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Initiative de solidarité OLGA TARATUTA

Publié le 10 mars

« La guerre est une sorte d’action, grâce à laquelle des gens qui ne se connaissent pas s’entretuent pour la gloire et le bénéfice de gens qui se connaissent très bien, mais ne s’entretuent pas » (Paul Valéry)

Ce texte est une version abrégée des publications de novembre et décembre 2023 du site en ligne de Kharkov « Assembleia ». Vous pouvez y trouver de nombreuses références, vidéos, etc.
http://assembly.org.ua.

Impasse. Ce mot a commencé à apparaître dans presque tous les documents analytiques de la
presse occidentale sur la guerre russo-ukrainienne. Depuis le retrait de l’armée russe de Kherson en
novembre de l’année dernière, la ligne de front est gelée, quasiment sans mouvement, malgré les tentatives
sanglantes de chaque camp pour atteindre un point de rupture en sa faveur et gagner de l’espace
opérationnel. Après le nouveau Verdun – le hachoir à viande qui s’est déroulé pendant l’hiver et le
printemps 2023 autour de Bakhmout – vint une nouvelle « bataille de la Somme » [1] pour une douzaine de
villages dans les steppes de la côte d’Azov, qui à partir d’octobre se transforma graduellement en un autre
Verdun/Bakhmout autour d’Avdeevka. Si ce dernier tombe, le même mécanisme se reproduira sur de
nouvelles lignes de front un peu plus loin. Pendant ce temps, le chaos de boue et de cadavres à Krynki [2] ressemble peut-être déjà à une nouvelle Passchendale [3].

Si la référence à la Première Guerre mondiale – pour comparer l’équilibre actuel des positions – n’est pas
uniquement utilisée par les commentateurs paresseux, par contre rares sont ceux qui rappellent comment il fut mis fin à cette guerre. La guerre fut contrecarrée par les travailleurs des pays en guerre : « La guerre n’a pas pris fin en 1918 à cause de la défaite militaire d’un côté ou d’un autre. Les généraux auraient volontiers passé quelques années supplémentaires à tuer des millions de personnes pour atteindre leurs objectifs.
La guerre a pris fin parce que différentes armées et populations d’Europe s’y sont opposées. La plupart des
gens savent que la Russie est sortie de la guerre en 1917 grâce à la Révolution russe. L’un des facteurs clés de la révolution a été la révolte des ouvriers et des paysans russes contre la guerre et contre leur propre classe dirigeante. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il y a eu d’importantes mutineries dans l’armée française, ainsi que des mutineries plus petites, mais tout aussi importantes dans l’armée britannique, en 1917. Le soulèvement clé qui a mis fin à la guerre a été la mutinerie de la marine allemande à Kiel en 1918.

Le haut commandement, dans une tentative désespérée de renverser le cours de la guerre, ordonna de prendre la mer avec la flotte pratiquement intacte. Mais les organisations navales clandestines, parmi lesquelles se trouvaient des marins anarchistes, s’y étaient déjà préparé. En réponse, ils formèrent des Conseils (Soviets) et s’emparèrent de leurs navires, des ports et des casernes environnants. Cela a provoqué une vague de mutineries militaires et de grèves ouvrières, obligeant la classe dirigeante paniquée non seulement d’Allemagne, mais aussi d’Europe dans son ensemble, à s’asseoir à la table des négociations et à élaborer un traité de paix. »

Au moment où Trump ou un autre candidat isolationniste arrivera probablement à la présidence des États-Unis, la guerre russo-ukrainienne fera rage depuis trois ans. C’est à peu près le même temps qu’il a fallu pour que la situation révolutionnaire mûrisse. [En 1917], ni les « barrières d’arrières gardes », ni les tribunaux militaires, ni les hordes de fanatiques qui crient dans les rues « nous nous battrons jusqu’au dernier » n’ont sauvé [les partisans de la guerre].

