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Coup de fourchette au collège

Publié le 15 avril 2008

On parle souvent de la violence en milieu scolaire. Je suis surveillant dans un collège et un de mes collègues a été confronté à ce problème. Voici quelques jours donc ce collègue a reçu un coup de fourchette sur l’avant-bras. Emotion dans le collège. Vous imaginez. Articles dans la presse. Tout le monde ne parle que de ça dans la commune.
Tout s’est produit au self. Mon collègue fait remarquer à un élève qu’il n’a pas le droit de prendre deux yaourts comme il l’a fait. En réponse, l’élève l’insulte et lui porte un coup de fourchette sur l’avant-bras. Dès 14 heures, au moment où je prends mon service, la hiérarchie nous réunit, nous raconte l’histoire et achève la réunion en précisant, ce sont ses propres termes, que c’est la "version officielle". Y aurait-il alors une version non officielle ? Pour en avoir le cœur net, je questionne des élèves ainsi que les deux autres collègues présents sur les lieux au moment des faits.

Et là, surprise, le scénario est un peu plus complexe. Même point de départ (deux yaourts au lieu d’un seul), mais à partir de là, ça change : c’est en hurlant et en l’insultant de façon appuyée que le surveillant fait sa remarque à l’élève, celui-ci répond qu’il n’a pas à se faire insulter, le surveillant fait alors une intimidation physique à laquelle l’élève répond par un coup de fourchette sur la main qui se porte sur lui. Pourquoi avoir masqué cet enchaînement et n’avoir retenu que le premier et le dernier acte ? La réponse me paraît évidente : il s’agit de protéger non pas seulement le surveillant qui a largement dérapé, mais l’autorité et par là l’institution toute entière. En effet, si le surveillant avait été reconnu comme ce qu’il a bien été (c’est-à-dire l’initiateur de l’agression verbale puis de l’agression physique), cela privait l’administration de faire un exemple (en excluant le jeune). Un exemple à double détente : vis-à-vis de l’extérieur d’abord, pour montrer que "la violence à l’école est, hélas, une réalité ; mais, fort heureusement, nous savons y faire face", vis-à-vis des élèves surtout, avec un sens très différent : "nous savons parfaitement ce qui s’est passé, mais nous sommes les plus forts, nous faisons ce que nous voulons".

Et c’est bien ce deuxième message qui est le plus important. Car, dans ce collège comme dans beaucoup d’autres établissements scolaires, l’autoritarisme est de retour. Pour les élèves, c’est la multiplication des règles, toutes plus absurdes les unes que les autres, dont l’objectif est d’imposer une mise au pas, une obéissance aveugle. En direction des personnels, c’est la même chose en plus subtil, c’est la "gestion de proximité des ressources humaines", ce qui consiste essentiellement à casser ceux qui ne sont pas dans la ligne (en leur fabriquant des emplois du temps pourris,...), à diviser les personnels (en dénigrant les uns et en flattant bassement les autres) à réunir les plus souples tous les midis dans le bureau du principal pour prendre un petit "canon" et distiller au passage "les informations" utiles, à opposer habilement les profs aux élèves (tous nuls, sauf les enfants des collègues bien sûr) et aux parents d’élèves (tous des emm...). Dans ce climat, les relations se tendent ; la pression perpétuelle entraînant un grand stress. C’est dans cette ambiance, créée de toutes pièces, qu’il faut chercher la cause profonde d’événements comme celui qui est rapporté dans cette histoire. Au lieu de réfléchir à ça, les réflexes, aussi corporatistes que stupides ont joué à fond. Dès le lendemain des faits, les professeurs se sont réunis "afin de dénoncer la violence des élèves et les incivilités". Bien sûr, bon nombre de rédacteurs de ce texte mi-sérable connaissaient tous les enchaînements de l’histoire. Quant aux deux collègues qui m’ont rapporté "entre nous" les faits, ils ont refusé de témoigner en faveur de l’élève et ont validé la "version officielle". C’est lamentable, mais je n’ai pas réussi à ce jour à les faire changer d’avis.

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