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Le capitalisme est malade ? Qu’il crève !

Publié le 13 novembre 2008

Ils sont en émois. Depuis quelques semaines tout ce que la planète compte de dirigeants, qu’ils soient politiques ou financiers, ne s’agite qu’autour d’une chose : la crise financière. L’affaire des sub-primes aux Etats-Unis a montré l’extrême fragilité (pour ne pas dire escroquerie) des institutions financières, du coup, ce qu’on appelle le marché interbancaire a été paralysé. Prises de peur, les banques ne voulaient plus se prêter entre elles. Or, ces prêts sont vitaux pour la survie d’une économie capitaliste. Sans eux, des banques se retrouvent du jour au lendemain avec leurs comptes dans le rouge, au bord du gouffre, voire carrément en faillite (Lehmann brothers). Les bourses ont chuté de manière impressionnante. Avec moins de crédits, moins d’activité économique. La récession commence à s’installer à l’échelle mondiale. Fait sans précédent, la réponse des gouvernements a été fulgurante et d’une ampleur inimaginable : des milliards ont été instantanément débloqués par tous les Etats au motif qu’il fallait empêcher une faillite généralisée du système. Les journaux vous ont déjà expliqué tout ça.

Si l’on décolle les yeux du guidon, ce qui saute aux yeux, c’est que, ce qu’on nous présente comme une "crise" n’est que la poursuite inexorable par le système capitaliste de sa logique mortifère. Ce n’est pas une "erreur", ce n’est pas un "malheur" dû au hasard, à un enchaînement de circonstances*1. C’est la conséquence des mécanismes économiques habituels.

Si crise il y a, c’est bien à un autre niveau. C’est une crise de confiance. Non pas chez les financiers, mais dans la population générale. Un nouveau "mur de Berlin" vient de tomber : la croyance jusque là bien ancrée dans la population que, tant bien que mal, le capitalisme pouvait faire sinon la richesse de tous du moins améliorer progressivement les conditions de vie. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les dirigeants ont travaillé l’opinion pour qu’elle accepte cette idée, qu’elle admette que le capitalisme est le seul système qui puisse garantir à la fois la liberté et la prospérité car le bonheur de quelques-uns allait in fine faire le bonheur de tous. Cette resucée de la théorie de la "main invisible" ; concept inventé par Adam Smith à la fin du 18e siècle est le fondement du discours idéologique du capitalisme.

Certes, ce discours était déjà totalement en contradiction avec la réalité observable. Mais, malgré les guerres, les famines, la misère, l’oppression écrasante, l’exploitation éhontée dans la plus vaste partie du monde ainsi que dans nos pays une exploitation et une oppression plus feutrées, globalement, les populations d’occident adhéraient à ce mythe. Les contradictions que la crise financière à mise en évidence est en train de le faire voler en éclat ;

Les enfants africains pouvaient crever de faim et du sida, les Irakiens mourir sous les bombes, les boat people du Maghreb s’échouer sur nos côtes, personne ne considérait qu’il y avait crise et bien peu réclamaient les mesures qui s’imposaient. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. La propagande tournait à plein, les publicités vantaient des téléphones magnifiques, des voitures puissantes et désormais écologiques. Mais, dès que le portefeuille des plus riches, des gens de la finance, menace de se vider, alors là, pas d’hésitation, branle-bas de combat et mobilisation générale : il faut sauver la banque.

Difficile de démontrer plus clairement que, pour ceux qui nous dirigent, la société, c’est eux, uniquement eux. Les autres, tous les autres, nous ne sommes rien.

L’idéologie libérale est criminelle par essence

Avant d’aller plus avant, interrogeons-nous sur l’idéologie du capitalisme. Nous l’avons vu, le capitalisme se justifie moralement en diffusant la croyance que le chacun pour soi, est finalement bénéfique à la société ; une "main invisible" se chargeant de répartir les bienfaits qui découlent des différentes actions individuelles. Pour bien comprendre cette théorie basique du capitalisme, laissons la parole à son concepteur, Adam Smith : "À la vérité, son intention [au capitaliste], en général, n’est pas en cela de servir l’intérêt public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l’industrie nationale à celui de l’industrie étrangère, il ne pense qu’à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler. Je n’ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n’est pas très commune parmi les marchands, et qu’il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir."*2