La menace même que ceux qui fêteront le prochain Nouvel An 2024 dans les tranchées sortent de leurs abris,
se retrouvent en territoire neutre, pour boire ensemble, puis rentrent chez eux avec des armes, peut devenir une puissante incitation pour le Kremlin et Bankova [4] à entamer des négociations afin d’empêcher quelque chose de beaucoup plus dangereux pour les deux parties en guerre. Mais même si le scénario du début du siècle dernier se répète – au lieu, par exemple, de celui de la guerre Iran-Irak, qui sont restés coincés dans le même massacre pendant 8 ans et ont ensuite tous deux déclaré leur victoire, ce qui n’a fait que renforcer les deux régimes – cela signifie que l’année prochaine apportera encore bien d’autres rivières de sang. Selon BBC News Ukraine, avec le nouveau projet de loi sur la mobilisation, les Ukrainiens pourraient être tenus de se présenter aux centres de recrutement dans les 48 heures après avoir reçu une convocation par courrier électronique ou par courrier recommandé.

Les « postiers de la mort » seront dotés de davantage d’outils pour vérifier les documents de registre militaire des citoyens dans les rues, les arrêter et les remettre aux bureaux d’enrôlement ou les inscrire sur la liste des personnes recherchées. En cas de non-respect des convocations, les délais d’arrestation et les amendes seront augmentés, les contrevenants pourront être poursuivis par contumace et les catégories des personnes ayant droit à un sursis seront restreintes. Il est également proposé d’enrôler dans l’armée les personnes incarcérées. Les prisonniers, voudront-ils aller au front, sachant que même les personnes respectueuses de la loi, pour ne pas dire plus, ne sont pas très bien entraînées et équipées – une grande question qui pourrait menacer d’émeutes dans les prisons. La situation va devenir particulièrement difficile pour les « évadistes » qui préfèrent échapper aux combats en allant en prison. Lorsque « Assembleia » a commencé à tirer la sonnette d’alarme sur le fait que les tribunaux de Kharkov avaient cessé de prononcer des peines avec sursis en cas de non-présentation à son unité militaire, de nombreux lecteurs locaux avaient balayé cette information d’un revers de main en disant qu’il valait « mieux être en prison que dans la tombe ». Eh bien, voyons combien de temps avant que la première option cesse d’être une alternative à la seconde.

Il n’existe aucune information publique jusqu’à quel niveau le plan de mobilisation pour Kharkov est actuellement mis en œuvre, mais les autorités de l’État publié à l’automne des informations sur les régions voisines. À Poltava, la mise en œuvre n’est que de 13 %, à Soumy – 8 %. Il y a une semaine, le chef du
renseignement de défense ukrainien, Kyrylo Budanov, a reconnu l’efficacité minime des Ukrainiens mobilisés de force : « Tous les volontaires qui voulaient se battre sont venus au cours des 6 premiers mois. Qui est en train d’être enrôlé maintenant ? Malheureusement, il n’y a pas de bonne réponse. Si vous ne trouvez pas de motivation pour ces personnes, peu importe le nombre de personnes conduites par la force ou selon les normes juridiques, leur efficacité ne sera presque nulle. C’est, globalement, ce qui s’est produit ces derniers temps ». Alexeï Arestovitch, ancien conseiller du Cabinet de Zelensky et l’un de ses principaux propagandistes, a déclaré fin novembre :
« Permettez-moi de citer quelques chiffres : 100 personnes ont quitté les unités militaires sans autorisation par jour en Ukraine. 100 personnes par jour, c’est une brigade par mois. Une brigade s’échappe du front chaque mois. 4,5 millions de réfractaires ne veulent pas s’inscrire au service militaire. Dans les
unités, il y a 30 à 40 et même jusqu’à 70 % de refus. Ils disent simplement : « Je ne me battrai pas, fais de moi ce que tu veux. Quelles sont les frontières de l’année 1991 [5] ? » Connaissant le besoin de battage médiatique en toute occasion de cet ex-conseiller, ses estimations peuvent être exagérées, mais nos sources ont parlé de nombreux objecteurs de conscience dans les forces armées ukrainiennes même lors de la contre-offensive estivale.
Il ne s’agit pas de désertions à proprement parler, mais de refus de se battre, c’est pourquoi ces militaires devraient être transférés vers des unités non combattantes.

