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Mourrir pour des voleurs

Publié le 5 octobre 2008

Le monde est entré dans le 3e millénaire par un événement majeur :
l’effondrement des tours du WTC (World trade center) de New York. De
tous points de vue - symbolique, médiatique ou psychologique - l’attentat
du 11 septembre 2001 a marqué l’histoire mondiale. Cet effondrement est
la résultante de deux tendances lourdes de cette société : l’extension sans
fin de la misère et la montée du fait obscurantiste. Si l’extension de la misère
est bien la conséquence du triomphe du capitalisme, il convient de s’arrêter
sur la question de l’obscurantisme.

L’humanisme n’a pas de frontières,
l’obscurantisme non plus

En effet, on a trop facilement
tendance à associer l’obscurantisme
à la religion, et en particulier bien
sûr sous nos latitudes, à la religion
islamique. Or, l’obscurantisme n’est
en aucune manière lié exclusivement
au fait religieux. On ne le sait
que trop, toutes les religions ont
une aptitude considérable à développer
l’obscurantisme ; mais l’obscurantisme
peut se développer
tout aussi bien en l’absence de religion.

C’est ainsi que le capitalisme,
puissant producteur d’une matière
intellectuelle dont l’abondance et la
diffusion massive ne suffit pas à masquer
les médiocrités, est un puissant
producteur d’obscurantisme. Aussi,
montant des décombres encore
fumants des tours jumelles, il y avait
la nuit de la pensée, cette nuit étouffante
qui s’abat sur le monde. Mais
cette nuit, contrairement à ce que
voudraient nous faire croire les "élites"
dirigeantes, n’est pas le fait
d’antagonismes entre des populations
aussi éloignées que les
Pachtouns et les Texans, elle est,
tout au contraire, le résultat palpable
de la domination de ces "élites"
sur la planète.

Face à l’obscurantisme, les
humanistes, qu’ils soient du levant
ou du ponant, se sont toujours donnés
la main par-dessus des ténèbres.
De toutes les origines, de toutes
les croyances, juifs, athées musulmans,
réformés, catholiques ou
rationalistes, ces hommes et ces
femmes, en dehors de tout réflexe
de blocage identitaire, le plus souvent
en hérétiques, se sont passés à
travers les âges la flamme de la
Liberté comme on se passe un
relais. Ce fait doit être rappelé pour
dévoiler cette première escroquerie
 : la lutte contre l’obscurantisme
que représente l’humanisme et plus
généralement tout le travail de civilisation
n’est pas la propriété d’une
culture, ni d’un "peuple", d’une religion
et encore moins de Messieurs
Bush ou Sarkozy. L’humanisme est
une capacité de remise en question
perpétuelle, au nom de la liberté et
au nom de l’être humain, à l’intérieur
de chaque société. Dire le
contraire, c’est prôner l’affrontement
entre des civilisations conçues
comme autant de blocs monolithiques,
c’est participer à fomenter
un mensonge préfigurateur de toutes
les croisades.

Du mensonge au mépris

A force de représentations simplistes,
destinées à promouvoir un
modèle de société au détriment du
reste de la planète, il arrive qu’on se
trompe sur soi et sur les autres.
Comme la première qualité du stratège,
c’est de savoir analyser objectivement
les forces en présence ; il
s’ensuit que la déformation, ou carrément
la dénégation de la réalité
(que les motifs en soient la propagande,
la vanité ou tout simplement
le calcul politique le plus bas) est la
première raison de bien des échecs
futurs.

L’illustration parfaite et actuelle
de cet aveuglement de l’esprit, nous
la trouvons dans les propos du
ministre français de la Défense,
Hervé Morin, qui dit, au sujet de
l’Afghanistan : "Le durcissement des
combats est la preuve que la situation
s’améliore"1. Il fallait oser. Un tel
propos nous replonge bien en arrière,
au temps des discours imbéciles
de la vieille ganacherie militariste,
dont la mentalité étroite était issue
du plus pur esprit réactionnaire. Les
dires du sieur Morin rappellent
immanquablement, tant ils leurs ressemblent,
ceux du fameux Maréchal
Leboeuf qui s’écriait, en 1870, à la
veille de la guerre entre la France et
la Prusse : "Nous sommes prêts,
archi-prêts ; quand la guerre devrait
durer un an, il ne nous manquera
pas un bouton de guêtre" avant de
conclure, l’imbécile, d’un tonitruant :
"L’armée prussienne n’existe pas. Je
la nie !"2