Dès ses débuts, le capitalisme a opposé aux notions de "solidarité", "d’entraide" et de "bien commun" le diktat suivant : il ne faut pas s’en occuper, car cela pourrait bien être néfaste. Idéologie du chacun pour soi, le libéralisme des débuts du capitalisme a connu depuis un essor mondial qui en fait aujourd’hui l’idéologie dominante à l’échelle planétaire. Il ne faut toutefois pas croire qu’elle soit uniforme. Il existe en effet toute une série de nuances (plus ou moins d’intervention étatique, de liberté, etc.) qui lui permettent de s’adapter à toutes sorte de situations. Mais le socle reste le même : la propriété privée des moyens de production, et l’initiative individuelle.

Dans cette idéologie, il n’est jamais question de ce que nous vivons tous les jours : l’exploitation éhontée des travailleurs et la répression des classes populaires. Le libéralisme refuse de reconnaître, de concevoir même, la lutte des classes. L’accepter, ce serait reconnaître que les valeurs qui sont les siennes (individualisme, ...) ne sont pas adaptées au but qu’il annonce (enrichissement de tous). Par conséquent, la misère et l’exploitation sont des affaires purement individuelles pour cette idéologie. "Si tu meurs de faim, c’est de ta faute, va travailler, et tu verras que tout ira mieux !", disent les capitalistes.

Un crime contre l’humanité à l’échelle planétaire

Lors de la crise alimentaire déclenchée ce printemps, les gouvernements ont timidement débloqué quelques millions de dollars : 200 millions pour les USA. A comparer aux 10 milliards d’euros débloqués par la seule France pour sauver ses banquiers. On voit là l’indécence de nos dirigeants : rien ou fort peu pour les pauvres qui meurent de faim, mais des sommes astronomiques pour les quelques salopards qui ont joué avec notre argent, qui ont perdu et qui maintenant viennent quémander auprès de l’Etat des sous (les nôtres) pour rembourser leurs pertes. Et l’Etat paye. Et il paye cher. Plusieurs dizaines de milliards ont déjà été débloqués pour renflouer les banques. Pendant ce temps, des gens dans les caraïbes mangent de la terre mélangée à de l’huile et du sel pour tromper leur faim. Pour eux, pas d’argent ; pas plus que pour les 18 000 enfants qui meurent chaque jour de faim. Il ne s’agit pas ici de fatalité, mais bien de choix pris par des gens qui sont responsables de ces choix, qui arbitrent entre plusieurs choix possibles. Ils ont donc choisi que notre argent (celui que nous leur versons par nos impôts indirects et directs) irait aux riches plutôt qu’à ceux qui meurent de faim, même s’ils meurent de faim suite aux décisions prises par la caste des dirigeants de la planète : destruction systématique des agricultures vivrières traditionnelles, exploitation accrue de la population locale (salaires de misères), etc.

Dans l’approche même du "Droit" des Etats capitalistes, les "... actes inhumains ... causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale" constituent un crime contre l’humanité.
La famine, l’extrême misère qui font subir des traitements inhumains à des foules de nos semblables, qui tuent dans des souffrances atroces tous les jours les plus fragiles, sont la conséquence directe de choix économiques conscients, "éclairés", de nos dirigeants. Et ils s’abstiennent de la soulager alors même qu’ils en ont parfaitement les moyens. Ce faisant, ce sont des criminels contre l’humanité.

La fin du double discours ?
Parallèlement, les banques sont arrosées de milliards. Or l’idéologie libérale, de part son individualisme, devrait commander une non-intervention de l’Etat. Reprenant ce qu’ils disent aux chômeurs, aux pauvres, aux citoyens de deuxième zone, les banquiers auraient dû dire : "Si j’ai perdu ma fortune, c’est bien de ma faute, je vais travailler plus et je gagnerai plus, tout ira ainsi mieux !". Mais le principe selon lequel "chacun est responsable de ses actes" a été instantanément balayé, sans crise de conscience, et les plus ultra-libéraux de nos capitalistes n’ont pas été les moins rapides à venir pomper les finances publiques.