Côté Russe, un habitant de Belgorod de 44 ans a cassé la gueule à un major de la police, qui a tenté de le
convoquer au bureau d’enregistrement et d’enrôlement militaire. De son côté, Le militant libéral de Saint
Petersbourg Grigory Sverdlin, fondateur du projet « Go Forest, Go » visant à aider les Russes à éviter de participer à la guerre, a partagé les statistiques suivantes sur sa page Facebook :

« Il y a de plus en plus de déserteurs. En octobre, presque un appel sur cinq (!) à Go Forest Go consistait
en une demande d’aide pour quitter l’unité :

Avril : 121 sur 4288 appels, soit 2,8% des cas ;
Mai : 87 sur 997, soit 8,7% ;
Juin : 54 sur 644, soit 8,3% ;
Juillet : 115 sur 1142, soit 10% ;
Septembre : 185 sur 1614, soit 11,4% ;
Octobre : 218 sur 1197, soit 18,2%

Environ 30 % des déserteurs russes restent en Russie. Parce qu’il n’y a rien pour vivre à l’étranger, que c’est
effrayant de traverser la frontière et pour ne pas laisser ses proches derrière soi. Ils se cachent, bougent d’un
endroit à un autre, mais restent. Nous les aidons également autant que nous le pouvons. ». Cette augmentation, selon lui, est due à la fatigue des mobilisés, qui n’espèrent plus la rotation, et à la fatigue
générale de la guerre. D’autres journalistes de cette organisation ont appris que plusieurs déserteurs sans lien
de parenté racontaient que près de 80 % de leurs escouades s’étaient enfuies et que seulement 15 % environ d’entre eux avaient été capturés.

Selon le décompte de « Mediazona », publié à l’occasion de l’anniversaire du début de la mobilisation russe [le 21 septembre 2022], au cours de l’année écoulée en Fédération de Russie il y a eu presque quatre fois plus
de condamnations pour abandon non autorisée d’une unité et désertion qu’il n’y en avait chaque année dans de tels cas avant la guerre : depuis juillet 2023, les tribunaux prononcent plus de 500 condamnations pour ces motifs chaque mois. Cela représente 2 à 3 % du groupe de l’armée russe en Ukraine, ce qui semble pour l’instant un petit chiffre, mais cela représente tout de même un pourcentage significatif si vous le rapportez aux pertes des troupes soviétiques tuées en Afghanistan par rapport au nombre total de ceux qui ont servi là-bas. Sans compter que nombre des « disparus » d’Afghanistan sont en fait des déserteurs qui ont réussi à s’échapper et qui ne sont jamais revenus … Il convient également de tenir compte du fait que la motivation des Russes pour déserter est affaiblit par les frontières européennes qui restent fermées aux Russes, le système de contrôle social dans les villes russes, sans précédent dans l’histoire des guerres, et le terrain essentiellement ouvert du sud-est de l’Ukraine, où il est difficile de se cacher à la police militaire.

L’effondrement du moral de l’armée russe est également entravé par la propagande ukrainienne, qui présente comme ennemis tous les citoyens russes qui ne se prononcent pas ouvertement pour l’Ukraine, même s’ils refusent de se battre (la propagande ukrainienne dit que ce sont tous les mêmes « orques », mais seulement
des lâches). Cela se produit pour la même raison que pour la défense de l’Ukraine, le Pouvoir met l’accent sur
accentuer la pression sur les gens plutôt que de laisser se développer des initiatives volontaires : les liens
horizontaux à la base sont dangereux pour quiconque détient le pouvoir. Mais ce même esclavage de caserne
peut contribuer à la fraternisation des ouvriers d’hier en tenue de camouflage, leur faisant vite comprendre que les gens forcés n’ont rien à partager, et que l’ennemi, c’est celui qui les pousse au massacre.

Récemment, une déclaration de soldats russes des régions de Moscou et d’Oulianovsk concernant des
extorsions d’argent et des passages à tabac de la part du commandement a été publiée. Les Militaires de l’unité militaire 41680 ont déclaré que deux semaines après la signature de leur contrat d’engagement, ils avaient été envoyés à l’assaut en direction d’Avdeevka sans entraînement ni préparation. Selon leurs propos, la plupart des combattants sont « battus et gardés dans des sous-sols » avant d’être envoyés en mission. Leur
collègue Artyom Yakupov a reçu un diagnostic de commotion cérébrale après un autre passage à tabac. Sur
ces images fournies par l’armée, on peut voir l’homme avec des contusions sur le visage. La petite amie
d’Artyom a également confirmé aux journalistes qu’il avait été battu par ses commandants. Le 12 octobre, il a
reçu un obus et le 20, il a été envoyé à l’assaut, après quoi il n’est pas revenu. Ils affirment également que des « extorsions » monétaires allant jusqu’à 50 000 roubles par mois sont collectées par les sergents major des 1re, 2e et 3e compagnies. L’argent serait destiné à « des matériaux de construction, des pièces de véhicules, des uniformes, des services funéraires et une aide psychologique aux proches des morts ». En fait, selon l’armée, les fonds collectés sont consacrés aux besoins personnels du commandement. « Nous entendons à plusieurs reprises les prix pour éviter les tempêtes. Certains paient 100 000 roubles », ont indiqué les militaires.