Le recours systématique au mensonge
(dont un des derniers et des
plus monstrueux de l’histoire a été
celui sur les armes de destruction
massive, mensonge destiné à "légitimer"
la guerre en Irak) finit par
auto-intoxiquer la classe dirigeante
elle-même à tel point qu’elle en

perd toute capacité d’analyse. J’ai
conservé, pour illustrer cette incapacité
mêlée à la volonté de manipuler,
deux articles du journal "Le
Monde", tous deux en date du 20
décembre 2001, quelques semaines
donc après l’effondrement du WTC.

Le premier, dédié à se féliciter
par avance de la victoire US, n’est ni
plus ni moins qu’un vil catalogue de
marchands d’armes vantant les
mérites des drone prédator, de la
bombe GBU 16 ou de missiles intelligents
et autres robots meurtriers.
La conclusion qui en est tirée est un
monument où l’ineptie le dispute au
cynisme : "Ce sera la guerre zéro
mort, sauf pour les populations soumises
à leurs bombardements" (sic)
écrit Jacques Isnard3. Le deuxième,
sous la plume de Jérôme Jaffré, toujours
dans le même Monde, s’intitule
"Les Français inquiets, les politiques
déphasés". Ce "spécialiste"
en opinion publique nous informe
sur nos attentes, à nous lesdits français,
selon lui elles auraient été à ce
moment-là les suivantes "le rétablissement
de l’autorité à l’école, l’aggravation
des peines contre les
mineurs délinquants et l’établissement
d’un service minimum dans les
transports". Quant au pouvoir d’achat,
aux conditions de vie et de travail
ou aux questions d’environnement,
ça n’intéressait absolument
personne, si on en croit l’impayable
Monde. Bref, pour Monsieur Jaffré,
tout ce qui pouvait intéresser les
Français n’était qu’un programme
ridicule et réactionnaire. Encore
avait-il oublié le traditionnel couple
contre les travailleurs sans papiers et
leurs familles, certes remplacé dans
son papier par l’affaire de la
Marseillaise sifflée au stade de
France qui aurait soi-disant "fortement
marqué l’opinion publique".

Les intentions que Le Monde
nous prête, à nous tous, répétons-le
au nez et à la barbe des plumitifs,
n’a strictement rien à voir, ni de prés
ni de loin, avec les attentes réelles
de la population, encore moins avec
l’humanisme, ni même tout simplement avec l’intelligence la plus élémentaire
de ce qui est en jeu. Ce
n’est que l’expression bornée d’une
pensée mercenaire destinée à permettre
au Pouvoir de parvenir à ses
fins inavouables. Son but est bien
précis : faire monter à son paroxysme
l’idéologie sécuritaire, cet obscurantisme
moderne, dont on
reconnaît à la petitesse des perspectives
offertes la mesquinerie des
ambitions.

Du mépris à la défaite

Le mépris dans lequel le Pouvoir
et son expression médiatique tient
toutes les populations, quelles
qu’elles soient et où qu’elles se trouvent,
explique ce décalage entre les
besoins de ces dernières et les traitements
auxquels elles sont soumises.
Pour preuve supplémentaire,
voici un extrait du blog officiel du
18éme régiment de Normandie, en
date du 21 août 2008 :

"La patrouille s’enfonce dans la
coulée verte de la vallée de Nijrab,
coincée entre deux murailles de
montagnes pierreuses. Une heure et
demie de piste plus tard, le convoi,
passablement secoué dans les
ornières, atteint sans encombre un
village isolé (...) Peuplée de Tadjiks,
partisans de l’Alliance du Nord de
feu le commandant Massoud, (...), la
vallée a la réputation d’être hostile
aux talibans et favorable à la coalition.
Réputation confirmée à l’arrivée
des troupes françaises qui se
déploient rapidement sur les crêtes
pour parer toute attaque talibane.
Les officiers sont conviés par le
directeur de l’école des filles à une
"choura" improvisée, assemblée
des notables locaux. "Nous n’avons
pas de crayons, pas de cahiers, nous
avons 1.200 élèves et pas d’eau",
déplore Abdulle Subhane, "Notre
objectif est de maintenir toutes les
classes et de faire en sorte que toutes
les jeunes filles aillent à l’école".
Quand la patrouille repart, les deux
F15 surgissent brusquement au raz
du sol dans un grondement infernal"