Ce fait montre bien deux choses. D’abord combien l’idéologie capitaliste est un discours creux, simplement destiné à faire accepter par les dominés l’exploitation que leur impose la classe dirigeante (en leur faisant miroiter une amélioration de leur situation, et en les culpabilisant sur leur responsabilité individuelle). Ensuite combien l’Etat est un autre outil aux mains de cette même classe. De ce point de vue, il a été amusant de suivre les réactions gouvernementales dans les différents pays européens. Aux nuances près, Sarkozy ne fait pas autre chose que Merkel qui reprend les décisions de Zapatero elles-mêmes inspirées de Berlusconi... sans oublier le FMI actuellement sous la direction d’un "grand socialiste" français. Gouvernements de "droite" (et parfois de droite extrême) et de "gauche" n’ont pas été longs pour se mettre d’accord sur l’essentiel et faire tous la même chose !

Il est aujourd’hui éclatant que la classe dominante, la bourgeoisie, tient un double discours : elle dit aux pauvres et aux travailleurs "faites des efforts, travaillez, prenez des risques, vous en retirerez du bon " (sans dire que les pauvres qui peuvent "réussir" ainsi sont forts peu nombreux) ; et elle n’hésite pas à spolier et voler pour rattraper ses erreurs et limiter ses pertes. Cette conduite est celle du capitalisme depuis ses origines, mais aujourd’hui elle a une visibilité jamais atteinte jusqu’à présent. Jamais les capitalistes n’avaient pillé la collectivité à cette hauteur en aussi peu de temps, et de plus, dans un contexte de famine pour des millions d’humains.

Les vieux discours ne peuvent plus fonctionner, le pouvoir voit bien qu’il ne peut plus se justifier comme avant. Il parle alors de " refonder le capitalisme ", de réformer les règles, d’introduire de la morale... Il s’agit pour lui de gagner du temps, pour qu’on oublie un peu ce qui vient de se passer. Il s’agit surtout de faire en sorte que l’enrichissement d’une minorité et l’exploitation de tous puisse continuer sans accrocs. Les réformes qui sortiront des prochains sommets internationaux ne changeront rien, parce qu’elles sont faites par ceux qui ont créé cette situation, qui en tirent à la fois d’énormes bénéfices et tout leur pouvoir. Et les plus pauvres continueront à bouffer de la terre avec de l’huile. S’il leur reste encore de l’huile.

Une seule solution, le communisme libertaire

L’échec patent du messianisme capitaliste qui nous assurait que la main invisible améliorerait le sort de tous, nous place devant une évidence : ce monde est inhumain. Il nous place également devant nos responsabilités.

Si un autre monde a toujours été envisageable, il devient aujourd’hui nécessaire. Et, ce qui accroît la possibilité d’y parvenir, le facteur nouveau qui va nous aider dans notre travail militant, c’est justement la cynique contradiction du capitalisme que la crise financière a rendu évidente, bien au-delà des cercles qui la critiquaient déjà. De plus, même s’ils y ont encore recours, faute de mieux, la critique de cette contradiction englobe pour une masse croissante de personnes les complices habituels de l’Etat : syndicalistes institutionnels, politiciens de gauche, et autres postiers trotskistes qui ne rêvent que d’être aux commandes de ce même Etat. "Tous pareil" est le constat que l’on entend déjà partout. C’est là aussi un point positif sur lequel il faut prendre appui. Car, il ne s’agit pas d’envisager un avenir lointain, une sorte de paradis sur terre précédé du "grand soir. Il s’agit simplement de remettre la solidarité de classe au centre du débat, de participer à son auto-organisation, d’arracher au pouvoir le contrôle de nos vies. Ce qui se traduit concrètement par une action quotidienne, un travail militant de fourmi, qui ne prend sens qu’en s’inscrivant clairement dans une dynamique révolutionnaire. C’est à cette résistance quotidienne à l’oppression, à cette action continue, que nous engageons chacun, là où il travaille, vit, étudie, que nous engageons chacun.

Des militants CNT-AIT

_1- Remarquons que si le pouvoir met l’accent sur les financiers qu’il faut sauver de la ruine, il est d’une discrétion absolu sur ceux qui ont multiplié leur fortune grâce à cette même crise. Tout l’argent disparu n’a quand même pas été perdu pour tout le monde. Il n’est venu à l’idée d’aucun politicien d’en récupérer un peu pour éponger les dettes. Curieux, n’est-ce pas ?
_2- Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776.

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