins libérale : dans les faits, dans la réalité, dans le quotidien, les élus qui disposent du pouvoir ne sont même pas « les meilleurs », ils sont surtout les rejetons de familles installées qui se croisent et s’entrecroisent, vivent entre elles et constituent ainsi une oligarchie opaque.

Cette pseudo élite qui pullule dans la haute bureaucratie du gouvernement, des partis, des syndicats, des grosses entreprises (on ne compte pas ceux qui passent avec aisance de l’une à l’autre) constituent une véritable aristocratie. C’est parmi elle, et elle seulement (à de rarissimes exceptions près) que le pouvoir choisit ses leaders, par ce que Cornelius Castoriadis appelle “les règles du jeu de l’appareil bureaucratique de l’appareil partisan”. Reste au commun des mortels un vagues veto électoral “plus fictif que réel pour la simple raison que le jeu est truqué (...) parce que les choix offerts sont toujours prédéterminés”.

Hector

Les réflexions ainsi que les citations sont puisées dans l’oeuvre de Cornelius Castoriadis, en particulier son Séminaire à l’EHESS “Ce qui fait la Grèce 2 : Cité et lois” et “Les enjeux actuels de la démocratie”. Il ne s’agit pas de prendre l’Athènes du Ve siècle comme modèle démocratique absolu. Cela n’aurait aucun sens, d’autant plus qu’étaient exclus de la communauté politique les femmes (comme en France jusqu’en 1945), les métèques (comme c’est le cas encore chez nous) et les esclaves ; et que l’inégalité sociale entre les citoyens était profonde. Cependant, même avec ces tares, la civilisation athénienne a inventé la démocratie, l’a longuement pratiquée et réfléchie. Il est donc logique de s’y référer quand c’est de démocratie qu’on cause.

Article d’Anarchosyndicalisme ! n°115

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