Ce témoignage est divulgué
dans le but évident de mettre l’émotion au service de la propagande et
de rassurer, au lendemain de l’embuscade
du 18 août 2008, l’opinion
sur l’action de l’armée française en
pays Afghan. Mais, et ce n’était certainement
pas son but, il nous
démontre surtout que les dirigeants
politiques n’ont aucune volonté
d’aider en quoi que ce soit les habitants
de ces territoires. Sans quoi ils
auraient commencé par fournir, au
moins à leurs alliés potentiels, les
moyens de vivre un peu plus
décemment que ce qui est décrit ici
par les militaires eux-mêmes. Or
après 7 ans de "présence" française
et occidentale, il n’en est rien : ni
eau, ni le moindre cahier, ni le moindre
crayon. Les petites filles afghanes
peuvent toujours se brosser et
compter en attendant les millions
dépensés en drones, F15 et autres
engins de mort. Ce blog de l’armée
en dit bien plus qu’il ne pensait dire.
Il prouve que le but du Pouvoir n’est
pas de lutter contre l’obscurantisme
des talibans mais bien d’entretenir
une guerre permanente grâce à la
permanence de la misère.

C’est en méprisant de la sorte les
valeurs qu’elle prétend défendre
que la bourgeoisie continue à peupler
les cimetières avec les enfants
des prolétaires, car ce ne sont pas
nos gouvernants qui crèvent ou qui
vont crever les prochains mois, dans
des montagnes désertiques, ni leur
fils. D’ailleurs, "de nombreux
Français", comme écrirait Le
Monde, en lisant la liste de morts du
18 août 2008 ont fait cette réflexion
que ce n’était pas le fils Sarkosy4,
que les médias nous présentent
pourtant comme si passionné de
politique et si patriote, qui était là-
bas, ni ses copains les rejetons de la
jet-set, mais bien des jeunes issus
des classes populaires que leur propre
misère a poussé à s’engager.
Finalement la défaite militaire,
comme la crise économique, n’est
qu’un moyen de plus pour les classes
dirigeantes de s’enrichir en
volant le sang et la sueur des autres,
le tout sur fond de gabegie de
moyens technologiques soi-disant
les plus avancés, en tout cas, les
plus onéreux. Science sans conscience,
disait ce bon vieux Rabelais

  • un humaniste, lui-, n’est que ruine
    de l’âme. Aujourd’hui, se serait plutôt
    science sans conscience est source
    d’enrichissement ; car tout ne
    sera pas perdu pour tout le monde.
    Les marchands d’armes et de gadgets
    technologiques s’en frottent
    encore les mains, ils ont vendu du
    vent, le "zéro mort" (slogan destiné
    aux militaires, qui l’ont cru !), et cher.
    Quant aux champs de pavot
    afghans, comme par miracle, ils restent
    épargnés par le conflit. Pendant
    le bain de sang, les affaires continuent.
    Surtout les plus torves.

Paix et liberté

Cet hiver, coincé entre les montagnes
de Kaboul, privé de bases
arrières, à la merci d’un soutien
logistique aléatoire, menacé d’une
insurrection générale, le soldat de
base pourra réfléchir avec amertume,
et avec une forte probabilité de
finir les tripes à l’air, sur ceux qui
fabriquent les guerres. Il aura également
le temps de réfléchir au rôle
qu’on lui prépare, s’il en réchappe.
Pour nos dirigeants en effet, les
"théâtres d’opérations extérieures",
comme ils disent dans le jargon militariste,
ne sont essentiellement là
que pour justifier aux yeux des naïfs
"citoyens" l’existence même d’une
armée.