Le New York Times, citant des responsables américains, a averti le 11 décembre que « sans changement de stratégie, 2024 pourrait s’apparenter à 1916, l’année la plus meurtrière de la Première Guerre mondiale, où des milliers de jeunes hommes ont perdu la vie et où les lignes de bataille ont très peu changé ».
Ainsi, la fenêtre d’Overton s’ouvre de plus en plus et peut éventuellement s’ouvrir si largement qu’elle cassera ses charnières et explosera la tête de quelqu’un.

La politique de guerre jusqu’au dernier des Ukrainiens / Russes repose en grande partie sur des
femmes patriotes qui n’ont pas peur d’aller elles-mêmes dans les tranchées pour y regarder les combats depuis la tribune comme au temps des gladiateurs (mais le Colisée avait au moins une entrée payante, alors que dans ce cas, aller supporter « notre équipe » est disponible gratuitement). Si elles étaient obligés d’essayer de surmonter ce problème de leurs propres mains [et avec leur propre sang], elles diraient immédiatement « parvenons à un accord », « je ne dois rien à cet État » et « pourquoi ai-je besoin de cette Ukraine/Russie ». Les deux régimes dictatoriaux retarderont donc la mobilisation des femmes jusqu’à la dernière minute.
Mais même sans cela, la masse critique composée de celles et ceux qui ne veulent pas défendre les villas et les
yachts des uns et des autres augmente progressivement...

Que devrions-nous souhaiter à notre public de libres penseurs, de refuzniks et de cosmopolites pour l’année à
venir ? Au minimum, restez en contact Assembleia.
Nous souhaitons à ceux qui envisagent de quitter les pays en guerre de le faire avec succès et de s’installer dans un nouvel endroit. Pour ceux qui ne veulent pas partir, nous souhaitons qu’ils aient le moins de contacts possible avec la bande étatique et qu’ils deviennent aussi autosuffisants que possible, au point même de créer des colonies autonomes dans la nature rurale. Et bien sûr, aidez les personnes et les animaux dans le besoin, restez en bonne santé, développez-vous, étudiez le communisme anarchiste. Cela peut s’avérer utile plus tôt qu’il n’y paraît.

Plus haut, plus haut, le drapeau noir !
l’État est le bourreau des travailleurs !
Le soldat – à la maison chez lui !
L’État – aux ordures !
Paix entre les gens, guerre aux autorités !

Comment soutenir concrètement les compagnons d’Assembleia :

Pour Assembleia, l’information est cruciale. Sa production et sa diffusion maximale est de première
importance. Il y a plusieurs possibilités d’y contribuer :

  • vous pouvez diffuser le bulletin de l’Initiative Olga Taratuta, qui traduit et diffuse les infos d’Assembleia et
    d’autres groupes anti-guerre en Russie (notamment le KRAS, section de l’AIT en Russie). Ecrire à
    contactchezsolidarite.online pour recevoir le bulletin ;
  • si vous avez des capacités de traduction (russe, ukrainien, anglais, ou autres) et que vous avez un peu de
    temps et d’énergie, vous pouvez vous joindre à notre équipe de traducteurs bénévoles ;
  • vous pouvez commander des autocollants en solidarité.
    2 modèles d’autocollants sont disponibles (« déserteurs de tous les pays unissez vous » et « guerre aux palais,
    paix aux chaumières »). Envoi par paquets de e 25, 50 ou 100. (Vous pouvez panacher les modèles). Le prix (port compris) est de 2,50 € pour 25, 5 € pour 50, 7,50 € pour 100 exemplaires. Chèques à l’ordre de CNT-AIT
    (mention Autocollants Ukraine au dos) à envoyer à
    CNT-AIT 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE
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