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FAIRE AVEC L’ECOLE POUR NOTRE PROJET ANARCHISTE

Publié le 10 mars

Lors de la dernière rentrée scolaire, sur le site internet de la CNT-AIT et dans le numéro 183 d’Anarchosyndicalisme !, des camarades ont condamné sévèrement l’École (Entendue comme l’institution étatique prétendant instruire les jeunes de la maternelle au lycée) considérant celle-ci uniquement comme un lieu de formatage, d’endoctrinement et de reproduction sociale. Même si je partage l’idéal d’une instruction libertaire dans une société sans école telle que formulée notamment par Ivan Illichii, je pense que l’École d’aujourd’hui (et notamment les travailleurs qui agissent en son sein) ne mérite pas une charge si véhémente…

1) Tout d’abord, par souci de vérité et sans pour autant excuser et ignorer ses autres travers i, nous devons reconnaître que l’École s’est « démocratisée » puisqu’elle propose désormais de l’instruction pour tous les jeunes de chaque classe d’âge, de toutes origines (dont les mineurs sans titre de séjour), de toutes catégories sociales et de toutes potentialités scolaires, non plus jusqu’à 13 ans (loi du 18/3/1882 dite loi Jules Ferry), 14 ans (loi du 9/8/1936) ou 16 ans (l’âge légal de l’instruction obligatoire aujourd’hui depuis une ordonnance du 6/1/1959) mais de fait jusqu’à 18 ans, voire plus puisqu’elle se donne d’une part pour obligation de former chaque jeune jusqu’à sa majorité et que, d’autre part, les études supérieures sont ouvertes à tous bacheliers.

En conséquence de quoi, on note notamment que, désormais, près de 80 % des membres d’une classe d’âge obtiennent le Bac et qu’aujourd’hui la moitié des 25-34 ans sont diplômés de l’enseignement supérieur, toutes choses qui, d’une part, nous situent dorénavant très loin de l’École élitiste du 19ᵉ siècle et d’une grande partie du 20ᵉ siècle, qui réservait la poursuite d’études au-delà de l’instruction obligatoire, sauf exception, aux jeunes des familles les plus aisées, et, d’autre part, doivent nous faire admettre que la reproduction sociale ne se joue plus au sein de l’École, mais essentiellement en dehors de celle-ci : choix des familles aisées de scolariser leurs enfants dans des collèges et lycées privés élitistes favorisant l’entre-soi social et inculquant la volonté de parvenir et de « réussir » dans la société capitaliste et de consommation (par la quête avide des premières places, des diplômes, du pouvoir, de l’avoir et du paraître par l’accès à des métiers dits prestigieux) ; inscription majoritaire des jeunes les plus fortunés dans les classes préparatoires, écoles de commerce, écoles d’ingénieurs et grandes écoles privées postbac aux frais de scolarité onéreux et discriminants ; réseau d’entraide et de cooptation au sein de l’oligarchie pour « placer » professionnellement en son sein ses enfants, à la fin de leurs études supérieures.

2) Nous devrions reconnaître aussi que la grande majorité des membres des équipes éducatives des établissements scolaires publics (personnels techniques et administratifs, enseignants, personnels de santé et de surveillance, etc.) n’ont d’autres buts que d’aider à l’instruction (transmission de connaissances, de savoir-faire – dont le goût d’apprendre et de découvrir, l’esprit critique et la liberté de pensée – et de valeurs humanistes), l’épanouissement, l’émancipation et la réussite humaine des jeunes scolarisés, agissant en ce sens avec bienveillance, empathie et dévouement en faveur de leurs élèves, en dehors de tout élitisme, de toute discrimination et de toute volonté d’endoctrinement à une cause ou une autre.

Nous devons penser surtout, en tant qu’anarchosyndicalistes, que tous ces personnels ne sont pas nos ennemis de classe, mais nos égaux, des travailleurs comme les autres, dont beaucoup partagent la plupart de nos idéaux (et pas seulement en matière de pédagogie humaniste, voire libertaire, mais aussi dans leur aspiration en une société égalitaire, d’entraide, pacifiée, antiautoritaire, etc.), donc des camarades potentiels de lutte, que nous ne rallierons jamais à notre projet anarchiste en les insultant à coups d’arguments injustes, infondés ou anachroniques.

3) Quant au rôle d’endoctrinement et de formatage imputé à l’École (Pour faire des jeunes scolarisés les futurs citoyens dociles de la nation française et de notre fallacieuse démocratie, car indirecte, parlementaire et étatiste, tout comme les esclaves consentants de l’oligarchie capitaliste et de la société de consommation), je crois là aussi que notre propos anarchiste traditionnel se doit d’être nuancé et réactualisé. D’une part, en lisant les Instructions officielles venues remplacer l’Instruction civile par l’Enseignement moral et civique (EMC), cet enseignement a priori supposé être le plus à même de viser l’endoctrinement et le formatage politiques de la jeunesse, on ne peut qu’admettre que l’École d’aujourd’hui est loin de soumettre les élèves à un quelconque bourrage de crâne déshumanisant, nationaliste, xénophobe, totalitaire et favorable au libéralisme économique. 

De fait, parmi les valeurs communes que l’EMC veut transmettre aux jeunes scolarisés, par une pédagogie active et non sous forme d’un catéchisme dogmatique, que trouve-t-on ? La dignité, la liberté, l’égalité, la solidarité, la laïcité, l’esprit de justice, le respect de la personne, l’égalité entre les femmes et les hommes, la tolérance et l’absence de toute forme de discrimination, le sens moral, l’esprit critique, l’aptitude à un comportement réfléchi et à l’exercice de la citoyenneté, la responsabilité individuelle et collective, à quoi s’ajoutera prochainement l’éducation aux médias et à l’écologie …

D’autre part, quand bien même certains d’entre nous jugeraient que ces instructions officielles organisent tout de même un formatage condamnable au profit de la démocratie représentative et de la 5ᵉ République, chacun devrait reconnaître l’échec et l’innocuité de ce formatage : de plus en plus de français ne votent plus et exècrent la classe politique dirigeante ; d’autres, majoritaires chez les votants, soutiennent par leurs votes des partis qualifiés d’extrémistes et de non républicains par les serviteurs (partis autoproclamés « de gouvernement » ou « républicains », médias et intellectuels conformistes) de l’oligarchie ; beaucoup manifestent de façon pacifique ou non pour s’opposer au système politique et économique ; certains demandent l’instauration du référendum d’initiative citoyenne (RIC)… et quant à nous, l’École ne nous a pas empêché de devenir anarchistes, voire a contribué grandement à ce que nous le soyons devenus…

Frédéric B. (Lille)

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