Ce qu’ils préparent, c’est surtout
son utilisation contre ce fameux
"ennemi intérieur" -vous, moi, les
humanistes. Ce n’est pas pour rien
que, lors de la manoeuvre militaire
criminelle de Carcassonne5, le scénario
ne mettait pas en scène des
montagnes afghanes mais des corridors
et des coursives comme il en
existe dans toutes les Cités. Cette
orientation stratégique est l’aboutissement
monstrueux et imbécile de
l’idéologie sécuritaire, qui est à la
liberté ce que la nuit est au jour, qui
transforme l’humain en sac de
trouille. Cette évolution, que nous
avons mise en lumière à plusieurs
reprises dans ces mêmes colonnes,est maintenant confirmée par des
militaires du plus haut rang. Ainsi at-
on pu lire dans Le Canard
Enchaîné6 : "L’envoi de troupes supplémentaires
en Afghanistan n’est
pas le seul point de désaccord du
patron des armées, le général
Georgelin avec le petit chef de
guerre Sarko. Le 6 juin dernier, dix
jours avant la publication du Livre
Blanc sur la Défense, ce général
s’est permis d’évoquer "sa préoccupation
de soldat". Devant un auditoire
choisi, réuni à l’Ecole des
Hautes Etudes en Sciences Sociales,
il a tenu des propos qui n’ont pas eu
le retentissement qu’ils méritaient.
Dans ce Livre Blanc, sorte de bible
pour l’avenir des armées, il décelait
une certaine tendance à un "mélange
des genres", voulu par le
Président, lequel veut instaurer à
toute force une coopération entre
civils et militaires dans l’Hexagone.
Evoquant "la distinction entre les
menaces internes et les menaces
externes, entre la sécurité et la
défense", le général Georgelin a
déclaré, avec un certain courage,
car cela n’est pas politiquement correct
 : "Je reste convaincu que la
confusion de ces deux types de
situations et de logiques est source
de plus de risques que d’avantages
pour nos institutions". Se montrant
plus précis, il a ajouté : "Un délinquant,
c’est quelqu’un qui a enfreint
une loi. Ce n’est pas un ennemi (..).
L’armée, dans notre pays, a été progressivement
déchargée du maintien
de l’ordre interne. Revenir sur
ce point (...) ce serait réintroduire la
figure de l’ennemi au coeur de la
cité [sic]". Et d’insister pour que l’on
distingue "les rôles du policier et du
soldat". A l’évidence, le patron de
l’Etat-major critique une relative
évolution des hommes politiques
sur les questions de sécurité "intérieure".
Avec, en tête, les hurlements
de certains élus fanatiques,
souvent de droite et parfois de gauche,
qui réclamaient l’intervention
de l’armée lors des "émeutes" de
banlieues".

Ici et ailleurs, alors qu’il fallait de la générosité et de la solidarité les
mercantis, pour faire fructifier leurs
gains, ont insufflé la peur d’autrui, ils
ont renforcé les frontières, élevé des
murs, bâti de nouvelles prisons et
des camps, fomenté des guerres et
des massacres de population. Ils
nous ont enfermés dans une régression
idéologique qui, de la promotion
du créationnisme (en vigueur
chez les intégristes religieux chrétiens,
islamiques et autres) au tout
sécuritaire, en passant par les replis
identitaires, est la négation même
des valeurs humanistes. Ce faisant,
ils conduisent l’humanité dans une
impasse. Mais, les valeurs de liberté,
de solidarité, d’humanité, d’universalisme
n’attendent qu’un réveil des
populations pour se raviver. Pour
nous, elles doivent s’inscrire, elles
ne peuvent que s’inscrire dans une
démarche révolutionnaire qui abolisse
le capitalisme et l’Etat. C’est
cette perspective qui nous anime et
à laquelle nous appelons tous et
chacun à se joindre.

Peter
_1. Cité par Marianne _2. Munie de
tous ses boutons de guêtre, l’armée
française prit une raclée historique dès
le début du conflit. _3. Isnard, Le
Monde, 21 12 2001, "Afghanistan, du
cavalier au prédator". _4. Un magazine
peopolesque vient de faire sa couverture,
photo style romantico-bling bling
à l’appui sous le titre : "Jean Sarkosy :
Personne ne me manipule". Il aurait pu
ajouter "Jean Sarkosy : Je me suis fait
moi-même" personne n’étant assez
impertinent pour écrire "Patriote mais
de loin". _5. Voir notre précédent
numéro. _6. Canard Enchaîné du 23
juillet 2008.

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